L’étirement urbain ou condos de luxe

Chroniqure de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

Un bon arbre peut loger dix milles oiseaux
– proverbe birman

J’aimerais ça lui parler le promoteur qui a eu l’idée le premier de proposer au conseil municipal de j’ignore quelle ville d’aménager des quartiers drabbes en périphérie. Je voudrais juste lui dire que ce n’était pas une bonne idée. Je sais qu’il va me dire que c’est le maire et les conseillers municipaux qui ont insisté pour en avoir de ces quartiers qu’on appelle maintenant de l’étalement urbain. Moi je préfère dire de l’étirement urbain.

C’est n’importe quoi ces quartiers mais pas du tout des milieux de vivre ensemble comme ils disent dans les études démographiques et urbanistes. C’est loin de tout, un puisant malentendu municipal. Très loin d’une bonne idée. Un cul-de-sac.

Tout simplement pour faire plaisir aux élus municipaux qui cherchent désespérément des sources de financement pour ne pas augmenter les taxes. Ça fait pitié et personne ne veut l’avouer, encore moins les urbanistes et les architectes qui contribuent à l’entreprise depuis des années. Pour tout ce beau monde, l’affaire rapporte et fait tourner l’économie comme ils disent si bien. Leur économie évidemment.

Mais ces fameux quartiers d’étirement sont-ils des lieux de vie communautaire vivables? Attractifs comme ils disent? Souhaitables par les temps qui courent? Que pensent les gens qui y habitent de leur non-vie de quartier? Faudrait enquêter là-dessus. Questionner ceux et celles qui y habitent sous le couvert de l’anonymat pour en savoir un peu plus. Le bonheur de vivre de ces quartiers sans vie collective et communautaire est-il mesurable?

Durant les fêtes, une amie m’ a invité chez elle, dans un de ces quartiers situé pas tellement loin de chez moi, le long d’une autoroute évidemment. J’ai tout de suite reconnu le coin. Je faisais mon parcours de vélo par là, où elle habite, les siffleux sortaient au printemps pour me signaler que l’hiver achevait. Il y avait une terre agricole et le calme plat dans ce coins-là. Aucune âme qui vive à part mes amis les siffleux et leur famille.

Maintenant, il y a des petites rues partout à la place du foin et des condos de luxe tous pareils à n’en plus finir. Tous pareils évidemment et surtout habités par du monde qui ne se connaisse pas et qui ne se parle pas souvent.

Deux ou trois chars à la porte et une petite cour arrière pour faire semblant qu’ils ont une vraie propriété. Parfois, une balançoire pour occuper la saison sans neige.

Les condos de luxe sont construits en hauteur surtout. On ménage l’espace, le terrain. Les entrepreneurs ont compris qu’il faut occuper le moins de terrain possible. De cette façon, il coûte plus cher. On spécule sur sa rareté. La ville aussi a compris ça. C’est du pied carré qu’on vend, pas le bonheur d’avoir sa propre maison. On étire les petits terrains vendus la peau des fesses. Le terrain coûte parfois aussi cher que le condo dessus.

Ça ressemble à quoi un condo de luxe? Comme je viens de l’écrire, c’est fait en hauteur. Disons celui que j’ai vu a trois étages. On rentre, on est dans le salon. Au fond, la salle à diner et à droite la cuisine. Comme une grande pièce sans division. Au fond la porte patio pour aller et regarder dehors la galerie et la petite cour entourée d’une clôture. La clôture est bien importante. Ils en ont tous. Ça délimite ton lieu de vie.

J’allais oublier, quand on entre dans le condo de luxe, il y a une toilette à droite face au salon. Aussi une fenêtre à gauche de la porte. C’est l’étage où on rentre. Pas de fenêtre sur le côté gauche derrière le grand divan. D’ailleurs, la fenestration laisse à désirer dans les condos de luxe parce qu’ils ont des voisins collés en forme de mur isolé. Voilà.
Ensuite on peut descendre dans le sous-sol fini ou monter à l’étage. Il y a beaucoup d’escaliers dans un condo de luxe parce que c’est construit en hauteur. Vous me suivez. On descend dans le sous-sol. Il est tout de même fini.

Là aussi on trouve une toilette. Comme si les acheteurs de condos de luxe avaient l’envie plus facile que les autres de se soulager plusieurs fois par jour et par nuit.

Dans le sous-sol donc, un grand espace libre avec une petite fenêtre de cave évidemment.

Dans le fond, la salle de lavage pour y ranger laveuse, sécheuse et pas loin le gros chauffe-eau de même que le système de chauffage de la maison. Aussi un peu d’espace qui reste pour convertir en petit atelier et lieu de rangement de toutes sortes d’affaires qu’on pourrait mettre dan s le garage s’il y en avait un. Mais il y en n’a pas dans le condo de luxe que j’ai visité. Le sous-sol, en fait, une sorte de cave bien rangée ou pas.

On prend l’escalier et on monte à l’étage. Ça fait des marches ça.

