Le recyclage ici

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Le déchet le plus facile à éliminer est celui qu’on n’a pas produit
-Anonyme
C’est une évidence, le Saguenay a recyclé prudemment, pour ne pas dire discrètement pendant longtemps. Comme si on s’attachait à nos détritus. De l’extérieur, ils nous ont toujours dit qu’on étaient attachants et un peu attachés à nous-autres. La Ville comptait parmi les quelques municipalités les plus en retard, ne sachant pas où refiler ses déchets «spéciaux» aux autres. Ici pas de bacs bruns avant presqu’hier (été 2022). À un moment donné, on croyait les expédier sans adresse de retour du côté d’Héberville-Station nos matières organiques attachantes, mais ce dépôt voisin (pas dépotoir) était déjà occupé à raz bol..
Pendant des années, le maire du bac bleu qui voyait la vie en bleu ciel faisait des études et des voyages pour considérer les différentes manières de faire disparaître les restes de table comme la solution de biométhanisation («Saguenay, dernière ville avec les bacs bruns : une décision électoraliste»«, Le Quotidien, 18 fév. 2021). Le hic c’est qu’on ne produisait pas suffisamment de «matières putrescibles» pour investir dans cette solution. On aurait pu se forcer et tout recycler ce qu’on ne peut y compris les fientes de nos animaux domestiques (Comme on le fait au Lac qui recycle beaucoup mieux que nous) et nos propres excréments tant qu’à y être. En se forçant un peu pour une fois. Encore un effort, comme on dit.
Le retard était tellement évident qu’on essayait tous les détours possibles pour se retenir le bac brun. À partir de 2018 et de l’arrivée d’une nouvelle administration, on a sondé et resondé la population pour connaître l’attachement des citoyens d’abord à leurs déchets de table. Voulaient-ils s’en départir ou les conserver dans leur cabanon isolé pour qu’ils ne sentent pas trop? Ou les catapulter chez le non-voisin arrière?
Ce n’est que l’été dernier (2022) qu’on a commencé à les distribuer et lentement à recueillir ces déchets organiques pour en faire du compost. Les bacs bruns d’ici sont en retard d’au moins quelques années sur le reste des autres régions. Je me souviens d’avoir admiré une rangée de bacs bleus, verts et bruns aux Îles-de-la-Madeleine, il y a dix ans justement.
Ça sentait le large et les pattes de homard et de crabe…en plus du vieux capitaine au petit chausson. Mais, les Madelinots ont depuis longtemps à cœur la protection de leur environnement et de la planète. C’est vrai que vivre sur une île, ça donne le goût de protéger ce qui disparait lentement à chaque année sous nos pieds et nos dunes.
Quand les bacs bruns sont arrivés dans notre paysage, certains citoyens d’abord et citoyennes aussi ont douté et doutent encore de la nécessité de recycler leurs déchets de table. Certains ont tout de suite recyclé les bacs fournis par la Ville comme ils l’avaient déjà fait avec leurs bacs bleus en s’en servant comme boîtes de rangement, poubelle de surplus ou tout simplement en les vendant à des collectionneurs ou à des brocanteurs qui hésitent entre le plastique et le métal. On pourrait peut-être suggéré à ces citoyens d’abord qui se soucient peu de leur empreinte carbone qui doit être aussi démesurée que la patte d’un Yéti de vérifier juste pour le fun ce qu’il en est avec ce contact facile : https://www.carbonfootprint.com/.
Le service est rendu. Votre bilan carbone risque d’étouffer votre pick up et le skidoo qui est dedans. La saison hivernale est rude pour le bac brun. Les souffleuses de la ville leur font la vie difficile. On en retrouve grimpés sur les bancs de neige, dans les cours de bien des maisons unifamiliales et des édifices à logements. Ils ne sentent pas le restant de table mais plutôt le restant de table de jardin.
C’est une éducation au recyclage qui reste à répandre pour faire comprendre au citoyen d’abord que ça prend un peu d’effort pour faire du compost avec les matières organiques. Il y a des méthodes pour entretenir son bac brun l’hiver, s’informer à la Ville où des fonctionnaires versés dans le domaine peuvent vous refiler des trucs de base. Si vous ne voulez pas que «ça pue» dans votre cuisine parce que le petit bac dégage le « gymn de Secondaire» quand il déborde, vous n’avez qu’à mettre vos déchets de table dans des petits sacs de papiers et les congeler dans votre frigo avant de les jeter dans votre bac brun. Le secret c’est du papier journal l’hiver et du carton et l’été c’est de la pelouse et du foin, pas de l’argent mais la bouffe de la tondeuse.
Il y a une éducation à faire dans les familles, à l’école, dans les médias (Les chroniqueurs à l’environnement sont moins nombreux que les chroniqueurs sportifs en général) et dans nos milieux de vie.
Mais je crois qu’on recycle tout de même beaucoup de choses ici malgré le fait que le retard des bacs entretienne notre mauvaise réputation et marque notre empreinte carbone d’un trait brun foncé.
