Concours d’épellation à Kénogami

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
L’adulte est mou, l’enfant est dur
-Réjean Ducharme, l’Avalée des avalés, Folio, no 1393, p.336
Je suis plus vieux que la normal. Disons, l’âge d’un grand-père. Comme dirait Victor Hugo, à ce moment-là, on finit par avoir des obligations dont celle de voir grandir et vieillir ses petits-enfants si on en a. S’occuper d’eux de temps en temps. Ma fille a une fille de 11 ans, elle est en 5e année. Pour lui faire plaisir et la surprendre, je lui écris à la main des petits livres sur tout et rien avec des dessins/pattes de mouches. Qu’elle trouve pourtant exemplaires et géniaux. Elle me donne des chances et moi j’en profite. La complicité du vieux avec la plus jeune s’installe à travers des détails de la sorte. C’était la même chose avec ma fille quand elle avait le même âge. Ça passe vite une vie. Faut en profiter.
Je n’ai jamais vu une fille aimer l’école comme cette petite fille. Encore plus sa maîtresse. À la fin de l’année scolaire, elle pleure de ne plus avoir d’école. Elle a la meilleure institutrice de toute la province. Son école est la plus chaleureuse. Ses activités scolaires et para scolaires dépassent de loin l’intérêt des autres. Bref, c’est pour elle un milieu de vie et d’apprentissage hors pair. Quand elle ne peut aller à son école parce qu’elle est malade ou covid possible, elle crie au secours.
Il y a 15 jours, elle m’a invité à un concours d’épellation auquel s’investissaient les six niveaux de classe de son école. Elle y participait avec beaucoup d’entrain, elle et ses amies qui ne la quittent rarement. J’y suis allé avec beaucoup de curiosité pour l’encourager et aussi pour prendre des notes. On était alors en pleine tempête scolaire au primaire avec la dénonciation par des parents d’une institutrice qui pétait les plombs dans sa classe et que des parents inquiets avaient piégés avec un micro dissimulé dans un sac d’école d’un élève. Les médias populistes (TVA, radios poubelles, Journal de Montréal) en avaient profité pour déverser leur fiel sur une profession qui pousse certains de ses membres à dépasser la mesure.
De façon générale, les médias ne ménagent pas les profs. Au Québec surtout. Beaucoup de préjugés circulent à leur sujet. L’été ils ne travaillent pas. Ils sont trop souvent en journée d’étude. Ils sont syndiqués, donc leurs conditions de travail (Congés de maladie, régime de retraite, protection syndicale) les avantagent par rapport au secteur privé. À m’entendre écrire, on dirait du Mario Dumont à TVA. Et quand une ou un des leurs est pris sur le fait de déraper plus qu’à l’habitude, on met le paquet. Si l’on pouvait, on la lapiderait sur la place publique sans tenir compte des circonstances, du contexte, on le ferait. Même le ministre de l’Éducation et le pm s’en mêlent. Ça finit plus. Et on oublie de considérer les conditions de travail des profs qui enseignent à ce niveau que l’on dit primaire. Et leur salaire dérisoire par rapport à d’autres professions moins exigeantes comme policiers, par exemple.
Moi j’hésiterais avant d’enseigner à ces enfants-là de 7 à 12 ans. En plus d’être 25-30 dans une classe, ils sont très différents les uns des autres. Souvent certains le sont davantage. Ils viennent de milieux sociaux différents, de familles souvent éclatées et vivent déjà une aventure de vie qui nous surprendrait tous. Ils assument déjà les limites de leurs parents. Il faut leur apprendre à lire, à écrire, à composer avec des camarades de classes et une institutrice régulière quand ce ne sont pas quelques-unes qui se remplacent à tour de rôle, l’année durant. Il faut avoir de la patience, de la tolérance et les aimer ces enfants pour ne pas péter les plombs. Il faut avoir à cœur cette job-là indispensable pour rendre ces flos-là autonomes et libres de leurs choix. Et surtout conscients de la nécessité des valeurs communes pour bien fonctionner en société de consommation piégée.
