Le salaire maximum

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Les ministres le nomment : traitement, les notaires : émoluments, les médecins : honoraires, les employés : appointements, les ouvriers : salaires, les domestiques : gages. L’argent de fait pas le bonheur.
-Gustave Flaubert, Dictionnaires des idées reçues, 1913
Le salaire minimum vient de grimper à un niveau inédit et dangereux. Comme dirait l’autre, la farce perdure. 15,25$, une hausse historique de 1$. On aura tout vu. Qui va payer l’ardoise disent les patentés en économie qui veulent à tout prix que ça balance dans la case des forts en chiffres et en profits? Au risque de voir s’emballer le marché fou de panique. Les pme vont encore souffrir… et les petits revenus s’endetter un peu plus.
Au même moment les députés de l’Assemblée nationale – la notre – sont sur le point de se voter une augmentation de leurs traitements (Voir la définition de Gustave Flaubert) de 30%. Les détails plus tard. Drôle e coïncidence. Et en parallèle l’IRIS (Institut de recherche et d’information économique) rend publique une étude sur le revenu viable au Québec.
Il s’agit de mélanger tout ça pour en faire une salade monétaire un peu digeste. C’est ce que je vais tenter de faire ici tout en me demandant pourquoi ne discutons pas trop souvent de l’augmentation continuelle du salaire maximum. Vous savez le fric des riches qui augmente encore davantage en temps de crise ou de pandémie. Les actions et les primes aidant, ils ne savent plus où cacher leur argent. Comme si c’était normal de gonfler ces salaires de riches à tous les mois, pendant que les moins nantis sont obligés de se mettre à genoux à chaque année pour aller chercher une couple de cennes de plus. Il y a quelque chose de pourri dans ce système capitaliste qui n’avantage que ceux qui ont la tête sortie du bain financier depuis belle lurette. 15,25$ de l’heure, vous croyez vraiment qu’on peut s’en sortir avec ça?
Commençons donc par lui, l’augmentation du salaire minimum. Cette année, c’est la grosse farce. Depuis la Covid ou si vous voulez depuis la pandémie, on s’est un peu ouvert les yeux sur le salaire minimum. On ne paye pas suffisamment ceux et celles qui nous sauvent la vie au jour le jour. Ceux et celles qui occupent les petites jobs pas payantes mais essentielles pour la survie du reste du monde, surtout des plus nantis qui se cachent dans leur gros chalet dans les régions quand le virus a frappé fort. Ou qui se sont achetés une île ou un gros yacht pour s’isoler des autres, surtout des pauvres. Ou qui ont carrément déménager en périphérie en s’achetant une résidence secondaire loin du virus métropolitain à un prix ridicule quand on les compare à ceux de la ville.
À ce sujet un livre essentiel qui vient de sortir chez Lux, La société de provocation –essai sur l’obscénité des riches de Dahlia Namian. Le titre est emprunté à Romain Gary qui l’utilise dans son roman Chien blanc. Vous trouverez dans ce livre tout ce qu’il fait savoir sur les détours des riches pour se sauver de la planète en perdition tout en brûlant les profits qu’ils font sur le dos de tous et des catastrophes sans aucun remords. Bref…
Non seulement le salaire rehaussé à 15,25$ ne correspond pas à l’augmentation actuelle du coût de la vie, mais les employeurs petits et gros se sont vus obligés, pour garder leurs employés ou pour en trouver, de les payer 5 à 10$ de plus de l’heure. Bien avant qu’on augmente le salaire minimum à 15,25$, il avait déjà grimper à 20$ et plus de l’heure. Pour une fois, le salaire minimum s’est confondu lui-même en se couvrant de ridicule. Il n’y a personne qui peut vivre décemment avec un tel salaire minimum. En travaillant 5 jours par semaine à 8 heures par jour, une fois l’impôt perçu, il reste à peine 20 000$ pour survivre par année.
Exemple, si votre appartement vous coûte 700$ par mois, vous y grugez la moitié de votre salaire. Il vous reste le reste pour manger -(7$ la livre de beurre maintenant, retour obligé à la margarine), vous soigner, circuler et payer vos dettes accumulées. Les visites chez le dentiste peuvent attendre. Si vous avec une vieille voiture parce que vous demeurez en région et que les transport en commun ferme à 11 heures et n’ouvre pas la fin de semaine, , il faut tout de même faire le plein de temps en temps. Vous vous habillez à la maison de quartier. Vous essayez de ne pas trop manger de viande. Vous n’allez plus au restaurant une ou deux fois par année, parce que c’est trop cher. Dans le fond, vous vous retrouvez comme ceux et celles qui essaient de survivre avec leur prestation d’aide sociale et de solidarité et qui touchent 725$ par mois s’ils sont seuls. On ne va pas loin avec un montant de la sorte, sauf si l’on veut s’endetter et tirer le diable par la queue le reste de ses jours.
