Rois et reines des gratteux au Royaume

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

Nul vainqueur ne croit au hasard
-F. Nietzsche

Or donc, selon un dernier sondage maison de TVA sur les performances de Loto Québec, nous serions parmi les adeptes les plus fidèles des propositions de cette entreprise gouvernementale qui s’est donnée pour mission de divertir les plus de Québécois possible. Les joueurs et joueuses d’ici avec ceux et celles de la Côte-Nord dépensent en moyenne 162.53$ et plus sans doute par année pour acheter des billets de loterie. Suivent ceux et celles du Bas St-Laurent et de la Gaspésie. Loin derrière les joueurs de l’Estrie, de Montréal et de Québec.

Comme si dans les grands centres urbains on n’avait même pas le temps de gratter.

Le royaume du Saguenay est le royaume des gratteux et des gratteuses. Ça ne me surprend pas outre mesure. Ça m’allume évidemment. Je me mets à écrire tout seul quand j’apprends ce que je savais un peu d’avance. Mal pris, on prend souvent une dernière chance avant de tout laisser tomber. Ou on veut s’amuser à tout prix, ou on essaie le tout pour le tout.

J’ignore combien de fois j’ai tonné contre des madames ou des bonhommes, au supermarché, au dépanneur et à la pharmacie qui s’achetaient de billets de loterie nous empêchant régulièrement de faire un coup vite, de ne pas trop perdre de temps dans ces lieux de commerce obligé. Les regarder investir toutes leurs économies dans l’achat de cette richesse illusoire me donne souvent mal à l’âme.

Il m’arrive souvent même de leur parler, de leur demander si ce ne serait pas possible d’acheter leurs damnés billets un autre temps que sur les heures de pointe. À cinq-six heures le matin, par exemple, au lieu de 5 heures du soir. Ils vous regardent alors d’une drôle de façon en voulant dire qu’ils sont libres de retarder la vie de tout le monde pour leur bon plaisir de s’amuser à tenter de déjouer le hasard. Pour avoir la chance de gagner ce qu’ils n’auront sans doute jamais, l’indépendance financière totale et définitive. Le nirvana des capitalistes qui ont enfin réussi à s’en sortir d’un coup de baguette.

Ça fait surtout plaisir à Loto Québec qui engrange en 2021-22, 982,7 millions$ pour ses diverses activités qui vont des casinos, des machines à sous et autres appareils de loterie vidéo dans les bars en passant par les casinos en ligne qui sont en progression depuis la pandémie.

Et il semble que le meilleur pour les profits de Loto Québec est à l’horizon avec l’installation bientôt de terminus ou caisses en libre service pour l’achat de billets. Au lieu de retirer de l’argent aux guichets automatiques, vous en déposerez pour vos billets de loterie .On espère en installer partout à travers le Québec pour remplacer ces kiosques de vente qu’on rencontrait dans les centres d’achat et qui permettaient aux organismes sans but lucratif de financer une partie de leurs activités.

Le meilleur est à venir comme le souligne le pdg de Loto-Québec, Jean-François Bergeron, qui ne cesse de penser à l’avenir de sa société et à notre plaisir ludique. «Dans le commerce de détail, surtout les grandes surfaces, on voit qu’il y a une tendance à migrer une portion de leur caisse en libre-service. Les habitudes de consommation changent et notre mission c’est de s’adapter.»(Le Soleil, 14 décembre 2022)

Et j’imagine aussi faire grimper un peu plus chaque années les profits d’une des vaches à lait du gouvernement québécois. Mais évidemment, en ajoutant que la dépendance aux jeux de hasard continue de préoccuper la société d’État depuis toujours…

Jouer sans se ruiner a bien meilleur goût.

Pour les psychologues et sociologues de Loto-Québec, il semble que l’achat de billets de loterie soit inscrit dans la culture des Québécois. Bien avant Loto-Québec (société créée en 1969), les joueurs et les joueuses d’ici achetaient des billets de loterie des pays étrangers (Irlande, États-Unis) pour suivre la tradition de jeux de hasard bien implantée dans nos mœurs.

Mon père avait son carnet de billets de la loterie et, de temps en temps, il gagnait 10$ en le soulignant allègrement à son entourage. Il n’a jamais gagné beaucoup plus. Il rêvait tout simplement de gagner le jack pot comme la plupart de ceux et celles qui en achètent. Pourquoi les Saguenéen et sans doute aussi les Jeannois sont-ils les rois et les reines des gratteux? Délicate question à laquelle je réponds sans trop me compromettre.

