Les bals de finissant(e) s

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Bal : assemblée dansante.
Ironiquement : donner le bal à quelqu’un, le maltraiter
– dictionnaire Littré, 1873
J’ai toujours trouvé que les bals de finissants et de finissantes à la fin des années secondaires me semblaient le plus beau des prétextes des jeunes pour s’envoyer en l’air et retomber sur la tête. Ils y mettent tellement d’énergie, de moyens financiers et autres que ça me décourage, bien souvent.
Du linge neuf pour épater la galerie, des limousines pour faire comme Céline Dion et des bouteilles de fort dissimulées un peu partout. Et aussi l’agencement de couples plus ou moins assortis le temps d’un bal ou d’un after comme ils disent si bien. Mais c’est un incontournable pour la suite des choses et des générations.
Exemple, pendant la pandémie, le fait de ne pouvoir tenir un tel événement régulateur d’un passage obligé en milieu scolaire a failli déclencher une troisième guerre mondiale dans les écoles secondaires de la région. Même les élus se sont mis de la partie pour prendre en pitié les jeunes étudiants désireux de perpétuer la tradition avec masque ou pas. Les parents semblaient plus empressés que les jeunes pour réclamer l’événement à tout prix malgré le Covid et les dangers de contamination. La fête avant tout le reste. Le désir de faire pareil.
La solution a été trouvée : ils célèbreraient leur fin d’études à l’extérieur en respectant les consignes et la fameuse distanciation. Vous vous en souvenez? Les étudiants auraient monté aux barricades pour célébrer la fin de leurs études secondaires. Auraient-ils eu le même réflexe pour améliorer leur sort d’étudiant conditionné bien souvent par un régime qui ne leur donne pas souvent le droit de parole lors des décisions pédagogiques essentielles? Je me permets d’en douter.
On ne peut même pas leur parler de l’interdiction possible du cellulaire en classe sans qu’ils menacent de poursuite en cour suprême. Peu d’entre eux ont conscience que le cell est sans doute l’instrument le plus nocif à l’apprentissage en classe. Parlez-en aux profs, aux étudiants qui veulent davantage se concentrer sur l’enseignement.
Pourtant on a bien documenté les effets nocifs de la dépendance des jeunes et des moins jeunes au cell et aux réseaux sociaux. Comme des troubles psychologiques graves, le manque de concentration permanente, la difficulté à conceptualiser, le besoin maladif de recourir aux écrans pour tout, l’angoisse de ne pas y avoir recours dans la seconde près. En somme, le cell et les médias sociaux ont transformé leurs usagers en sujets dépendants ou si vous voulez en drogués du virtuel. Les étudiants peuvent difficilement rester une heure dans une salle de cours attentifs sans paniquer. Il leur faut recourir au cell pour ventiler.
Comme il ne veut plus faire de vagues, le ministre de l’éducation actuel, Bernard Drainville, semble être de leur bord. Il va sans doute plaider pour leur cause en utilisant le fameux argument massue des bien pensants, la liberté d’expression ou la sécurité des élèves et le sens commun des parents attentifs. Comme si sans cell dans ses poches, on risquait de se perdre et de se faire attaquer par les extraterrestres de ce monde.
Alors qu’on sait très bien que le cell accordé aux jeunes très tôt, même un peu avant l’adolescence, sert autant les parents que les enfants. C’est un outil de surveillance plus ou moins avoué.
De leur côté, les jeunes s’en servent pour se construire à tord une réputation sur les réseaux sociaux et leurs parents, à leur tour, les surveillent en leur demandant très souvent de se rapporter le plus souvent possible. Beau prétexte pour s’épier mutuellement et miner la confiance de tous et chacun.
Les adultes aussi se servent du cell pour se faire une certaine réputation et surveiller parfois les allées et venues de leurs proches, de leur chum, de leur blonde. Il est inutile d’insister sur les usages néfastes des médias sociaux utilisés de plus en plus comme des sources fiables d’information et de vérification.
On devrait au moins avoir la prudence d’écarter les étudiants de ces sources de rumeurs et de préjugés en milieu scolaire. Leur donner une plage de réflexion et d’étude différente hors
De portée du cellulaire.
En France, en Suisse, dans les Pays-Bas bientôt le cellulaire en classe est interdit. La pression contre sa présence est exercée par les enseignants en grande majorité. J’ai enseigné quelques temps avec le cell en classe. Les étudiants sortaient pour aller répondre à leurs appels régulièrement. Quand j’y pense aujourd’hui, j’ai peut-être pris ma retraite pour protester contre. Mais j’enseignais tout de même depuis 41 ans. À un moment donné faut laisser la chance aux autres profs de faire leur preuve… avec ou sans cell.
Disons pour ne pas être trop méchant que l’attention à la matière enseignée n’est pas la meilleure. S’ils ne travaillent pas pour les pompiers, la police ou les ambulanciers je ne crois pas qu’il soit nécessaire de garder leur cell ouvert pour répondre aux urgences. Ils devraient se rendre compte que leur interdire le cell en classe et à l’école carrément c’est leur apprendre à mieux profiter de leur liberté sans cell qu’ils ne connaissent plus. Ils pourront ainsi commencer à se parler pour le vrai et à communiquer de façon non virtuelle. Tout un programme nécessaire pour eux et elles. Ils devraient réinstaller des cabines téléphoniques dans les écoles pour surprendre les étudiants et leur donner la nostalgie des huis-clos amoureux.
Je reviens sur les bals de fin d’année scolaire au secondaire.
Ils exagèrent. Les parents aussi qui les appuient et semblent prêts à financer toutes leurs exagérations. Pourquoi? Se mettre sur la mappe des forts en thèmes? Sur celle des joyeux prétendants? On se croyait sur Facebook. Il est ou elle en couple avec…c’est quoi l’idée? On s’en balance-tu.