L’IRIS i.e. l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques – plus à gauche, loin de l’Institut Fraser qui protège les patrons et les politiciens de droite – considère qu’une personne peut vivre avec 32 252$ à Montréal. À Saguenay, comme le logement coûte moins cher, elle peut s’arracher la vie pour 27 047$. À Sept-Îles, 37 822$ parce qu’il n’y a pas de transport en commun. Ceux et celles qui ont le salaire minimum peuvent s’en sortir avec 25 290$.
C’est rire du monde. Michel Chartrand a plaidé toute sa vie pour le salaire minimum garanti. Il considérait que les pauvres ont autant le droit de vivre que les riches. D’autant plus que les riches s’enrichissent sur le dos des pauvres. Quand par hasard et par ta condition de classe sociale tu nais pauvre, c’est difficile de s’en sortir sans brûler des étapes. Le cercle vicieux de ta condition ne t’aide pas. Et plein d’autres facteurs te discréditent. On dirait que maintenir dans la pauvreté une quantité non négligeable de la population sous le seuil de la pauvreté (300 à 400 000 personnes au salaire minimum) semble satisfaire les pouvoirs en place puisqu’ils ne font rien pour changer la donne. Je me souviens que lors des discussions du salaire minimum garanti, les arguments les plus probants dérivaient dans le sens de la fraude et de l’exploitation du régime en place. Comme si gagner le salaire minimum risquait de faire tomber le système capitaliste en place. Chartrand doit se virer dans sa tombe aujourd’hui quand il apprend que les députés de l’Assemblée nationale sont sur le point de se voter une augmentation de 30% de leurs traitements, rétroactivement, pour arriver à s’en sortir. Vérifions donc de quoi il en retourne sur cette augmentation que l’ensemble des partis politiques acceptent à contre cœur- sauf Québec solidaire- parce que ce sont des confrères députés qui l’ont votée pour mieux nous servir et surtout pour mieux se servir. On est loin ici du 15,25$ de l’heure.
Voyons voir combien les députés gagneront pour pouvoir faire face à la montée des prix d’un peu n’importe quoi et surtout mieux se sentir appuyés par leurs commettants (i.e. personnes qui confient à un autre le soin de ses intérêts…) Joyeux programme.
Des chiffres maintenant (Le Devoir, 12 mai 23). Le salaire de base des députés passe de 101 561$ à 131 766$. Le premier ministre lui gagnera désormais 270 120$ et ses ministres 230 591$. Le président d’une commission parlementaire (une fonction payée en surplus) touche 164 708$. En fait, comme tous les députés caquistes ont des fonctions parlementaires dans plein de comités, pour tous ceux-là la vraie hausse est de 36 000$ et pour les ministres de 52 000$. Ajoutons que tous les élus empochent un compte de dépenses de 20 256$ pour se loger et se nourrir à Québec. Le plus intéressant dans cette augmentation, il faut le souligner avec du rouge, ce sont les députés eux-mêmes qu’ils se le votent. Comme si le conflit d’intérêt n’existe pas pour cette classe de monde.
Autre détail de poids, le fond de pension des députés est financé à seulement 20% par eux-mêmes. Le reste, les fonds publics s’en chargent. Habituellement, dans notre système de pension, le travailleur assume au moins la moitié des sommes. Petit privilège quelque peu insultant pour le commun des mortels ou si vous préférez des retraités. Vous allez dire qu’ils le méritent ces salaires à la hausse de 30% et plus parce qu’ils se désâment pour nous.
Peut-être quelques-uns mais pas tous. Les plantes plus ou moins vertes sont nombreuses dans ce parlement. Le premier ministre actuel s’est aménagé un jardin de ministres et de députés très dociles qui se limitent le plus souvent à répéter ses lignes. Des députés et des ministres qui tiennent mordicus à toucher leurs rémunérations encore longtemps. Je crois qu’ils gagnent un salaire enviable malgré le fait qu’ils doivent se farcir les fins de semaines des soupers spaghetti et des épluchettes de blé d’Inde plus souvent qu’à leur tour. Les ministres eux et elles roulent en limousine et ignorent les hausses du prix de l’essence. Certains comme la ministre des Affaires internationales et de la Francophonie, Martine Biron (Une consœur de Drainville à la SRC un temps) accumule les airs miles en plus. Un peu moins les autres. C’est elle qui voyage (Journal de Québec, 17 mai 23) et exige des retours d’ascenseurs depuis qu’elle a perdu son troisième lien pour se rendre plus vite à Charny.
