Roberval sur la mappe

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

Notre ombre n’éteint pas le feu
-Paul Éluard

C’est le maire de Roberval qui parle à un journaliste de la SRC qui lui demande ce que ça fait d’avoir des journalistes de partout dans le monde dans sa ville qui accueille les sinistrés de Chibougamau entourée de feux de forêts : «pour une fois Roberval est sur la mappe, enfin». Voilà. C’est tout bien dit en une fraction de seconde.

Je ne contester pas ici le dévouement des gens de Roberval pour porter aide et support à ceux de Chibougamau particulièrement mal pris. Là n’est pas mon propos. Je veux juste dire que les médias internationaux qui viennent d’ailleurs pour couvrir un événement inusité sont ici pour exploiter un malheur loin de chez eux qui – cette fois-ci à cause du smog à New York et sur la côte est américaine en particulier – les changeait assez de leurs habitudes pour s’en plaindre. Le reste va de soi.

Les journalistes attirent les journalistes. Américains, européens, arabes, japonais. Peu importe, ils suivent la parade. Avec à la télé souvent les mêmes images. D’ailleurs comment pensez-vous où ils prennent leurs images quand ils ne viennent pas nous voir et qu’ils parlent de nous à leur télé-journal? Dans une banque faite exprès pour ça, pour alimenter les bulletins télé du monde. TVA et la SRC passent leur vie à s’alimenter à ces réservoirs d’images fixes et animées et à ces banque de sons qui la plupart du temps proviennent des médias locaux. Ils font semblant d’être là ou ailleurs sans y être. Sur le bord d’une fake new.

Bon voilà.

Le maire de Roberval maintenant et son attachée de presse. Ils ont traduit assez bien le réflexe de base des gens de la région qui veulent qu’on parle d’eux. En mal ou en bien. En euphorie ou en catastrophe. Pourvu qu’ils ne nous oublient pas.

L’attachée de presse de Roberval disait que c’est bon pour le tourisme. C’est quoi ça? Je ne comprends pas son argument. Les touristes vont affluer à Roberval parce que c’est là qu’ils ont hébergé une fin de semaine des sinistrés de Chibougamau? (Et à Kénogami parce que Saguenay et sa nouvelle piscine a accueilli les autochtones de Mistissini?) C’est exactement ce qu’elle a dit. Comme si à n’importe lequel prix fallait qu’on les attire les autres qu’on considère tous comme des touristes à appâter.

Venez nous voir nous – autre, ce sont nous qui avons hébergé les citoyens de Chibougamau et quelques autochtones des réserves trop près des feux pendant quelques jours. On leur a fait de la tourtière géante, on leur a prêté nos chalets, on leur a fait des lunchs avant qu’ils retournent chez eux. On en a nourri certains avec des roulottes à patates frites et à hot dogs dehors. C’est nous ça. On a rempli leurs piluliers. Ils ont envahi nos dépanneurs.

Nous sommes obsédés par la présence touristique. Les élus des régions n’ont que ça en tête. Attirer les touristes. Tous les prétextes sont bons, même les catastrophes naturelles. Saint-Jean Vianney, site touristique. La petite maison blanche, le lieu de tous les glissements de terrain, de tous les déluges.

On ne tire pas après les touristes comme sur une corde à linge pour attraper une chemise, une paire de bas, une bobette, le touriste vient tout seul quand il juge que ça en vaut la peine. On n’a pas à lui donner mille raisons de venir nous voir. Notre comportement, nos habitudes, notre environnement et notre façon de vivre lui suffissent pour le convaincre. Il fait la part des choses. Évidemment, le touriste est un peu naïf. Mais il mesure vite ce qui l’attire et ce qui le repousse.