À l’étage tout de même, il y a plus de fenêtres. Une petite chambre trop petite pour y mettre un lit double. On s’en sert comme bureau et réserve à souvenirs. À côté, une salle de bain toute équipée. Un bain, une douche, une toilette, des armoires en masse.

En face, la chambre des maîtres et des maîtresses. Une grande chambre avec une fenêtre donnant sur le stationnement pour – sans doute – surveiller sa et ses voitures durant la nuit pour qu’elles ne se sauvent pas toutes seules.

En fait, c’est un peu ça un condo de luxe.

On peut aussi faire installer un système d’air climatisé pour moins suer durant les trois semaines de canicule de l’été.

L’environnement maintenant.

Autour, ce sont tous des condos semblables. De la même couleur brun pâle. Moi j’appelle ça drabbe.

Quand on sort de son condo de luxe, on va où? En voiture on s’y éloigne sans doute le plus loin possible pour penser à autre chose. On prend l’autoroute à côté. On dirait qu’elle se dirige toujours vers les centres d’achat et les super marchés. Ça c’est bien important, le condo de luxe me semble inhabitable pour quelqu’un qui ne roule pas en voiture. À pied ou à vélo, tu ne restes pas là-dedans. Les distances sont trop grandes pour survivre à long terme. À un moment donné, tu veux sortir, aller ailleurs. Sans voiture, c’est impossible. Même les transports en commun ne sont pas efficaces pour couvrir ce genre de quartiers drabbes.

Si tu veux aller faire un tour de vélo, prendre une marche, tu dois affronter l’autoroute et le circuit des voitures. À pied, tu fais vite le tour. Il n’y a pas de parc dans ce genre de quartier, pas d’arbres, rien à voir à part les autres condos de luxe. L’horizon est dessiné par les autres condos de luxe.

En rentrant dans le quartier, au coin de la roue principale et de l’autoroute, on trouve un dépanneur qui sert aussi de station d’essence. On ne peut pas faire son marché là. Ça coûte plus cher parce que c’est un dépanneur et il n’y a pas de choix.

Ce n’est pas une place pour vivre, un quartier comme celui-là. Les gens y habitent pour dormir entre deux fuites en voiture. Je ne comprends pas que tant de monde décide de s’installer dans ce genre de condo de luxe construit uniquement pour permettre aux gens de prendre l’autoroute plus rapidement le matin afin de se rendre à leur lieu de travail à la vitesse grand V.

Ça coûte combien un condo de luxe comme celui-là que je vous ai décrit? 150 000$, 200 000$ facilement. On peut le louer à 2000$ par mois plus les frais habituels (électricité, chauffage, etc).

L’étirement urbain c’est un peu ce que je viens de vous décrire. Une sorte de no man’s land. Sur le bord de l’autoroute. Encore une fois, c’est la voiture qui décide où vous allez habiter et vivre une bonne partie de votre vie. Les villes comme la nôtre ont décidé ainsi de s’étirer à l’infini à cause du désir des citoyens qui veulent ce genre de vie. On dirait des condos en forme de cellules rattachées les unes contre les autres pour ne pas se sentir trop seuls. Mais ces citoyens-là sont tout seuls dans leur bulle, tout seuls dans leur condo de luxe à tenter de vivre avant leur vacance annuelle, les jours fériés, leurs congés de maladie, leur prochain divorce ou la naissance de leur premier enfant. Mais je n’aime pas imaginer une vie de flot dans un quartier drabbe où ils ne peuvent pas expérimenter l’inconnu d’un boisée, de ruelles perdues d’un centre-ville, de tournées à vélo dans des rues toutes croches où l’on peut circuler librement sans se faire avertir par les flics qui interdisent la présence du vélo sur les autoroutes. Pas de parcs dans ces quartiers drabbes, pas de dépanneurs moyenâgeux, pas de garages pour flâner, par de terrains vagues pour explorer et courir les siffleux. Pas de maisons squattées.

En revenant de ce condo de luxe habitée par une amie, j’ai essayé d’imaginer comment recycler ce type de quartier pour favoriser un meilleur vivre ensemble. J’ai trouvé une solution radicale qui pourrait améliorer le sort des gens qui habitent ces condos de luxe. Transformer l’autoroute tout près en jardins communautaires, en pistes cyclables et piétonnières.

Évidemment, il y aurait quelques réticences de la part des élus et des entrepreneurs. On n’aura qu’à tenir notre bout et à exiger un referendum sur la qualité de vie communautaire dans ce genre de quartiers. Les gens se mettront alors à réfléchir sur l’avenir que leur réservent ces condos de luxe uniformisés. Sur l’environnement qui les entoure. J’ai confiance que cette réflexion impromptue puisse porter ses fruits. L’effet de surprise fera le reste du travail. Sans idée neuve, on fonce droit dans le mur dit le vieil adage (énonciation courte facilement mémorisable). Je préfère me fier à un adage qu’à un conseiller municipal Qui défend bec et ongles l’étirement urbain en toute candeur. On en est rendu là.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b. prochain sujet : Montréal vue d’ici

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