Retaper la St-Do

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida et de Jonquière
La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des mortels
-Charles Baudelaire
Tous s’ennuient de l’ancienne St-Do de Jonquière où la vie nocturne emportait les plus réfractaires aux virées insolites. Il y avait tellement de discothèques qu’on avait peine à les dénombrer. Les unes engendraient les autres. On y venait de partout pour se virer de bord sur les pistes de danse et reluquer les filles empressées d’en finir avec leur anonymat. Il arrivait que les gars jaloux ou paquetés se querellent derrière les bâtiments et sur les stationnements avant que les policiers interviennent. Il fallait bien que l’esprit de clocher se manifeste. À deux ou trois heures du matin, un vendeur ambulant de hots dogs entre deux bâtiments faisaient des affaires d’or sans demander la permission à personne. On ne trouvait alors aucun commerce abandonné ou délabré sur la St-Do. C’était son âge d’or.
Puis, la fusion aidant, les commerces ont fui vers Chicoutimi et la vie nocturne a suivi sans trop savoir pourquoi. Le souffle de la rue s’est éteint.
Il y avait des maisons superbes sur cette rue. On les a démolies une par une. Pour construire la bibliothèque qu’on a attendue une bonne dizaine d’années on a tassé des maisons qui faisaient le charme de ce coin de rue avant de prendre le pont. Je ne dis pas que la bibliothèque n’est pas une belle acquisition, mais elle venue très tard. Pour faire plaisir à quelques commerçants et aux amis du maire, on a aménagé des immenses stationnements en fauchant encore des maisons de ce quartier populaire. (On a profité pour raser et déménager la maison de quartier devenue nid à feux pour relancer le centre-ville de Kénogami et en même temps pour rejoindre la clientèle cible de cet OBLM, les pauvres.) Des stationnements qui ne servent plus à rien aujourd’hui puisque que la vie commerciale du centre-ville et de la rue St-Do n’existe plus. La terrasse en bois corrompu de la terrasse du restaurant Le Barillet est là pour en témoigner. Même le cuisinier chinois est retourné à Montréal.
Y-a-t-il des solutions à cette fin de vie de cette rue qui n’en finit plus?
Encore une fois, les élus municipaux embarrassés de ce district viennent d’en proposer.
Elles sont à la fois défendables mais insuffisantes. Surtout très conformistes comme à l’habitude. C’est évident qu’il faut verdir cette artère et le centre-ville de Jonquière. Planter des arbres partout. Même le long de la rue où il y a déjà eu des arbres respectables bordant les trottoirs. D’abord verdir les petits parcs qui servent encore l’été pour occuper les musiciens et les quelques badauds qui fréquentent encore les lieux. Verdir aussi, à mon avis, le contour de la sculpture de Pierre Dumont en face de la station de bus peu présentable. Quant à moi, la gare de bus je la ferais sauter pour la remplacer par autre chose. Quelque chose comme une vraie station de bus moderne, avec le goût de s’y reposer, d’attendre juste pour attendre. La jumeler peut-être avec l’autre station de bus sur St-Hubert la moitié du temps fermée.
Pendant longtemps, les gares de bus et de trains étaient considérées comme des lieux de rencontres, de rendez-vous obligés. Elles étaient très fréquentées et ouvertes souvent et longtemps. Elles attiraient les gens de toutes les origines. Leurs restos étaient reconnus. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Nos gares de bus et de trains mériteraient un peu plus d’attention et de soin. La consolidation du transport en commun ici passe nécessairement par le retapage, entre autres, des stations de bus et de trains.
Même Chez Pauline a changé de nom pour s’appeler Le Petit St-Do afin d’attirer l’attention de nouveaux et ses quelques clients réguliers. Les chauffeurs de taxis sont devenus plus rares depuis que n’importe qui peut prendre leur place sur la ligne Uber. Pauline a elle aussi perdu beaucoup de ses clients.
