La place des humoristes

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
L’humour : la politesse du désespoir
-Chris Marker
Je déteste les humoristes québécois en général. Surtout la nouvelle génération qui apparaît à tous les 2-3 ans, fraichement sortie de l’École de l’humour(sic) ou de nulle part. On bien évidemment des médias sociaux qui propulsent n’importe qui un peu désemparé dans la sphère publique. «Je les déteste» comme disait mon petit fils à qui j’avais montré trop souvent La ruée vers l’or de Chaplin. Il ne pouvait plus endurer et le film et Chaplin. Trop c’est trop. Mon réflexe de prof de cinéma avait débordé.
Je déteste les humoristes québécois parce qu’ils ne sont pas souvent à la hauteur et ne me font pas rire. Ils me font plutôt pitié. Ce ne sont pas eux qui me font rire. Ils prennent surtout une place exagérée dans le discours collectif d’ici, la conversation publique comme dit N. Baillargeon.
Comme dirait Marker, il faut être plutôt désespéré pour avoir envie de rire autant dans notre belle province. C’est peut-être le désespoir collectif et sans doute aussi personnel qui pousse les jeunes à vouloir faire rire et les moins jeunes à payer le gros prix pour fréquenter nos salles de spectacles littéralement contrôlées par ces gens-là qui font métier de vouloir faire rire à tout prix pour satisfaire leur comptable.
Alors que le théâtre, la danse, la poésie, le cirque, les performances, même la chanson et j’en oublie sont relégués trop souvent aux oubliettes.
Un peu comme la télé, les humoristes ne devraient pas occuper le besoin de rire de nos voisins et de nos proches. Je prends comme exemple, la portée d’une émission comme Tout le monde en parle animée par un humoriste devenu au fil des ans une référence d’opinion plus ou moins juste. Je ne regarde pas cette émission le dimanche soir. Ce soir-là, je lis ou je visionne un des 450 films que je conserve dans ma cinémathèque. Ou je regarde un Stanley Donen avec Fred Astaire sur Silver Screen, une chaîne de vieux films américains. Je ne regarde pas cette émission – ma blonde non plus – parce que c’est une plogue, une émission publicitaire avant tout pour vendre ceux qui la produisent et ceux et celles qui y passent le temps d’un soir. On y plogue essentiellement la télé de la SRC et aussi celle des autres chaînes complices, les personnages publics qui sont sortis du bruit de la semaine précédente et des humoristes que l’animateur/producteur considère. Les politiciens et les «vedettes» rêvent d’y passer aussi pour se ploguer de même que pour entretenir leur réputation. Récemment l’animateur s’est même permis de se ploguer lui-même en signalant la renaissance d’une émission qu’il produit dans laquelle il est la vedette. Une auto plogue, faut le faire…
Comme l’émission lui appartient, il en fait ce qu’il veut.
Cette émission-là dure depuis trop longtemps, mais c’est une vache à lait. Depuis que Dany Turcotte (avec qui je faisais de l’impro au cégep) a tiré sa révérence, les comiques de service se bousculent pour aller y gonfler leur pension de vieillesse et leurs REER. C’est pathétique de les voir se bousculer au portail dominical. Je me souviens qu’au début de cette émission, c’est Michel Barrette qui avait été pressenti pour jouer le fou du roi. Avec lui aussi j’ai déjà fait de l’impro dans un tournoi régional célèbre. Depuis, il exerce parfois le métier de comédien dans certains films d’auteurs québécois – je crois qu’ils s’en tire assez bien comme acteur – il collectionne aussi des chars et se prend parfois, à la chaine Historia, pour un historien de l’Amérique. Tout en continuant de faire rire. Le monde est petit et tolérant envers ces gens-là.
Ce qui me fait rire plus que les humoristes c’est toutes sortes de choses.
Par exemple, une toune de Réjean Ducharme que Charlebois chante. Je vais la reproduire à la fin de mon papier…
Si vous ne trouvez pas ça drôle, c’est normal. Le texte a trop de sous-entendus.
