La pandémie et après

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Les catastrophes (Et la pandémie du Covid en est une) suscitent deux comportements contraires : l’altruisme et l’égoïsme.
-Edgar Morin, Leçon d’un siècle de vie, 2021
Je m’ennuie un peu de la pandémie. J’en ai des souvenirs précis et parfois aussi vagues. Je me souviens des chiens avec leurs maîtres qui se promenaient dans la rue en face de chez moi. Je ne les vois plus. Ils sont rendus où ces chiens? Ont-ils regagné leur intérieur dodu chauffé? Pourquoi ne sortent-ils plus?
Que leur est-il arrivé? Sont-ils morts de mal attention? Je m’interroge. J’ai de la peine pour eux. Ils semblaient si enjoués pendant la pandémie? Je me souviens de la page couverture du magazine hebdomadaire The New Yorker auquel je suis abandonné depuis très longtemps.Le numéro du 15 mars 21. C’est le dessinateur britannique Tom Gauld (Très porté dans ses albums – traduits aux éditions Alto- sur les références scientifiques et sur les auteurs incontournables comme Kafka) qui imagine un quidam qui lance la balle à son chien dans la rue pendant que tous les autres le regardent de leur fenêtre.
Il y a aussi un chien dans une fenêtre qui trouve le temps long. Ça symbolise l’isolement du Covid, je crois et la chance d’avoir un chien pour pouvoir en sortir. Ça me fait penser aux mois de pandémie où l’on n’osait plus voir personne. Et comme je suis plus vieux que la moyenne des ours et de mes voisins, on me donnait l’impression que tout était de ma faute, moi le vieux qui ne peut pas résister au virus sans sa dose hebdomadaire de vaccins.
Quand je prenais des marches au début, je me souviens, les jeunes me regardaient comme un pestiféré. Je gardais mon masque pour éviter le pire et je portais des verres fumés pour me rajeunir. Et les masques, j’en étais particulièrement obsédé. Je les collectionnais, je les faisais venir d’un peu partout. Ma blonde collectionne les exemplaires Des fleurs du mal de Baudelaire, moi c’était les masques contre la Covid. Je me suis retrouvé à Laterrière , dans un dépanneur où il vendait des masques réputés fabriqués par le cercle des fermiers du coin. On y respirait mieux que dans les autres et la responsable de la création de ces outils à contrer le Covid était une infirmière de renom. J’en ai achetés trois pour ne pas prendre de chances. Ces masques se vendaient comme des petits pains chauds. Mais ils n’étaient pas comestibles. Ils nous donnaient que l’illusion que le virus passerait outre si on le portait. On pouvait les laver plusieurs fois sans trop les détériorer. J’ai conservé un sac plein jusqu’au bord de masques de toutes les dimensions et de toute origine. Je m’en suis même fabriqué au début avec un morceau de tissu sur une recette donnée par un militaire retraité qui expliquait comment transformer rapidement son mouchoir en masque comme il avait appris lors de la guerre au Vietnam. Après tout, comme disait le bon pm Legault pendant la pandémie, «c’est la guerre au virus». Lui, ses masques il les recevait par dizaines pour en faire la promotion à son rendez-vous télévisé. La fabrication de masques ou de purell est vite devenue le secteur d’avenir pour les pme en quête de nouveaux marchés. Puis, à un moment donné, le masque est passé de mode. Je veux dire que les vaccins aidant, on était moins contagieux. Mais tout en restant encore méfiants.
On se méfie plus davantage du monde depuis la pandémie. Je continue de me laver les mains partout par habitude. J’ai ma trousse de purell dans le char.
Quand je n’ai rien à faire, je vais me laver les mains pour une autre fois, en cas. On a développé des habitudes.
Dans les lieux publics, au cinéma, dans les salles de spectacles, à la quincaillerie, à la SAQ, dans les restaurants, je continue à garder mes distances. L’autre jour, à la quincaillerie, un entrepreneur pressé m’a quasiment donné un colleux à la caisse. Je n’étais pas à l’aise. J’ai failli lui demander si on était parent?
La pandémie m’a éloigné lentement des autres. Je ne suis pas contre. Il arrive que la solitude et la distance nous permettent de mieux prendre la mesure du temps et de l’époque minée qu’on traverse. Au moins la pandémie nous a réconcilié avec les scientifiques et les médecins qui ont guidé nos politiciens décideurs devenus des poules pas de tête. Désormais, ils semblent avoir plus la confiance du monde que les militaires ou les policiers. Bonne nouvelle, à mon avis pour la suite des choses et des pandémies.