Évidemment qu’il faut verdir Jonquière. Elle est déjà verte sur la montagne. En fait, cette ville a deux points d’attraction incontournables trop mal exploités.
La première, c’est la rivière évidemment. On peut tout faire avec une rivière. On peut surtout la décontaminer et en profiter pour s’y baigner, faire de la navigation et pêcher, entre autres. Ce n’est pas rien. Chicoutimi ne peut se vanter de pouvoir exploiter sa rivière. Le courant est dangereux et les citoyens ignorent même ses possibilités. Ce qu’ils demandent à leur Saguenay c’est d’être traversée par le plus de ponts possibles. Ils doivent se rabattre sur la rivière Chicoutimi et les autres affluents qui dépassent.
Mais les Jonquiérois eux peuvent exploiter à l’excès cette rivière-aux-sables considérée longtemps comme un trottoir à pitounes par la compagnie Price Brothers. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le déluge a fait le ménage du fonds et de surface de ce cours d’eau. Les pitounes sont devenues presque des objets de collection. Quelques-unes remontent parfois dans les lacs du Parc au moment des crues.
On peut tout faire sur une rivière comme celle-là, entre autres, la fréquenter. Nettoyer ses rives régulièrement pour qu’elle nous donne le goût d’y retourner, l’embellir avec des quais, des ilots de verdure, des passerelles un peu partout sur son parcours.
Si on va bientôt pouvoir se baigner dans la Seine après la tenue des jeunes olympiques en 2024, on peut sûrement faire la même chose ici dans notre rivière en la soignant un peu et en y installant les équipements nécessaires. C’est un atout majeur d’abord pour les citoyens cette rivière au cœur de la ville. Le retapage du centre-ville devrait commencer par là. Soigner et exploiter ce cours d’eau unique à la portée de tous.
Maintenant, l’autre atout de taille que la ville pourrait développer, à mon avis, c’est la montagne, le Cap-Jacob comme ils l’appelaient dans le temps et non le Mont-Jacob. On y trouve déjà des sentiers pédestres et un petit centre de skis. Mais c’est surtout le centre culturel construit en 1967 lors du centenaire de la Confédération qui attire les gens sur la montagne.
Malheureusement, la distance et la durée de la marche rebutent trop souvent les citoyens. Il faudrait aménager un incitatif pour y déverser plus de monde et faire de cette montagne un lieu de circulation incontournable. Mon idée est toujours la même depuis des années, il faudrait construire un lien entre le centre-ville de Jonquière et le sommet de la montagne. On peut appeler cela un téléphérique, c’est à dire un transport par câble aérien comme dans les centres de skis. Why not? La vue serait impeccable sur la ville et la rivière. Moyennant un léger tarif comme tout transport en commun, le lien de transport en question fascinerait à la fois les citoyens et les touristes.
On aurait à multiplier les services et les commerces culturels autour du centre culturel. Les visiteurs y seraient beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui parce que le lien attirerait les curieux. Les amateurs d’art et les sportifs y trouveraient leur compte.
Évidemment, il faudrait convaincre les élus d’un tel investissement. Combien coûte l’aménagement d’un tel périphérique? Ça pourrait ressembler à un mini REM et tant qu’à y être parti on pourrait le relier aux autres villes de Saguenay pour éliminer de notre paysage les voitures dans le futur pas si lointain. Avec évidemment, des stations au Carré Davis et au centre Bang à Chicoutimi, près de ma tabagie préférée.
Évidemment, je rêve en couleurs. Mais trop peu de gens rêvent en couleurs de ce côté-ci du Parc. Il faudra bien commencer un jour si on ne veut pas rater la parade contre les sources de pollution.
Il faudra aussi verdir nos stationnements en asphalte et multiplier les rues piétonnières. C’est sans doute l’une des solutions au retapage actuel et futur du centre-ville de Jonquière.
Qu’est-ce qu’une rue piétonnière?