Mais je déteste les comiques qui affichent leur maison à vendre à 2 millions$ sur le web, ceux qui font de la pub pour les vendeurs de chars parce que les millions$ qu’ils gagnent par année avec leurs shows en tourné ne les comblent pas. Tous ces comiques qui envahissent tous les champs d’activités, les films publicitaires pour vanter les régions comme la nôtre, les compagnies d’assurances, les campagnes de promotion pour n’importe quoi, assurer la survie des supermarchés de bouffe qui ne savent plus comment faire accepter la hausse des denrées de base, et surtout les talk shows et les émissions de télé sur n’importe quoi où ils se permettent de nous conseiller sur tout. J’oublie sciemment les galas télévisés où on les retrouve constamment avec comme mission de remplir les cases faciles à boucher avec des farces plates et grivoises.
J’oublie pour l’instant de glisser un mot sur les filles humoristes de la nouvelle génération qui se moquent de leur physique, de leur sens du rire de tout sans se retenir pour nous faire croire que chez elles les tabous ont sauté avec leurs sous-vêtements. C’est d’un pathos à toute épreuve. Même la Poune avait plus de classe que ces filles comiques qui éructent en scène et à la télé pour attirer l’attention et espérer un contrat de pub.
Bref, je reproche surtout aux humoristes québécois de se prendre pour d’autres. De voler souvent aussi bas que les influenceurs et les influenceuses qui délirent sur tout et sur rien avec un secondaire 4 et des grosses boules comme arguments de persuasion. On n’est pas loin d’une sorte de prostitution consentie. Sur ce point, le beau Martineau qui ferait n’importe quoi pour sauver son public et celui de sa blonde puinée a raison une seconde. Mais il est aussi parti prenante de ce genre de prostitution pour garder ses likes. Quand on pense que du temps de Voir où il était rédacteur en chef, ce gars-là était de gauche avoué, partenaire de tous les combats militants, camarade de Pierre Falardeau…Maintenant, Il tente d’être drôle pour promouvoir ce qui reste de l’empire Québécor en y tenant le rôle d’attaché de presse de la maison.
On vit maintenant dans un monde virtuel où l’insignifiance a la cote.
Les humoristes me font pitié. Martineau aussi qui a fait suffisamment de fric pour prendre sa retraite, au lieu de continuer à radoter ses mêmes sorties contre les carrés rouges et les syndicalistes.
Je les connais mal les humoristes du jour. Je ne les connais pas. Je suis de la génération qu’ Yvon Deschamps, de Sol, D’Oliver Guimond du Gala du même nom, de Claude Blanchard, des Cyniques qu’on écoutait religieusement à Noël, de Clémence Desrochers, de François Pérusse, de RBO, de Broue, de Paul et Paul, du groupe Saguin, mes étudiants au cégep (Dany, Pierre-Michel, Brisebois, Marie-Lise, ils étaient tous là) et Dominique Lévesque, mon confrère alors et de quelques autres. 4-5 ans effervescents, des soirées d’impro inoubliables à Télé-Québec avec, entre autres, Robert Lepage, Robert Gravel et Claude Laroche(Avec qui j’ai fait du théâtre au collège des Jésuites à Québec en 63-64).Tiens, je riais beaucoup aux shows de Richard Desjardins. Il est plus drôle dans ses chansons que bien des humoristes patentés de toute génération. Je ne déteste pas les Bougon. Ce n’est pas nécessairement les humoristes qui sont drôles ici.
Pour moi, Martin Matte qui vend des légumes ça me concerne pas. Même s’il a un gros chiffre d’affaire. Il se prend pour un autre, prétentieux et trop sûr de lui. Ses contemporains aussi. Des gros égos qui carburent aux jokes cent fois remâchées. Et surtout, aucune poésie dans leur discours. Que des efforts pour faire rire à tout prix. Des machines à faire du cash sur le dos du public naïf.