Pendant ce temps, les employés du secteur public, les profs surtout sont en train de négocier leur convention collective et l’ajustement de leur salaire. Le gouvernement leur offre 9% d’augmentation sur 5 ans. On tombe ici dans un autre monde de survie face à l’augmentation du coût de la vie. Les employés de l’État ne reçoivent pas de compensation pour se loger, se nourrir ou voyager. Ils n’ont pas de primes pour se réunir et décider des choses à faire. Peu d’employés de la fonction publique ou de profs ou d’infirmières gagnent 100 000$ et plus par an. Mais, comme dirait le ministre de l’Éducation, «on ne peut comparer un prof avec un député…» , en effet.
Nos députés frôlent de plus en plus le salaire maximum. Vous savez ce fameux salaire qui relègue les endettés dans une classe à part, celle des mal pris qui ne s’en sortent jamais. Évidemment, d’autres tenants du salaire maximum exagèrent encore davantage. Ceux-là –tous des hommes, tiens – mériteraient qu’on les impose un peu plus. Je gage qu’ils ne s’en rendraient même pas compte dans leur compte en banque.
Je passe sous silence volontairement les vedettes des sports professionnels (Hockey, Football, Soccer, Basketball, Baseball, Tennis,etc) qui vont chercher des contrats de dizaines de millions$ par année et beaucoup plus certains ( James Le Bron des Lakers, un contrat de 2 ans à 97.1 millions$, mais Mbappé du PSG au soccer français a signé 200$ millions pour un an récemment) et combien d’autres fortunes sportives qui doublent leur salaire de base avec leurs produits dérivés. Au baseball le joueur le mieux payé (Sohei Ohtani) récolte 65$ millions par année, au hockey, Conard se contente de 14 millions$… comment fait-il pour payer ses patins et ses bâton de hockey…
Les joueurs millionnaires ont donc plein de bonnes raisons de financer des fondations pour sortir les jeunes de la drogue et de l’oisiveté. Mais passons sur le sport, nous y reviendrons bientôt.
Des noms de grosses fortunes d’ici dans le domaine industriel maintenant ? Oui, avec leur salaire annuel de l’an passé (La Presse, 13 mai 22). Tous des pdg canadiens. Philip Fayer de Nuvei, (société de traitement de paiements électroniques) :140,8 millions$; Joseph C.Pepas de Bausch Heath (Produits pharmaceutiques) : 28,7 millions$; Alain Bédard, TFInternational (Société de logistique) :16 millions$; Glenn J.Chamandy (Gildan les vêtements) : 14,5millions$ et la cerise sur le sundae, Jean-Jacques Ruest (Canadien National) : 13,5 millions$. Le fameux pdg canadien qui apprend difficilement le bilinguisme canadien…
Ah, j’oubliais, le patron de ma banque royale a touché 17,5 millions$ et les autres pdg de banques canadiennes en tout près de 100 millions$. Parfois, leur augmentation salariale annuelle- «depuis la pandémie, ils ont fait montre d’un plus grand leadership responsable-sic», la raison officielle de leurs gains -atteint le 50%. Donc, nos députés sont encore en-dessous des plus honteux salaires maximums. Ils peuvent donc siéger en paix. Jusqu’à la prochaine augmentation de leur traitement.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : le retour des Nordiques
Les trois (3) dernières publications:
- Assemblée générale de l’Éco-kartier du centre ville de Chicoutimi (23 mai 2023) Dimanche, le 4 juin 2023, 13h00
- La Fête des voisins 2023 (20 mai 2023) Activité de l’Éco-Kartier Centre-ville ce samedi 3 juin 2023
- « Construisons ensemble la STS de demain » (17 mai 2023) Ateliers participatifs les 23, 30 et 31 mai à Saguenay
Merci de supporter RueMorin.com en aimant notre page facebook:
www.facebook.com/RueMorinpointcom/
Ping : Série d’ateliers à propos du développement du centre-ville | RueMorin.Com
Ping : Bar des sciences sous la thématique : Que reste-t-il des enjeux LGBTQ+ en 2023 ? | RueMorin.Com