Les sans réputation, je veux dire par là, ceux et celles qui exercent les métiers invisibles qu’on paye mal, ont eux aussi gagné du galon. Les jobs effacées qu’on ne veut pas reconnaître ont littéralement sauvé bien du monde lors du virus et on a été obligé de l’admettre, enfin. Les camionneurs, les plombiers, les électriciens parmi les services essentiels, les préposés aux bénéficiaires, les restaurateurs qui livraient leur bouffe, les livreurs, ceux et celles qui font le ménage la nuit dans les édifices publics, les hôpitaux, bref, tous ceux et celles qu’on ne voit jamais dans les talk shows à la télé ou à la une des journaux à moins qu’ils pètent un plomb un jour et se barricadent pour demander de l’aide, sont devenus essentiels.
J’ai conservé de la pandémie un laisser-passer de l’hôpital daté du 20 mars 2021 dont je suis assez fier. C’était le moment où on devait respecter le couvre-feu après 20 heures le soir. J’ai dû me rendre à l’urgence avec ma blonde parce qu’elle se sentait mal. Il n’y avait personne dans les rues. C’était désert. Ma blonde a passé la nuit à l’hôpital –on est jamais trop prudent à l’urgence – et moi je suis retourné chez moi avec mon laisser-passer.
J’attendais que la police m’intercepte pour l’afficher. Mais, pas de police. Je roulais tout seul sur la route sans me faire prendre. Mon «attestation de visite d’un usager» du CIUSSS SLSJ ne m’a pas servi. Je m’en sers aujourd’hui, pour écrire ce papier. Ce soir-là, sans doute, les policiers avaient jugé que la population avait compris le message et qu’eux aussi respectaient le couvre-feu.
La pandémie nous pend encore au bout du nez. Des amis, des proches, des voisins attrapent encore le Covid. Les vaccins répétés ont sûrement aidé à calmer le virus, mais on a fait la preuve qu’on n’était pas tout à fait préparé pour ce genre de pandémie. Et les conséquences de notre insouciance c’est que les personnes fragiles le sont de plus en plus parce que trop de soins on été reportés et ça continue de plus belle. Dans The New York Times (16 mars 23), un chirurgien, Atul Gawande, qui écrit des chroniques médicales éclairantes depuis des années dans The New Yorker entres autres, signale que la pandémie nous a révélé ce qui nous manque le plus en prévision médicale, aux USA comme ici, la surveillance de base pour pouvoir détecter les maladies avant qu’elles frappent trop fort. Les gens ont négligé de voir leur médecin régulièrement pendant la pandémie, l’espérance de vie aux USA a chuté chez les hommes de 79 à 76 ans. Ici aussi. Ce n’est pas rien.
Pendant la pandémie, on a vu mourir trop de gens mal diagnostiqués et coupés des soins médicaux essentiels. Son article, «The Aftermath of a Pandemic Requires as Much Focus as the Start» devrait inspirer notre ministre de la santé qui cherche désespérément un remède miracle pour remettre sur pied notre système de santé. C’est simple, il faut être capable de voir un médecin quand on en sent le besoin. Moi et ma blonde on a trouvé une façon de rejoindre le nôtre débordé par ses centaines de patients. Quand on doit le voir, on lui écrit une lettre et on va la porter à son bureau. Et le plus fascinant, c’est qu’il nous répond. Vous devriez essayer ça si votre médecin de famille est invisible…
Atul Gawande a écrit deux livres magistrales sur la pratique de la médecine et notre attitude en face de la maladie qui s’acharne, Being Mortal et Complications. Une phrase m’a marqué : «pour vivre plus longtemps malade il faut ne pas essayer de vivre plus longtemps» (C’est moi qui a traduit). Ce médecin doublé d’un écrivain hors pair conseille maintenant le président Biden en matière de santé et il est administrateur pour l’Agence américaine internationale.
De temps en temps il chronique encore dans les journaux et les revues. Comme vulgarisateur de la médecine, on peut difficilement trouvé mieux. Ses livres ne sont pas encore traduits, mais l’anglais ça s’apprend. La médecine aussi. C’est pratique en temps de pandémie. Sans eux, les politiciens sont perdus.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b. prochain sujet : la place des humoristes
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