D’aucuns spontanément répondront qu’ils rêvent de richesse instantanée. Ça veut vouloir dire en quelque sorte qu’ils sont pauvres. Donc, est-ce seulement le pauvre ou la pauvre qui achète des gratteux et autres billets de la loto? Je ne crois pas. Les riches ont aussi ce réflexe de vouloir tenter le hasard à tout prix, même en se payant un gratteux.

Ce ne sont pas juste les non scolarisés qui croient dur comme fer ce qu’ils entendent à la radio sportive ou poubelle qui achètent des gratteux. J’imagine que les universitaires et les intellectuels de tout acabit se laissent tenter eux aussi par les sirènes de Loto-Québec. Dans mon temps de syndicalisme au cégep, on avait invité l’écrivain Gil Courtemanche, l’auteur du roman Un dimanche à la piscine à Kigali comme conférencier. En arrivant à Jonquière, je lui avais remis son cachet et son per diem.

Il avait passé le reste de la soirée et une partie de la nuit à jouer sur un appareil de jeu vidéo au resto Le Barillet. Le lendemain matin, à Cépal, il nous avait entretenu de la solidarité internationale avec verve et brio.

Ça le détendait et lui permettait sans doute d’oublier pour quelques heures son cancer des poumons en phase terminale.

On ne joue pas nécessairement pour devenir riche. On joue souvent pour le plaisir, pour le trill de voir quelque chose arriver. Pour s’isoler du reste de son monde et de sa vie plus ou moins pénible.

Dans les centres d’achat, il y a des tables de gratteux et de gratteuses qui grattent par habitude. Pour passer le temps bien souvent. Le jeu comme loisir en somme. Comme ceux et celles surtout qui vont jouer au bingo à tous les soirs, sauf le vendredi parce qu’il n’y en a pas.

Ils y vont pour sortir de la solitude bien souvent. Pour rencontrer leurs amies de bingo. Ils peuvent parfois gagner le gros lot, mais pas souvent. Ils choisissent de dépenser le peu d’argent de loisirs qu’ils ont pour ça.

Je trouver que le jeu, les gratteux, les casinos et autres machines à sous sont assez pervers. Ils créent des habitudes et donnent des illusions de pouvoir s’en sortir un jour. Ce sont des machines à rêver. Certains y perdent beaucoup et souvent détruisent le peu de stabilité qu’ils avaient.

Sur internet, je connais des gens pas trop vieux qui se ruinent à la longue en croyant pouvoir s’en sortir.

Je ne suis pas objectif. Je n’ai jamais acheté beaucoup de billets de loterie. Deux ou trois dans ma vie et par curiosité. Je n’ai pas la fibre joueuse. Quand j’étais à l’Université Laval, on jouait beaucoup aux cartes à l’argent à la cafétéria. J’ai raté beaucoup de cours pour perdre une bonne partie de mes bourses d’études. Cette leçon m’a dompté pour le reste de mes jours.

Certains étudiants sont devenus des joueurs professionnels à ce niveau universitaire. Il fallait être déterminé pour quitter les tables de cartes qui, dans le temps, regroupaient un bon nombre de nos amis. Quitte à oublier les heures de cours, d’examens et les noms des profs qui nous demandaient ce qu’on faisait dans leur salles de cours lors des examens.
Le jeu s’infiltre facilement et sournoisement partout. La raison en est fort simple : la naïveté et l’ignorance des règles en vigueur dans ce domaine sont mal connues et révélées.

C’est une façon comme une autre d’intervenir dans sa vie, de tenter quelque chose, de se dire que ça ne peut pas toujours mal se terminer.

Je me suis toujours demandé pourquoi faire une autre nouvelle avec un no name qui vient de remporter le million. Loto-Québec doit faire des pieds et des mains pour propager la bonne nouvelle. Les médias sont de connivence avec la société d’État pour faire connaître et féliciter les heureux gagnants le plus rapidement possible. Mais on ignore ce qui leur arrive par la suite. C’est ce côté-là des gagnants qui serait intéressant à connaître et à fouiller davantage. Les médias produisent même des émissions-télé sur les heureux gagnants, entretiennent le suspense pour nous faire croire que tout est possible pour touts les acheteurs de billets. Le réseau TVA est passé maître dans ce placement de produit ludique. Des animateurs passent leur vie à propasger la bonne nouvelle de Loto-Québec.

Les Lavigueur sont sans doute une famille beaucoup étendue que l’on pense. Il faudrait peut-être y inclure les Tremblay avant longtemps, comme des parents élargis. Rois et reines des gratteux d’un royaume qui s’appauvrit. C’est bon de le savoir.

Pierre Demers, cinéaste et poète d’Arvida
n.b.prochain sujet : nos itinérants


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