Les journaux papiers

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

Un journal, c’est la conscience d’une nation
– Albert Camus

J’aime les journaux papier. Depuis toujours. Je n’arrive pas à lire mon journal sur mon téléphone, ou plutôt sur mon cell ou même ma tablette. Si je ne touche pas à mon journal, pour moi, il n’existe pas. Il y a du monde comme ça.  Je suis abonné au Devoir papier six jours par semaine. Mon camelot d’un certain âge vient me le porter chez moi vers les 7 heures du matin. Quand il s’absente un jour ou deux, je crains pour lui. J’ai déjà eu un camelot qui livrait mon journal en vélo, hiver comme été. Depuis j’ai changé. Je pense qu’il est mort au bout de sa runne.

J’ai toujours lu des journaux papier. Je ne fais pas juste les lire, je les découpe pour lire les articles qui m’allument et les garder un certain temps. Après, je les jette. Il y a du monde comme ça.

Mon plus gros plaisir avec les journaux papier c’est d’aller où on les imprime encore. Où il y a des kiosques à journaux remplis, des tabagies débordant de journaux de partout.

Là, quand je me lève le matin – ces pays malgré nous existent encore – je vais faire le plein de journaux papier pour la journée.

Par exemple, je suis à Paris, à Rome, à Amsterdam ou même à New-York. Je fais le plein. À Paris, j’achète – en voyage je dépense que ça les journaux, les livres et les musées, à part manger, le métro et le coucher pas cher. Là je suis gâté, j’ai un beau-frère qui a un appartement dans le 17e- – Libé, Charlie, Siné hebdo, L’équipe, Le Monde, Le Figaro, Le Journal du dimanche, et évidemment les quotidiens étrangers qu’on y trouve soit El Pais, La Repubblica, The Guardian, ils sont tous là.

Ensuite, je me trouve une terrasse avec un café/croisant et là je savoure mes journaux. Ça se fait encore ailleurs, vous savez.

Je me souviens d’une époque à Montréal où j’achetais tous ces journaux-là papier dans un kiosque au centre-ville. Sur coin St-Laurent/Des Pins. Été comme hiver, le vendeur était toujours ouvert. Maintenant, faut être débrouillard pour trouver un Libé ou un Monde papier dans un rare kiosque à journaux à Montréal. À Québec, on ne trouve plus Libé. Ça vous fait rien, vous vous en balancez. Le déclin de l’empire commence comme ça. L’impossibilité de trouver Libé papier ici pour le front et les numéros des grands disparus. Je garde encore ceux de Coluche, Robert Bresson, Truffault . Comme dans The New York Times, quand une personnalité meure, un artiste surtout, la notice nécrologique peut durer 10 pages. Ils sont documentés. Ici parfois le Devoir fait des efforts dans ce sens-là. Ici, on se contente des avis de décès. C’est un peu minimaliste et un peu triste. Certains défunts mériteraient plus.

Le virage des journaux vers le numérique me déçoit. Je ne peux rien contre.  Les gestionnaires l’ont décidé ainsi pour économiser des sous et pour suivre le courant. C’est fort le courant économique, technologique et publicitaire. Pour suivre aussi les nouveaux lecteurs qui ne lisent pas longtemps avant d’être étourdis. Surtout les plus jeunes. C’est un peu débile aussi. Du jour au lendemain, on se dit, faut lire les nouvelles sur son cell. D’autres ont dit aussi faut lire les livres sur son cell. Mais là ça marche moins bien.

Umberto Éco disait que la différence entre un ordi ou un cell et un livre numérique c’est que le livre lui, vous le lancez du troisième étage sur le trottoir et il est encore en vie.

Essayez de lire À la recherche du temps perdu sur votre cell? Les livres numériques ont une durée de vie plus inquiétante que celle des journaux.  Mais moi je dis que lire le journal sur son cell, ce n’est pas une bonne idée. La mise en page ne tient plus. Ça donne mal à la tête à la longue et ca devient frustrant pour tout le monde, le journaliste, le lecteur et le graphiste. Et j’aillais écrire pour la nouvelle aussi. Mais, c’est l’époque qui veut. Ils ne font pas ce mouvement pour protéger les forêts. Je n’ai jamais vu autant de revues papier apparaître dans les kiosques à journaux. Des revues de toutes les tendances qui s’annoncent sur les médias sociaux mais qui sentent la nécessité – les subventions gouvernementales aidant – de continuer papier. Pour les vendre et parce que c’est un marché irrésistible.

