Les petites jobs

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

Tous les enfants ont du génie. Le tout est de le faire apparaître.
-Charlie Chaplin

Durant tout un été, j’ai déjà travaillé avec mon frère et deux autres amis pour un entrepreneur paysager. Il devait nous payer à la fin de l’été. On était tellement fiers d’avoir décroché cette job que l’on a oublié de négocier nos conditions de travail. On devait avoir alors 12-13 ans et débordant d’énergie et d’enthousiasme. Ma mère était contente de nous voir occupés du matin jusqu’au soir. Mon père nous a simplement dit :« vous allez vous faire fourrer».

Il avait raison. À la dernière journée de travail, l’entrepreneur n’est pas venu. Il ne nous a jamais payé. Dans le fond, on s’en doutait. Mais c’est un des plus bels étés que j’ai passé avec mon frère et mes amis à se promener partout dans le village en camion tout en pelletant de la terre, du ciment et en posant de la pelouse. En rencontrant du monde qu’on ne connaissait pas. On avait l’impression d’être utile à quelque chose.

Je ne regrette rien. C’était à mon avis une merveilleuse leçon de vie. L’homme est un loup pour l’homme et l’enfant. On peut se faire avoir à tout âge. Les enfants doivent l’apprendre le plus tôt possible.

Pour cette raison, je ne suis pas contre le travail des enfants. Il y a évidemment des limites. Faut pas exagérer et les payer comme du monde. Ne pas les forcer quand ils décident de tout laisser tomber.

À la Société historique du Saguenay, il y a des photos dans les archives des sœurs Lemay sur des enfants qui travaillaient à la Pulperie de Chicoutimi. Ils n’étaient pas très vieux ces flos. Peut-être plus grands que les autres mais tout de même pas loin de 14 ans et moins. Dans les usines de l’Alcan aussi des jeunes pas très vieux travaillaient dure pour l’effort de guerre. On a souvent exploité les jeunes au début du siècle (1900-1945) et un peu avant pour faire rouler l’économie de guerre. Comme les femmes d’ailleurs qu’on a sorti du foyer pour fabriquer des munitions.

Aujourd’hui, les jeunes travaillent surtout dans les commerces de service. D’autres, de façon plus obscure, dans le milieu agricole au nom de la solidarité familiale. Avec plus ou moins leur désir de continuer la tradition agricole.
Les jeunes de moins de 14 ans doivent-ils travailler? Et combien d’heures par semaine avec l’approbation de leurs parents?

D’abord faut les consulter et leur demander pourquoi travailler en même temps qu’aller à l’école? Si c’est pour se payer un cellulaire ou un scooter, on peut se poser des questions. Les parents pourraient contribuer un peu à ces achats. À 14 ans et moins, ce sont encore des enfants à la charge des parents et ceux-ci doivent les encadrer en leur expliquant que l’école est prioritaire. Les accompagner surtout dans leur parcours scolaire. Trop de parents trouvent que les enfants leur coûtent cher. Les loger, les nourrir, les habiller, les encadrer dans leurs loisirs et leurs sports. Ce sont vos enfants. Vous avez décidé d’en avoir, occupez-vous en! Que diable. Limitez-les dans leurs besoins, leurs désirs. Éduquez-les à la simplicité volontaire et en même temps éduquez-vous vous-mêmes. La surconsommation frappe très tôt dans la vie.

C’est bon que les flos travaillent quand ils en ont envie à partir de 14 ans et plus. Ça forme le caractère et ça leur permet de découvrir l’autre univers que leur famille. De socialiser comme disent les pédagogues patentés. Ils décrocheront de leur petit écran et de leurs jeux vidéos souvent violents et particulièrement réactionnaires et intégrateurs à une société de compétition ultime.

À 14 ans, je travaillais l’été dans une piscine de terrain de jeux comme gardien.

Je donnais l’argent à ma mère pour payer mon cours classique pensionnaire. J’avais un peu d’argent de poche, c’est tout.

Aujourd’hui à cet âge ils travaillent et j’imagine qu’ils dépensent leur salaire sans demander la permission à personne. Ils consomment allègrement. On devrait les limiter dans ce domaine.

L’été je vois des jeunes travailler pour la Ville en entretenant les terrains de jeux, les platebandes, les nombreux espaces verts. Je trouve ça brillant pour ces générations d’investir dans l’entretien de la biodiversité. En espérant qu’ils vont garder ces habitudes de verdir leur entourage.

Les jeunes comme les vieux ont le loisir de travailler si ça leur chante, pourquoi ne pas les laisser faire. Il faut juste les payer comme du monde et leur permettre de respirer par le nez de temps en temps. Eux aussi ils ont droit à des congés, des repos quand ils en sentent le besoin. Pourquoi pas des syndicats pour protéger les jeunes et les vieux qui travaillent contre les abus et l’exploitation.

Dans les supermarchés les vieux côtoient les jeunes autour des caisses et sur le plancher. C’est une très bonne manière de mêler les générations. Faudrait les mélanger ces deux mondes plus souvent. Dans les logements, les lieux de loisirs, les transports, les lieux de travail, la vie en général. Considérer qu’un vieux qui aborde un enfant ou un jeune inconnu pour lui parler n’est pas nécessairement un pédophile…

Comme la fois où je suis allé reconduire ma petite fille à l’école au début de son année scolaire et que je voulais la photographier dans la cour d’école. Une institutrice zélée et bornée m’a interdit de le faire sinon elle appelait la police. Je m’en souviens encore. Et Je l’ai très mal digéré ce réflexe de survie exagérée de la madame. Fermons la parenthèse pédophilique qui semble obséder les nouveaux parents qui vibrent à toutes les rumeurs publiques. Des animateurs de radio poubelle ont même fait leur réputation sur cette chasse aux sorciers pédophiles.