Je regarde les clips touristiques qui précèdent toujours les saisons estivales et hivernales. Que met-on de l’avant dans ces petits films à gros budget si éphémères? Évidemment, là aussi les images filmées en drone se multiplient depuis quelques années. Le monde, les régions, l’une l’autre, vues du ciel. Bientôt, je ne serais pas surpris de voir un film huis – clos tourné dans une cuisine avec un drone. Ça me fait penser aux premiers films dans les années 80 où le cell était roi dans toutes les séquences. Exit la cabine téléphonique. Tout est permis, même cette confusion des genres.

Revenons aux propos du maire de Roberval. Se mettre sur la mappe.

Les journalistes et les autres qui se prennent pour tels sont souvent complices de se désir un peu fou qu’on parle d’eux. Qu’on parle de nous dans les medias du monde. Les médias américains parlent souvent d’une nouvelle comme d’une bonne histoire, a good story. Qu’est-ce que ça veut dire? Une bonne histoire, c’est à dire une bonne nouvelle c’est quand on peut faire beaucoup de chemin dessus. Par exemple, les feux de forêt incontrôlés c’est une bonne histoire. Même le maire de Roberval s’en est rendu compte pour faire du chemin là-dessus. Et tous les journalistes de passage d’ailleurs et d’ici eux aussi. La SRC local et national a dépêché tous les journalistes disponibles sur les lieux. On a étiré la sauce-ou les brasiers- à fond de train. Tout le monde disait qu’il ne voulait pas être à la place des gens de Chibougamau ou de Chapais. A very good story.

Assez bonne pour suggérer aux politiciens de tous les niveaux d’intervenir en sauveurs du peuple éploré comme au moment de la pandémie. Le premier ministre Legault en tête a repris un temps ses bulletins télévisés pour rassurer tout le monde. Remplacé parfois par son ministre de la sécurité publique, les traits tirés, habillé par la Sopfeu comme on dit souvent à la télé, quand les animateurs sont trop pauvres pour payer leur linge. La mise en scène était parfaite. On espérait que la pluie tombe, à un moment donné, j’avais l’impression qu’ils iraient jusqu’à enclencher des danses incantatoires pour percer les nuages.

Les maires des localités concernées et les mairesses ont donné leur 110% aux micros de tout le monde. Ils et elles restaient sur place pour protéger leur ville au risque de passer au feu avec. Ça nous a permis de découvrir que ces villes bordées de forêts de conifères en grande partie sont très mal équipées pour se défendre contre les feux multiples qu’on a connus récemment. Elles sont laissées à elles-mêmes et les moyens des gouvernements provincial et fédéral semblent plutôt limités pour les venir en aide. Ce sont des municipalités qui vivent en grande partie de l’exploitation forestière. Du jour au lendemain, les citoyens de ces villes et villages perdent à la fois leur maison et leur job. Sans compter les équipements dispendieux qu’ils avaient déjà installés dans les forêts incendiées. Comme dit l’expression consacrée, ils ne sont pas sortis du bois, ou plutôt ils auront de la difficulté à y retourner pendant un certain temps. Et j’admire ces élus municipaux forcés bien souvent d’improviser des solutions pour sauver tout le monde mal pris.

Le Québec et les autres provinces du Canada atteints par les feux de forêts incontrôlables ont dû faire appel à des équipes de pompiers de France, d’Espagne, des Etats-Unis. L’armée a été demandée en renfort. Des citoyens désespérés se sont improvisés sapeurs pompiers pour tenter de sauver leur maison et leur terrain. Là encore, nos bons politiciens ont dû improviser pour nous faire croire qu’ils avaient bien en mains le boyau d’arrosage. Dans ce domaine qui touche directement les retombées des changements climatiques, nous avons un certain retard à attraper. Un retard inquiétant. Un vrai retard qui ne cesse de marquer ses pas.

La plupart du temps, ces feux de forêts sont causés par la présence humaine et la négligence des «amoureux» des régions lointaines. On devra se mettre à éduquer ceux et celles qui considèrent le bois comme leur domaine de prédilection pour s’épanouir et parfois se défouler.