Par exemple, il y a des gens que je connais qui conservent et recyclent à peu près tout. Mon beau-père a construit dans le bois une maison – pas un chalet – avec tous les matériaux possibles trouvés un peu partout. Il faisait les ruelles, les cours à scrappe, les terrains abandonnés pour recueillir du bois, du métal, du fil, de la tôle, des outils, des vis, des clous, de la broche, bref n’importe quoi qui pouvait servir à réparer ou à construire une maison. Il n’achetait quasiment rien à la quincaillerie. Dans son atelier, véritable salle d’exposition, Il conservait tout ce qu’il trouvait. Sa rangée de pots à clous et à vis aurait facilement fait partie d’une exposition sur l’accumulation positive du passé date. Un marché aux puces permanent ce monsieur. La semaine durant, il ramassait le long des trottoirs ce que le monde jetait. En voiture, il pouvait arrêter n’importe où quand il voyait quelque chose trainé le long de la route. Ça finissait toujours par rentrer dans le char.
Ici, il y a tout de même quelques beaux cas de recycleurs qui font les ruelles – moins nombreux qu’à Montréal où le ratissage de ruelles est une véritable tradition. L’écrivain Réjean Ducharme y trouvait ces objets hétéroclites pour créer ses trophoux sous le pseudonyme de Roch Plante – au volant de camions dépareillés débordant de tous ses trésors à réutiliser. J’ai un ami qui fait des sculptures et se fait un devoir de fouiller dans les conteneurs régulièrement. Il y trouve n’importe quoi, souvent des meubles, des tableaux, des objets qu’il peut recycler à sa guise. D’autres plus mal pris ramassent des montagnes de canettes ou de bouteilles pour les revendre au super marché. Mon beau frère lui aussi ramasse tout ce qu’il trouve. Il se spécialise dans les pièces d’automobile, surtout les usagées. Le plus cadeau qu’on puisse lui faire c’est de lui donner un catalyseur d’une voiture en fin de vie. Il ne peut supporter la transformation des voitures en ordinateurs. Pour lui, un vieux char ça finit toujours par rouler. Il leur parle, les écoute ronronner et peut faire partir à peu près n’importe laquelle bagnole en phase terminale.
On recycle aussi beaucoup de linge ici. C’est peut-être notre matière forte. Des créatrices de mode se sont d’ailleurs spécialisées dans le recyclage de vêtements usagés ici comme ailleurs. Quand mon fère ainé est décédé pendant la pandémie, je voulais lui rendre hommage à ma façon. Une couturière a transformé un de ses vestons (Il mesurait 6 pieds, moi 5 et 6) pour que je puisse le porter. Ça m’a coûté une fortune, sans doute plus cher qu’un veston de luxe. Je ne regrette pas cette folie passagère pour mieux me souvenir de mon frère …
Des conteneurs de récupération sont installés un peu partout en ville et des organismes comme la Maison de Quartier à Kénogami sont passés maîtres dans la revente de ces vêtements à des prix abordables. C’est là que j’achète mes vessons depuis des années à 5$. pièce., une aubanie. D’ailleurs, le déménagement de cet organisme dans les anciens locaux de Gagnon Meubles me semble être une excellente décision environnementale. Les meubles, livres, vêtements, vaisselle, sacs, bibelots, appareils ménagers de toutes sortes se sont multipliés depuis le déménagement de la rue du Pont, leur ancien local qui abritait le journal Le Réveil du docteur Vaillancourt. Les fins de semaines, surtout le dimanche, des recycleurs attentifs font la tournée devant les conteneurs de la Maison de Quartier pour récupérer avant les employés du lieu ce que les citoyens vont déposer là. C’est un lieu de recyclage très fréquenté doublé d’une épicerie qui cherche sa vitesse de croisière.
Et je pense aussi aux éco centres des divers arrondissements qui permettent aux citoyens attentifs d’y déposer à peu près n’importe quoi du vieux pneu en passant par les branches des arbres morts, sans oublier les meubles amochés, les batteries, les pots de peinture, le plastique et j’en passe. Il y a une sorte de petite vie dans ces centres quand certains habitués cherchent à raconter leur vie au premier du bord pendant qu’ils vident leur voiture ou leur trailer.
Dans le fond, le Saguenay n’est pas si mauvais élève que ça dans la classe des recycleurs quand on y regarde de plus près. On envie évidemment ce qui se passe au Lac avec le groupe Coderr qui multiplie les initiatives depuis belle lurette alors qu’ici au Saguenay.
On attend souvent que le train passe pour sauter dedans au lieu d’y ajouter un wagon.
Je ne parle pas ici du boulet du transport en commun qui frôle le ridicule. J’ai collectionné une série de photos d’abris bus cet hiver remplis de neige et de glace. Je ne vous mens pas. Presqu’en face du Canadian Tires sur René-Lévesque à Jonquière, aucun usager du bus pouvait entrer dans l’abri bus tout simplement parce qu’il était rempli. Dans les vraies villes où le transport en commun est pris au sérieux, certains abris bus sont même chauffés. Mais ce n’est pas le sujet ici, on y reviendra. Si je ne me casse pas une hanche sur les trottoirs déneigés et arrosés de la ville.
Si vous trouvez en vente des bacs bruns sur eBay, il y a des fortes chances qu’ils ont été recyclés ici. Chez les AA, la devise c’est un jour à la fois. Chez les recycleurs d’ici qui fonctionnent au ralenti, c’est parfois un bac à la fois.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : Moby Dick bleu
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