Faire comprendre aux jeunes que l’école c’est la seule façon d’apprendre à comprendre ce qui se passe une fois adulte. L’apprentissage de la vie c’est la prise de conscience de son autonomie et de la solidarité entre les uns et les autres. Tenir compte des autres et rendre service aux prochains, surtout ceux qui en ont le besoin, c’est le principe de base de la vie en société.

Si quelqu’un vous dit que l’idéal c’est de gagner son premier million avant 20 ans, vous lui direz qu’il fait fausse route et que la plupart des multi millionnaires veulent finir leurs jours sur la lune ou sur mars. Ils ont un attachement discutable avec la terre et la biodiversité. On n’aimerait pas les avoir comme voisins. Vous leur emprunter une pinte de lait ou une livre de beurre et ils appellent la police ou leur garde du corps.

Il y a une génération – les 30 à 45 ans je crois – j’ignore comment ils s’appellent entre eux, qui ont des enfants. Pas beaucoup, un ou deux. Pour eux c’est la fin du monde. S’ils n’avaient pas leurs parents ou leurs grands parents pour s’en occuper, ils déprimeraient en gang. Quand les employées des garderies se mettent en grève, c’est la fin du monde. Ils ne respirent plus. Ça leur semble tellement lourd. Pour eux, il semble que l’école est le prolongement des garderies jusqu’au cégep.

Ils passent leur vie à promener leurs flos d’un aréna à l’autre, d’un gymn à l’autre. Ils se fouillent à n’en plus finir pour les occuper. Comme si ces enfants n’avaient pas besoin , de temps en temps, de respirer sans ces parents obsédés par le mouvement perpétuel. Ou bien, ils leur achètent des cellulaires et des tablettes pour avoir la paix. Bref, ces enfants semblent leur empêcher de vivre leur vie. Ils rêvent souvent d’être célibataires encore une fois – le temps d’une fin de semaine, d’une vacance serrée dans le sud – et ne cessent de signaler le désert de leur couple déjà usé.

Dans ces cas-là, je pense aux enfants qui sont obligés de souffrir ce genre de parents désabusés qui ne savent pas quoi faire de leur peau sauf de s’imiter entre eux et de jalouser leurs voisins. Et, à la fin, de rêver que leurs enfants vont devenir plus riches qu’eux, plus célèbres, pour en profiter, j’imagine. C’est alors que le travail des enfants pas trop jeunes peut-être profitable, surtout pour les jeunes. Cette génération de parents désabusés qui passent leur temps à consommer et à rêver de gagner la loterie pour enfin réussir leur vie me désespère.

Mes parents étaient pauvres. Ma mère vendait des produits Avon pour boucler les fins de mois, mon père s’usait rapidement à travailler sur les chemins de fer. Ils s’occupaient de nous – on était 4 enfants, 2 sont morts en bas âge – et ont tout fait pour qu’on s’instruise. Ils savaient que c’était la clé. Ils y tenaient mordicus. Ma mère payait mes dettes de livres que je faisais venir par la poste aux Éditions Rencontres. Tout Victor Hugo, tout Dostoïevsky, Rimbaud, Verlaine.

L’été on travaillait pour payer une partie de nos études. On trouvait ça normal. Comme on était pensionnaires, on ne pouvait pas travailler pendant la période scolaire. Ça forme le caractère d’être pensionnaire un bout de temps. On s’en souvient pour le reste de ses jours. C’est un autre trip que dans une famille d’accueil mais il y a tout de même quelques ressemblances. On n’a pas le choix de composer avec notre entourage. Et c’est difficile de se sauver sans avertir.

Des étudiants de Secondaire ou de cégep qui travaillent 35 heures par semaine, c’est pas tout à fait l’idéal. Ils vont étudier quand? Je me souviens de mes heures d’enseignement au cégep où les étudiants – un certain nombre toutefois- justifiaient leurs absences, leurs travaux en retard parce qu’ils travaillaient. Quand je regardais le stationnement par la fenêtre, je me demandais comment faisaient-ils ces jeunes pour se payer le pick- up et le squidoo dans la boîte? C’est simple à dire mais à un moment donné faut choisir entre s’instruire sérieusement ou travailler pour se payer tout ce qu’on a envie d’avoir tout de suite. Les parents ont un rôle à jouer dans cette démarche. Ils ne le font pas toujours. Aujourd’hui les parents décrochent plus vite que les enfants. Je le déplore et – comme je le dis souvent en joke politique- c’est pas avec ce monde-là qu’on va faire avancer la région, le pays, la planète.

Pierre Demers, cinéaste, poète rouge, père et grand-père d’Arvida
n.b.prochain sujet : rois et reine des gratteux

n.b.2. la semaine dernière, dans ma chronique sur Montréal, en exergue j’ai écrit que Dany Laferrière avait le coeur deux fois à Miami. La première fois, c’était à Haïti que son cœur était, pas à Miami. La première fois là, la seconde fois à Miami et la troisième fois à Montréal. Personne ne m’a repris. Dommage. J’avais peur que Dany ou sa mère décédée me le reproche.

 


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