Les résidences secondaires en région forestière sont multiples. Les chasseurs et les pêcheurs fort nombreux de ce côté-ci du Parc se croient tout permis quand ils quittent l’asphalte. Près de chez moi, le long d’un ruisseau anodin, à chaque printemps, des anonymes viennent se débarrasser de leurs pots de peinture, de leurs vieux meubles, de leurs déchets de démolition en pleine nature. Carrément dans l’eau ou près des sentiers autour. En forêt, c’est souvent pire. Pour certains, la forêt est synonyme de dépotoir.

L’éducation à la protection de la forêt dans tous les milieux reste à faire. La semaine où j’écris ce saut d’humeur, il est interdit de faire des feux à ciel ouvert. Pas très loin de chez moi, des flos ont été surpris à faire un feu pour saluer sans doute leur fin d’années scolaire. Les flics les ont surpris en flagrant délit d’allumettes ou de briquets. Moi je les aurais forcé à planter des arbres un peu partout à travers la ville et à devoir les entretenir pendant tout l’été. Mais, on a chacun notre conception et notre vision de l’éducation à la protection des arbres.

J’en reviens à mon maire de Roberval.

Dans cette ville, c’est la traversée internationale à la nage du lac Saint-Jean qui semble attirer le plus gros des touristes l’été. Et évidemment la dégustation de la tourtière géante sur la rue principale.

Pourquoi ne pas réinviter les gens de la Chibougamau à chaque printemps pour fraterniser comme on l’a fait un peu malgré soi lors des feux de forêts récemment? L’invitation pourrait même se faire dans l’autre sens, les gens de Roberval à Chibougamau pour une fin de semaine. C’est du monde qui circule. On peut les considérer comme des touristes dans le fond. Nous sommes des parents plus ou moins rapprochés.

Le maire de Roberval serait peut-être satisfait d’être à l’origine de ce rapprochement de deux villes et de citoyens plus ou moins voisins qui ne se parlent que rarement et qui se visitent encore moins.

J’en reviens à la saison touristique.

On apprend que les croisières sur le Saguenay et à la Baie vont s’étirer sur la saison hivernale. J’imagine déjà une meute de skidoos tournant autour des paquebots. Les touristes de tout horizon leur lançant des miroirs et des cadeaux de toutes sortes. Les motoneigistes répliquant en leur offrant des paniers de sébastes. Tout est possible. La saison hivernale est le moment de tous les excès. Davantage que la saison estivale parce que le froid bien souvent paralyse les neurones qui, tous le savent, font circuler les informations au cerveau. Quand la machine s’embrouille, le sujet veut déborder. Courir dans la neige nus pieds, plonger dans le trou de sa cabane à pêche pour tenter de rejoindre Moby Dick, fermer son cellulaire pour mieux entendre les murmures de l’étoile Polaire.

Les croisières hivernales devraient fortement inspirer les artisans de la région. Ces croisiéristes-lala vont avoir besoin de vêtements pour rejoindre à pieds notre banquise. On leur tricotera avec joie et profits des tuques et des foulards de laine, des gros bas du pays rembourrés, des sous-vêtements qu’ils pourront mettre par-dessus si ça leur chante, des habits de skidoo aux couleurs régionales (jaune, vert et gris) resplendissantes.

On leur louera des cabanes à pêche à des prix américains concurrentiels avec air climatisé
Et poissons fournis. Ils n’en croiront pas leurs yeux. Le maire de Roberval sera jaloux de la mairesse de Saguenay. Il oubliera un instant le lourd fardeau des feux de forêts qui heureusement font relâche l’hiver. Mais le réchauffement climatique peut nous réserver des surprises. Qui sait si dans 10 ans les croisières hivernales ne seront pas remplacées par les croisières estivales s’étendant sur les 12 mois de l’année. On recyclera les cabanes en pêche en cabanes à patates frites et en fromage en crottes. Le saguenéen n’est jamais dépourvu. Ici l’esprit d’initiative n’a pas de limite. C’est souvent ce qui est le plus inquiétant.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : Nouvelles en trois lignes


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