Toujours le même modèle. À dix ans on leur cherche déjà une blonde ou un chum ou encore un chirurgien pour les transformer en ce qu’il veut être pour un certain temps. Je ne leur fais pas trop confiance. Ils nivellent toujours tout par le bas. Le plus facile, le plus répandu.
Le plus petit dénominateur commun.
Si j’étais finissant au secondaire, je passerais mon tour. Je dirais à mes amis qu’on peut finir l’année dernière autrement. Dépenser une fortune en linge, en limousine, en hôtel pour se donner l’illusion qu’on est devenu presqu’adulte, non pas pour moi. Et si j’étais une fille –ça coûte un gros bras l’opération définitive – je penserais la même affaire. La robe de bal, le passage obligé chez la coiffeuse, l’esthéticienne, et le salon de bronzage – pas question pour moi. Ou, j’irais au bal en jeans avec le t-shirt de Basquiat. Qui? On en reparlera plus tard un jour.
Vous allez me dire que les bals de finissants ça fait rouler l’économie. À la limite, les étudiants participent consolident leur sentiment d’appartenance à un groupe donné, à une classe, à une école secondaire.
Je cherche désespérément la nécessité de ces rencontres festives de fin d’année scolaire.
L’éducation, l’apprentissage ne sont pas concernés ici. Ce qu’il l’est c’est essentiellement le besoin de faire la fête, d’épater les autres et soi-même avec les moyens financiers qu’on a à notre disposition.
C’est le désir avoué de flasher un peu plus que son voisin moins nanti. La compétition de voisin à voisin, plus ou moins avouée. On leur inculque ça très rapidement les jeunes. Ils doivent suivre les traces des parents, ça dot être inscrit dans leurs gênes. On fait tout ce qu’il faut pour qu’ils se conforment.
Évidemment, je délire un peu sur les bals des finissants. Mais moi je dis que ça commence par là. On leur dit que cet événement est le premier qui confère aux jeunes le statut de presqu’adulte. Alors, on le prend très au sérieux ce passage obligé qui les sort de leur enfance à jamais. Comme s’ils ne devaient pas savoir que l’enfance ne cesse jamais, qu’elle est le fondement et la continuité de toute personne qui désire rester fidèle à lui-même, à ses souvenirs, à son passé d’origine.
Les jeunes ne se méfient pas assez de l’âge adulte. Ils y plongent dedans la tête la première sans se méfier. C’est la pire des choses à faire. Imiter les adultes avant de le devenir une fois pour toutes. Se comporter comme eux. Se mettre à jouer le jeu. Tout le jeu. Celui de la consommation, celui de la séduction à outrance, celui de la compétition à tout prix, celui de l’ambition de dépasser tout le monde.
L’adulte est égoïste. L’adulte défend son territoire et ne partage pas beaucoup. L’adulte se prend trop souvent pour un autre.
Si l’entrée dans la vie adulte se fait lors de ces bals de fin d’année scolaire, je me dis qu’il manque quelque chose. Le modèle est unique. C’est le paraître qui domine. Le semblant de fête imaginé par les jeunes et les parents toujours. Faut s’y conformer d’abord. Investir, dépenser des fortunes pour épater la galerie. Se déguiser en adulte pour un soir ou deux. L’entrée dans la vie adulte ne se fait pas de cette façon.
Je casse le party évidemment. Je viens de lire une bio de Louis-Ferdinand Céline. Très jeune, ses parents l’ont envoyé étudier l’allemand en Allemagne et l’anglais en Angleterre. Ils n’étaient pas très riches, mais ils voulaient l’aider à mieux faire son entrée dans la vie adulte. Il est devenu un grand écrivain mais aux idées tordues. La guerre (Celle 14-18) l’a fortement marqué à jamais sur la tromperie des hommes. Sa lucidité l’a torturé toute sa vie durant. À l’âge du secondaire, il se méfiait déjà des adultes qui l’entouraient et gardait ses distances des idées réactionnaires de son père antisémite. Évidemment, ça a mal tourné pour lui sa haine congénitale des possédants. Mais il a compris très tôt le conflit permanent entre les classes sociales.
Je ne demande pas aux jeunes qui finissent leur secondaire de devenir tous écrivains. De militer dans le parti politique ouvrier ou de former un syndicat au secondaire. Quoique ce ne serait pas une mauvaise idée pour défendre leurs droits. De déborder de lucidité sur leur époque. Mais ils pourraient sans doute prendre davantage conscience des déguisements qu’on leur impose –ou qu’ils s’imposent – lors de ces bals de fin d’année. Une certaine dissidence serait la bienvenue. Les filles se prendraient moins pour des Céline Dion et les gars pour des Brad Pitt.
Je sais que les enseignants sont aussi de la partie quand les jeunes s’investissent dans les bals de fin d’année. Ils jouent le jeu eux aussi en exerçant leur autorité morale et sans doute policière. Ils pourraient se garder une petite gêne et suggérer que l’entrée dans la vie adulte peut prendre d’autres formes moins commerciales.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : Roberval sur la mappe
Les trois (3) dernières publications:
- Festival Virage (28 juin 2023) Après 5 ans de pause, le festival Virage revient pour une 5e édition à Petit-Saguenay
- Fin de l’évacuation en raison des feux de forêt (28 juin 2023) Saguenay ferme le centre d’accueil des évacués
- Une carte virtuelle maintenant accessible (28 juin 2023) Avis touchant le réseau d’aqueduc de Saguenay
Merci de supporter RueMorin.com en aimant notre page facebook:
www.facebook.com/RueMorinpointcom
Ping : Bar à Pitons | RueMorin.Com
Ping : Ville de Saguenay | RueMorin.Com