Les croisières encore?

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
L’eau arrive à laver beaucoup de choses mais pas une mauvaise langue
-proverbe serbo-croate
«Mon guide des croisières 2023» de Promotion Saguenay reçu chez moi, un cadeau payé par la ville avec mes taxes comme disent les citoyens d’abord propriétaires, m’a mis la puce et la souris à l’oreille. Faut que je m’exprime sur ce beau sujet qui me taraude depuis fort longtemps.
C’est quoi l’idée de fonder une bonne partie de notre intérêt touristique sur les bateaux de croisière? C’était l’idée du maire du citoyen d’abord, il y a quinze ans, d’attirer les croisiéristes non avec du miel mais avec des bleuets. Il rêvait de voir sa ville sur le modèle de Québec où les croisières rayonnent depuis longtemps. Mais le problème et la solution en même temps, c’est que la Baie n’est pas Québec. Là, les touristes y séjournent et y logent même. La ville patrimoniale et historique leur saute en pleine face quand ils accostent. Ici, c’est autre chose. Un petit quartier avec une vue splendide autour. C’est tout. Ils n’y passent que quelques heures, juste le temps de se rendre à pied au Dollarama quand ils ont fait le plein de bleuets en céramique. Une bonne majorité reste sur le navire. Surtout que ces touristes sont plutôt âgés et peu habitués à notre automne frisquet. Que vont-ils faire cet hiver?
Mais les temps ont changé radicalement depuis quelques années. Marseille, Amsterdam, Barcelone, Venise, Santorin, Budapest de plus en plus de villes ne veulent plus accueillir ces monstres de bateaux de croisières. En plus de rendre la vie des citadins de ces ports de mer impossible, de défigurer pendant des mois leur paysage, ces villes flottantes polluent l’eau, l’air et le reste.
On commence à être bien documenté à ce sujet. Mais les règlements canadiens concernant ce sujet tolèrent encore des éléments de pollution qui fragilisent nos fonds marins et empestent les abords des quais.
Transports Canada a émis des normes pour limiter l’évacuation des eaux grises (Drainage des éviers, des machines à laver, des baignoires, des douches et des lave-vaisselle) et des eaux noires traitées (toilettes, égouts, poubelles) de ces navires près des côtes. Mais les eaux de lavage issues des systèmes d’épuration du carburant ne font pas partie de ces normes. Et ces navires continuent d’utiliser des carburants polluants comme le mazout lourd pour naviguer(La Presse, 16 juillet 2022).
De façon général, comme l’indique le journaliste à l’environnement du Devoir, Alexandre Shields, interrogé par la SRC (5 sept. 2019), «les émissions de gaz à effet de serre atteignent de 4 à 5 tonnes par passager, par croisière. C’est l’équivalent de rouler environ 20 000 kilomètres en voiture. Certains paquebots accueillent jusqu’à 6000 passagers, consommant énormément de mazout lourd, soit 200 000 litres par jour. C’est un carburant qui émet beaucoup plus d’oxyde de souffre qu’une voiture normale ou même que le carburant diesel utilisé dans certaines voitures. Ce polluant est reconnu pour non seulement acidifier les milieux naturels, terrestres et aquatiques, mais aussi pour nuire à la qualité de l’air des villes qui accueillent des navires-là, puisque les moteurs tournent 24 h sur 24 h, 7 jours sur 7.»
Cette saison, dans «mon guide des croisières 2023», la directrice de Promotion Saguenay et la mairesse qui semble aussi gagnée à la cause du maire qui avait des idées de grandeur et qu’elle détestait pourtant, nous proposent 82 escales/paquebots, 139 931 passagers et membres d’équipage. Il suffit alors de multiplier le nombre de ces passagers par 5 tonnes de gaz à effet de serre pour voir le degré de pollution engendré par cette belle visite de passage.
Ce n’est pas en éliminant les bouteilles de plastique et en faisant le ménage sur la plage de la Baie – comme le propose mon «guide de croisière 2023»- qu’on va améliorer le bilan carbone de ces 82 bateaux de croisières et celui de la Baie.
Mais ici, on calcule autre chose. On veut nous faire croire que c’est payant pour la ville malgré le fait que cette démonstration ne s’est jamais faite. Les retombées économiques «estimées»à 58,5M$ par année reviennent constamment, année après année, mais on ignore encore et toujours qui les évalue ces fameuses retombées. Depuis 15 ans, Promotion Saguenay et les maires et mairesses en places radotent le même message. Les lignes de croisières défraient, semble-t-il, la moitié de ce montant en taxes pour accoster au quai de la Baie. Ce sont là les réels revenus de la ville pour la présence des bateaux de croisières ici. Le reste des retombées concernerait la présence momentanée des croisiéristes pour quelques heures à la Baie et un peu partout dans la région. On ignore comment la ville fait ses calculs pour nous persuader que ces gens de passage, qui dorment et mangent en grande majorité sur leurs navires dépensent plus de 25 millions$ par an en débarquant ici, un simple après-midi. Ça en prend des bleuets en céramique, des foulards, des tits sacs en cuir, des savons, des bibelots en verre et du fromage en crottes Boivin pour faire le compte. N’oublions pas que la ville et Promotion Saguenay maintiennent une infrastructure coûteuse pour les accueillir ces croisiéristes d’ailleurs.