D’autres choses me font plus rire. Des films, des livres, des émissions de télé (Par exemple, la série Seinfeld), entre autres. La petite vie c’est bon, parce que c’est pathétique. C’est pas juste drôle. Si vous ne connaissez pas les films de Chaplin, de Keaton, de Laurel et Hardy (Les muets), d’Harry Langdon, de Fatty, à la limite Jerry Lewis, Jacques Tati, Woody Allen, Roberto Benigni, Nanni Moretti, c’est difficile à comprendre.
Le cinéaste le plus drôle au Québec c’est André Forcier, pas Émile Gaudreault. Mais Émile était un bon improvisateur. J’ai déjà improvisé avec lui au cégep, dans une autre vie. Un court métrage de Forcier tordant, Night Cap avec Denise Pelletier, disponible sur le site de l’ONF, si vous voulez vérifier ce que je trouve drôle.
Des dessins d’humour, le journal Charlie-Hebdo avec les éditoriaux de Riss que je trouve encore dans les rares tabagies à chaque semaine. Mais je m’ennuie du Hara-Kiri que j’achetais à mon dépanneur du coin dans un autre siècle avec les dessins de Reiser, Wolinski, Willem, Fred, Brétécher parfois, les textes de Cavanna, du professeur Choron, de Bernier. L’âge d’or de l’humour graphique français.
Ici la revue CROC dans sa phase mensuelle avant que l’équipe se tourne vers la télé.
Du côté américain, une référence, Mad magazine pour les dessins de Don Martin survoltés et hystériques qu’on trouvait partout.
L’humour ça ne s’apprend pas, ça se cultive. C’est une façon d’être, une vision du monde. Les grands comiques n’ont jamais suivi de cours. C’est quoi l’idée d’apprendre à rire du monde? On le sent nous habiter ce rire-là.
Nos comiques de fin de semaine utilisent des recettes toutes faites, souvent empruntées la plupart du temps à des modèles américains qu’ils piratent sur les médias sociaux. Rarement du comique visuel, que de la logorrhée verbale la plupart du temps.
Je termine avec une chanson composée par Réjean Ducharme qu’on retrouve sur l’avant dernier CD de Robert Charlebois, Et voilà. Son dernier, c’est un CD complet juste avec des chansons imparables de Ducharme. Ça c’est précieux parce que c’est à la fois drôle, pathétique et ultra conforme à notre destin collectif. Tout ça dans un texte de chanson inspirée et inspirante qui a été écrit dans les années 70-80.
Le titre : «Le manque de confiance en soi ».
Ça sonne un peu comme une plainte de candidat péquiste à la croisée des chemins, mais beaucoup plus assumée et détachée.
On va manquer notre coup/on va faire fallball/on va faire pétak/
On va manquer notre coup/on va se faire pogner/pis on va qu’y goûter/la police va nous voir/on va se faire avoir/on va manquer notre coup/c’est mieux de ne pas faire les fous/c’est mieux de rester tranquilles/on vas manquer notre coup/dérange rien, grouille pas/fais pas d’affaire comme ça/ou ben donc moé j’m’en vas/c’est rien qu’on paquet de troubles/on va manquer notre coup/ils sont deux fois plus gros/ils sont deux fois plus forts/on va manquer notre coup/Oh, ça va tourner mal/Qu’est-ce que va dire ma femme?/envoye, fais donc comme moé/pipi dans tes culottes!/on va manquer notre coup/the shit will hit the fan/on va toute être beurrés/j’aime mieux me faire écœurer/que de mourir de faim/on va manquer notre coup/on va se faire maganner/se faire battre à zéro/on va toutte souffrir/on va manquer notre coup/on fait mieux de pas y aller/restons touttes plantés là/on va manquer notre coup/c’est mieux de se fermer la gueule/c’est mieux de ne pas les faire choquer/ils peuvent devenir méchants/c’est mieux de faire attention
On va manquer notre coup/on va faire fallball/on va faire pétak/on va manquer notre coup/on va manquer notre coup/on va manquer notre coup.
On a manqué notre coup comme dirait Ducharme sur plusieurs plans, politique, culturelle, régional, etc.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : les journaux papier
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