Résidences secondaires

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Tout le malheur des hommes tient au fait de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre.
-Blaise Pascal (1623-1662)
Le phénomène des résidences secondaires m’étonne et me tourmente. Je n’arrive pas à sentir et à reconnaître le besoin de ceux et celles qui sentent la nécessité d’une résidence secondaire ou de quelque chose qui se ressemble pour mieux respirer dans la vie. Comme s’ils avaient besoin de se déplacer continuellement pour se considérer plus en prise sur la vie.
Des exemples limites maintenant.
Je serai honnête en considérant les avantages et les désavantages des choix des personnes qui prennent cette décision. Les moyens aussi qu’elles investissent – j’imagine – pour aller d’une place à l’autre, et vice versa. Je réfléchis tout haut simplement. Ce n’est pas un sujet de résistance universelle. Certains sont touchés, d’autres moins. Ça dépend de chacun. De son style de vie, de la façon de s’organiser.
Bon, des exemples.
Pendant des années, j’ai connu et fréquenté pour des raisons familiales une bonne personne
Et son mari qui allait avec qui demeurait à Jonquière. À chaque été, quand le soleil commençait à chauffer plus qu’à l’habitude, disons vers la fin de juin, elle déménageait dans un chalet tout de même bien équipé, au lac Kénogami. Le voyage ou l’aventure durait environ 15 à 20 minutes. Elle fermait littéralement sa maison plus grande que celle des autres voisins j’imagine pour aller s’installer en périphérie où les brûlots et les mouches l’attendaient.
La bonne personne en question s’en foutait car elle ne sortait pas beaucoup trop occupée à préparer les repas pour plein de monde plus les visiteurs et à entretenir le chalet plus ou moins bien équipé.
Deux fois par semaine, elle retournait en ville – 10 à 15 minutes – pour faire les lavages et passer faire le plein à l’épicerie.
J’ignore si ce temps d’arrêt estival dans l’été permettait à cette bonne personne de faire le plein et de se sentir ailleurs. Mais c’était comme ça. Elle prenait le large à disons 15 minutes de chez elle. Les autres aussi qui l’entouraient, touts et toutes des bonnes personnes aujourd’hui dispersées, semblaient faire de même. Elles prenaient le large.
On a tous envie à un moment donné dans la vie ou dans l’année –c’est pareil – de prendre le large. De se retrouver ailleurs.
C’est ce que ces gens-là faisaient.
J’ai trouvé ça bizarre de prendre le large à 15 minutes de chez-soi. Pour moi prendre le large, c’est prendre le large. Aller ailleurs, s’éloigner. Se dépayser. Comme dirait Nicolas Bouvier y goûter suffisamment pour avoir envie de revenir tant la vie devient pénible et dangereuse.
La bonne personne qui prenait le large à 15 minutes de chez elle durant l’été me semblait pourtant satisfait de son dépaysement. Elle n’en demandait pas plus pour s’éloigner d’elle et de son habituel. Elle semblait satisfaite.
Certains et certaines n’ont pas besoin de prendre l’avion et de se retrouver à des lieux de chez eux pour se sentir ailleurs. Dans le fond, j’admire cette personne qui n’a pratiquement jamais voyagé de sa vie et qui, à chaque été, disparaissait 15 minutes de son univers pour se sentir ailleurs.
D’autres cas parmi tant d’autres.
Une autre bonne personne qui gérait d’une certaine manière un garage toute la semaine durant, pour avoir la paix, prenait elle aussi le large mais un peu plus loin. Deux heures de route dans un chemin de gravelle avec sa famille pour avoir la paix et ne plus répondre aux clients qui ignorent les fins de semaine. Deux heures de route vers la forêt et un chalet grand comme une maison construit de ses mains avec son fils débrouillard comme lui et des matériaux repris dans les éco-centres d’avant quand on avait le droit de récupérer toutes sortes de choses dans ces dépotoirs d’antan.
Deux heures et plus pour y aller le vendredi soir, deux et plus pour s’en revenir le dimanche soir entre deux camions de pitounes qui circulaient sur cette route, jour et nuit, été comme hiver.
L’hiver aussi il s’y rendait avec sa famille pour aller faire du skidoo et poser des pièges. Résidence secondaire obligée pour se sauver de l’ouvrage et des automobilistes tenaces qui sont toujours mal pris avec leur minounes.
C’était aussi une résidence secondaire pour aller vivre dans le bois. Ce monsieur là n’était pas un gars de la ville, plutôt de la campagne à la limite de la forêt. L’été il allait aussi dormir dans son char ou dans un shack avec sa famille toujours pour aller cueillir des bleuets pour augmenter ses revenus qui n’étaient pas trop élevés. Une autre sorte de résidence secondaire entretenue avec les moyens du bord.
Mais certains autres plus fortunés peuvent se payer des résidences secondaires aussi confortables, sinon plus que leur résidence principale.
Ils s’en procurent près des centres de skis ou le long des lacs inaccessibles pour y séjourner, de temps en temps. Quelques fois par année. Pour se sentir amicaux, ils les prêtent ou les louent à des amis de passage. Ces résidences très secondaires qui attendent leurs occupants sont très nombreuses. C’est une façon pour ces gens fortunés de dépenser sur surplus de revenus. Pour eux, ils considèrent ces résidences comme des «investissements». C’est une façon comme une autre de voir la vie.