C’est simple. C’est une rie pas de chars. Je sais ici c’est difficile à imaginer. Les gens prennent leur char pour aller au dépanneur au coin de leur rue. Les gens ici ne marchent pas- quand je vivais à Montréal, c’était la différence, je marchais tout le temps, dans les rues, pour prendre le métro- ils roulent en char.
La rue Mont-Royal à Montréal est maintenant piétonnière en parti, de Saint-Denis à Saint-Laurent. C’est un secteur commerçant des deux côtés mais pas trop long. Peut-être quatre ou cinq intersections. Pour s’y rendre- la librairie Port de têtes est dans ce secteur- on doit trouver un stationnement dans les rues transversales autour. Ça se fait. Faut être patient. On s’habitue. Mais je pense que certains cowboys à pick up d’ici n’y arriveront jamais. Ça prendrait une longue immersion. (J’écris ça parce que je viens encore de me faire tasser sur la route par un crétin qui trouvait que je n’allais pas asse vite pour lui. Passons.) Sur donc cette portion de rue Mont-Royal, on a aménagé des coins de verdure, des terrasses pour s’asseoir, se reposer, des supports à vélos qui peuvent y passer, et des expos en plus de boîtes de livres, etc. Sur cette rue, on marche et on peut fréquenter les commerces. Comme, par exemple, trip de bouffe, resto libanais pour emporter écœurant.
On pourrait faire la même chose sur la Saint-Do. Disons à partir de la bibliothèque jusqu’à l’Hôtel de ville. Secteur piétonnier exclusif. Ou peut-être, si les commerçants en redemandent, jusqu’en haut de la côte. Tout le monde à pied. Avec des aménagements partout.
Les chars peuvent circuler ailleurs. C’est une habitude à prendre. L’hiver, ce serait particulièrement amusant et désorientant. Arroser une partie de la rue, peut-être et la transformer en petite patinoire?
Why not?
J’avance des idées comme ça pour améliorer le sort de la St-Do et du centre-ville de Jonquière. On peut?
Si l’on veut que la ville à côté de Chicoutimi qui a tout perdu avec la fusion reprenne sa place et s’affirme, faut lui donner des idées neuves. L’ouvrir sur autre chose. L’un des meilleurs restos de la région c’est le Bergerac. Pas beaucoup de Jonquiérois y vont. C’est un resto qui mériterait plus d’attention. Comme la boulangerie/pâtisserie Mergeay. Deux rendez-vous gastronomiques toujours bien en place ici.
Il faudrait recenser tous les commerces vides sur la St-Do et proposer de faire quelque chose avec ces lieux. Pas seulement des commerces, des ateliers, des appartements, des endroits pour y vivre afin d’animer la rue. Des ateliers de vélos, des salles d’expos, des cinémas intimes, des boutiques de recyclage.
Ce ne sont pas les idées qui manquent. Elles n’attendent que la volonté et le bon vouloir de ceux et celles qui croient qu’il faut animer cette rue et la réanimer pour le vrai.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida et de Jonquière
n.b.prochain sujet : l’eau polluée de la Baie
Pour relire les différentes chroniques de Pierre Demers sur RueMorin.com, cliquez ICI
Les trois (3) dernières publications:
- Cinquième anniversaire de RueMorin.com (13 août 2023) 178 677 fois merci !
- Exposition Portes Ouvertes de Daniel T. Tremblay (10 août 2023) 7ième édition, mercredi le 16 août prochain de 13h à 17h
- Blocage des nouvelles canadiennes sur Facebook et Instagram (10 août 2023) Les Bloquistes se tiennent debout face aux géants du web
Merci de supporter RueMorin.com en vous abonnant à son infolettre sur la page principale du site. Autrement, nous sommes aussi sur Nextdoor et Mastodon
Ping : INFO-TRAVAUX | RueMorin.Com
Ping : Société historique du Saguenay | RueMorin.Com