Beaucoup de revues de recettes, de mode, de potins, de mots croisés, de divertissements, de jeunes, de troisième âge, de télé, de santé, de motos, de vélos et j’en pense. Des revues comme Véro qui résume l’ensemble de l’œuvre du monopole divertissante qu’elle détient avec son chum producteur de n’importe quoi s’impose et capitalise sur le papier d’abord.

Les journaux ont presque tous viré au numérique pour essayer de s’en sortir il y a dix ans. Se sortir de la présence inquiétante des géants du Web. Mais tant que les gouvernements ne forceront pas ces medias sociaux à payer pour pirater les sources d’information de première ligne, ils vont continuer de perdre des plumes et des pubs.

Il existe encore des journaux papier dans presque tous les pays, tous les continents. Si vous voyagez le moindrement, vous vous en rendrez compte rapidement. Le monde journalistique n’a pas systématiquement abandonné le papier. Actuellement, ici les meilleurs quotidiens sont encore publiés papier soit Le Devoir et The Gazette. Le Devoir a le vent dans les voiles depuis quelques années.

Il fait ses frais et progresse dans l’offre des services qu’un quotidien doit proposer. D’abord, le nombre de journalistes et de chroniqueurs augmente en quantité et en qualité. Les photographes qui de plus en plus répondent à l’appel d’illustrer le journal avec des clichés hors du commun. Les reportages internationaux avec l’aide des subventions diverses se sont eux aussi grandement améliorées. La couverture américaine tranche par rapport à celle des autres rares journaux québécois qui s’y intéressent. Les journalistes vont sur place pour prendre le pouls de nos voisins malmenés entre la droite catholique et le racisme systémique et la violence armée qui semblent être la marque de commerce de certains états américains du Sud. Trump continue de faire ses vagues malgré le fait que la justice le cerne dans ses câbles. On a hâte de voir comment les USA finiront par composer avec ce hors-la-loi qui semble vouloir définir les nouveaux paramètres de la démocratie américaine.

Le Devoir a comme Le Journal de Montréal/Québec recours aux chroniqueurs pour appâter les lecteurs. Mais ceux-là n’ont pas à mêler les cartes et tirer vers Le bas et le potinage politique ( Falardeau les appelait les fouilles merde) pour garder leur job. Chez Québécor, tout est permis si vos lecteurs vous suivent. Peu importe le degré d’intelligence que vous déployez pour réfléchir aux sujets du jour. Ce n’est pas le cas au Devoir. Les principes journalistiques et le sens du respect commun priment. Il y a des journalistes respectables et consciencieux dans les journaux de Québécor, mais certains chroniqueurs qui s’y affichent là sont sans scrupules. Je n’ai pas besoin de les nommer pour que vous les reconnaissiez. Ces gens-là ne sont pas des journalistes, ce sont des
Fouilles merde ou des faux curés comme l’écrivain préféré de notre premier ministre.

Ici deux journaux hebdomadaires résistent au numérique, Le Réveil et Informe Affaires. Les deux publications ne sont pas nécessairement des médias de pointe qui font des efforts pour se distinguer du Publisac. Ce sont avant tout des supports publicitaires dont le générique est constitué de vendeurs de pubs, de gestionnaires de contenu commercial. Les articles sont rédigés par des journalistes d’occasion et des chroniqueurs improvisés. Dans Le Réveil version saguenéenne, on retrouve des anciens collaborateurs du maire qui va à la messe à tous les jours et les tâcherons qui s’expriment à la radio communautaire populiste de Jonquière. La vieille garde semble garder le fort dans ce journal vieux modèle. Dans Informe Affaires, un ex-éditorialiste du Quotidien reprend du service en se souvenant des contrats que l’ancienne administration municipale lui a donnés pour écrire du bon bord. Ce ne sont pas ces deux journaux papier qui vont sauver la mise. À Informe Affaires on parle de vous en forme de plogue si vous payez l’espace publicitaire.

Même Le Lingot a quitté le papier en 2021. Ne restera maintenant que La Pige, journal des étudiants en journalisme d’ATM du Cégep de Jonquière à publier encore papier. Encore qu’il soit déjà viré numérique sans que je le sache. Les nouvelles vont tellement vite sur le web qu’on en oublie la moitié. Si La Pïge ne publie plus papier on pourrait leur suggérer de revenir papier et de le faire distribuer par drone dans tous les arrondissements. Je suis certain que des étudiants allumés embarqueraient dans le projet. Reste à convaincre le dg qui carbure aux initiatives inédites.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b. prochain sujet : les vélos électriques

 


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