Quand il y a eu un glissement de terrain majeur à Rivière Éternité récemment, je me souviens d’une entrevue avec une sinistrée qui avait des dégâts considérables dans sa résidence secondaire dans ce village. La madame en question avait sa résidence principale à Laterrière et les fins de semaines, sans doute pour se dépayser, se rendait là. Elle avait avoué que le sinistre ne la dérangeait pas tellement, parce qu’elle n’habitait là que quelques fins de semaine par année, surtout durant ses vacances.
Chez-nous, quand j’étais jeune, on n’avait pas de résidence secondaire. Mon père était déjà assez content de pouvoir se payer une petite maison avec son salaire de cheminot. Pour boucler les deux bouts, ma mère vendit des produits Avon et plus tard s’est retrouvée secrétaire à l’hôpital du village.
J’avais une tante plus fortunée – elle infirmière et son mari agent d’assurances – qui avait un chalet au lac Clair près de Saint-David de Falardeau. Quand j’étais jeune (Disons 12-14 ans), j’y suis allé passer des semaines l’été. Je faisais des travaux manuels, de la peinture et je me baignais dans ce lac à l’eau claire. Je dormais près du plafond où il faisait atrocement chaud.
Mais je ne me plaignais pas. J’étais logé, nourri et baigné dans le lac.
Mon oncle arrivait de son bureau à chaque soir et faisait des farces pour amuser la galerie et le petit gars de passage. Moi, j’étais docile, je riais.
Ils restaient dans une belle maison à Chicoutimi. Là aussi le voyage entre la résidence permanente et la secondaire n’était pas très long. Eux aussi passaient leur été au lac Clair.
Les voisins qui les entouraient à leur résidence secondaire habitaient en grande partie dans le même quartier où ils vivaient en ville.
Moi je ne me posais pas de questions sur leur déménagement estival. J’en profitais et je profitais du lac. Je les trouvais chanceux d’avoir deux places à vivre. Ce n’était pas le cas chez-nous.
Mon oncle curé qu’on appelait mon oncle l’habbé (Un Eudiste), demeurait dans une résidence de prêtres durant l’année et l’été lui aussi déménageait dans une résidence secondaire de sa communauté située sur l’Île d’Orléans. Il nous a amené une fois là mon frère jumeau et moi. C’était immense. Mais la plage était pleine de cailloux et les curés ne se baignaient pas. Ils étaient tous assis soit sur la grande galerie, soit sur la plage sous un parasol en train de lire leur bréviaire.
Au Saguenay, la résidence secondaire est souvent limitée à sa plus simple expression. C’est souvent un camp de chasse ou de pêche avec les commodités de base. Les hommes s’y retrouvent plus souvent que les femmes. Ils s’en servent comme d’un refuge pour faire le point sur n’importe quoi. Ils se retrouvent entre amis pour – parfois- se livrer à des confidences qu’ils peuvent difficilement avouer dans des conditions normales. C’est comme une sorte de retour à la nature. Ce type de résidence secondaire joue souvent le rôle que jouait la taverne à l’époque. Que des hommes et un sérieux besoin de changer d’air.
Une autre résidence secondaire semble avoir la cote de plus en plus, le VR de voyage. Une sorte de roulotte dans laquelle on peut presque tout faire : dormir, faire à manger et regarder la télé à la limite.
Il y en a qui passent leur été, surtout les retraités, à sillonner les routes d’ici et d’ailleurs. Ils partent au début des fons de semaine puis reviennent une journée ou deux pour faire leur lavage. Ensuite ils repartent la semaine suivante. Quand ils ont attrapé la piqure de la route, ils vont souvent vendre leur maison ou quitter leur appartement pour devenir nomades à leur façon. Ils s’achètent un VR de luxe qui coûte souvent le prix d’une maison pour y loger en perpétuité. Au moins jusqu’à ce qu’ils puissent encore conduire et souffrir le trafic routier. Ils vont passer leurs hivers dans le Sud et reviennent ici l’été souvent pour s’installer dans un village de routiers, comme par exemple celui de Saint – Ambroise du Géant motorisé. Je ne porte pas de jugement sur ces choix. On est tous libres de passer sa vie dans la résidence secondaire de son choix. Mais, le bilan carbone des VR n’est pas reluisant. Et j’ignore le plaisir qu’on peut ressentir à rouler avec un VR dans le trafic.
Pour ma part et c’est évidemment très personnel, ma résidence secondaire préférée c’est ma tente que je peux monter ou démonter où je veux. Évidemment, l’hiver c’est plus risqué.
Les tenteux se font de plus en plus rares. Les VR prennent beaucoup de place sur les terrains de camping. On finit par s’habituer. L’avantage d’une tente c’est que c’est accessible pour tout le monde. L’été en ville, les itinérants l’adoptent très régulièrement malgré le fait que les autorités municipales s’y opposent. On ne cesse de démanteler leur camping de passage. À lire dans Le Devoir du 30 juillet, trois reportages sur des itis qui défendent leur tente malgré tout. Pourquoi ne pas leur réserver des terrains à leur intention. Eux aussi ont droit à une résidence secondaire. Leur principale, c’est la rue.
Ils n’ont pas besoin de résidence passagère. Longeons-les pour le vrai. C’est la solution pour qu’ils puissent s’en sortir plus longtemps.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
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