En plus, la ville compte sur les dépenses des amateurs de croisières de la région pour créer cet achalandage qui ferait vivre boutiques et restaurants près du quai de la Baie. Mais ne nous comptons pas d’histoire, une fois qu’on est allé voir le gros bateau à la Baie, le plaisir est passé, la curiosité aussi.
Dans mon «guide des croisières 2023», on a l’impression que la mairesse et la DG de Promotion Saguenay qu’on va passer notre automne, – et maintenant même notre hiver – à se rendre à la Baie pour voir arriver et partir des gros paquebots. Ils nous prennent pour qui ces promoteurs-là? Une fois que t’en a vu un, tu les as tous vus. À moins d’être collectionneur de photos de gros bateaux et de rester juste à côté du quai et du pavillon que le maire visionnaire (mais peu écologiste…il voulait noyer les terroristes de Greenpeace, vous vous souvenez?) a fait construire pour les accueillir. Même Jean-Jules Soucy qui demeurait à deux pas du quai en avait marre des bateaux et des touristes. Il préférait regarder et parler avec les pêcheurs sur le quai quand les croisiéristes brillaient par leur absence.
En plus, je m’énerve quelque peu. Ce n’est pas le pauvre monde ou le monde ordinaire qui polluent les eaux et l’air en prenant des vacances sur ces quartiers flottants. Ce sont des gens qui en ont les moyens et qui font partie d’une classe de nantis et de riches à souhait.
La mairesse et la DG de Promotion Saguenay nous invitent en somme à aller voir comment les riches passent leur temps et leurs vacances qui, pour certains, durant toute l’année. C’est un peu ironique et malsain de proposer au monde ordinaire de faire la même chose.
Et pourtant, cette saison, un promoteur de croisières a proposé à la ville d’inviter 25 voyageurs d’ici à profiter d’un de ces bateaux, moyennant évidemment quelques frais de base.
Il a réservé 25 cabines à l’intention de certains des nôtres qui pourront faire une vraie croisière jusqu’à New-York durant un peu plus d’une semaine. Le coût? 4 000$.
J’ai l’impression que les 25 cabines réservées pour les croisiéristes d’ici risquent de rester vides.
Moi, si je trouvais un certain montant sur le trottoir de la rue Racine ou sur le quai de la Baie, je trouverais 25 étudiants étrangers mal logés ou 25 itinérants qui font peur aux restaurateurs chicoutimiens pour leur offrir des vacances à la mer à 4000$ pièce.
Il serait peut-être temps de remettre en question notre investissement municipal dans cette «industrie des bateaux de croisières» fondée sur une exploitation de l’éco-système du fleuve St-Laurent et la naïveté des gens d’ici qui s’amusent à voir défiler ces gros paquebots qui polluent et affichent une richesse qui n’a plus sa raison d’être quand on fait le décompte des migrants qui se noient un peu partout sur la planète. On devrait convertir toutes ces villes flottantes en dortoirs pour ceux et celles qu’on évacue de plus en plus ici et ailleurs.
Dans la description des navires dans mon guide des croisières 2023, j’accroche sur le luxe ostentatoire qu’on exploite pour nous laissez croire qu’on manque quelque chose. Déjà les noms des navires évoquent le nirvana des capitalistes plus riches que les autres :Viking Neptune, Norwegian Joy, Explorai, Pearl Mist, Caribbean Princess, Silver Shadow, Seven Sea Mariner, Viking Star, Coral Princess, Arcadia, etc…avec piscine à débordement, spa nordique avec une expérience thermique unique, 14 options de restauration ( ne manque que le buffet poutine?) et 3 salles à manger principales, piste de go kart, laser tag et expérience de réalité virtuelle et même des solutions d’énergie verte à bord. Bref, on aura tout vu.
Il est grand temps de se questionner sur la pertinence municipale et touristique de la présence de ces paquebots qui, malgré leurs efforts, continuent de polluer notre environnement, année après année. Les océans et le fleuve Saint-Laurent surtout auraient davantage besoin de calme et de repos. D’autant plus que des promoteurs affamés tentent maintenant d’exploiter les richesses minières des profondeurs marines pour alimenter les voitures électriques et autres inventions moins polluantes.
On devra bientôt grimper sur les bateaux de croisières avec des gros fanions pour faire comprendre aux promoteurs, aux élus et aux croisiéristes que les balades en mer ont assez duré. C’est le temps de rentrer au port et d’y rester pour le bien de la planète.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
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