C’est à tout ça que je pensais quand je suis allé assister au concours d’épellation dans une école primaire de Kénogami fréquentée par ma petite fille, l’autre jour. Je pensais aussi à cette enseignante qu’on avait piégée au grand plaisir des médias populistes qui ont entretenu ce fait divers dérangeant pendant une bonne semaine comme s’ils laissaient entendre qu’il fallait désormais poser des caméras et des micros partout pour sauver nos enfants exposés aux profs dépressifs et rendus à bout.
Le micro marchait mal dans le gymnase de l’école primaire. C’est souvent comme ça quand on organise quelque chose de nouveau dans une école. On le fait avec les moyens du bord. Un technicien est venu tenter de faire marcher le son, mais il n’y a réussi qu’à demi. J’étais assis dans le fond de la salle avec plein de parents curieux et fiers de leurs enfants, envers et contre tous les meilleurs. J’étais surpris du nombre de parents présents un jeudi matin à 9 heures. Ces parents font-ils tous du télétravail? Ont-ils des chiffres de nuit? Bon, l’important c’est qu’ils venaient encourager leurs petits. Comme moi avec ma fille.
Il y avait sur la scène les participantes et les participants des 6 classes de l’école. Environ une dizaine par classe. Puis, dans le gymnase assis à terre les élèves qui assistaient à l’événement. Des instituteurs et institutrices un peu partout pour contrôler tout ça et tenter de limiter les bavardages incontournables dans ces moments-là. J’ai remarqué sur la scène, à part les couleurs éclatées des vêtements des flos, le micro-onde dans le fond et un drap suspendu en guise d’écran de cinéma. Moi, comme prof de cinéma, j’ai eu une petite envie de leur acheter un vrai écran. Mais je me suis retenu. Notre bon ministre de l’Éducation va sans doute remédier à la chose, il veut désormais tout contrôler dans les écoles du Québec. Attendons-le venir le superman des causes perdues.
Excusez, je m’éloigne de mon concours d’épellation. Évidemment je surveillais que ma petite fille sur la scène pour lui envoyer l’énergie des meilleurs quoique le concours en question ne m’a pas semblé très compétitif. C’était surtout une expérience de parler en public devant une grande salle que vivaient là les élèves finalistes. Les parents présents me semblaient aussi nerveux que les élèves. Les profs, elles et eux, je les ai trouvés dévoués à l’excès. Aucun n’a pété les plombs. Et ils et elles connaissaient tous les enfants par leur prénom. Au moins une couple de cents flos.
Quand les élèves venaient au micro pour épeler le mot choisi par la prof animatrice, c’était le moment fort. Ils devaient assurer à bien épeler le mot en question. Les méthodes de survie étaient différentes pour chacun. La plupart répétaient le mot avant de l’épeler. D’autres regardaient fixement la salle avant de se prononcer. D’autres encore balançaient les bras, évitaient le micro, fixaient le plafond. Et quand le verdict tombait – mauvaise épellation, ils quittaient la scène pour aller les rejoindre autres assis en bloc dans le gymnase. Verts la fin, il restait que quelques participants et participantes encore en vie. Ma petite fille a trébuché sur le mot «ambassadeur». Elle a dit E au lieu de A au début du mot. Elle avait pratiqué ses mots pendant une semaine avec sa grand-mère. Le mot en question n’était pas étudié dans sa classe de 5e. «C’était un mot de 6e » m’a-t-elle dit… Elle est allée rejoindre ses amies dans le gymnase.
Un petit de première année a quasiment résisté jusqu’à la fin du concours. Il était beau à voir, célébrant avec un «Yes» chacune de ses bonnes réponses. Et quand il a enfin raté son dernier mot, tout le monde l’a applaudit comme une vraie vedette momentanée. Les gagnants de chaque classe ont eu droit à un bond d’achat de livres de la librairie Marie-Laura. Ça tombait bien, c’est ma libraire depuis quelques années, même avant leur grande rénovation. Les pas gagnants comme ma petite fille elles et eux ont reçu un signet de participation. Je vais évidemment faite laminer celui de ma petite fille en souvenir. On veut bien avoir les souvenirs qui nous tentent.
Quelles leçons à tirer de ce concours d’épellation d’une école primaire de Kénogami? Plein de bonnes et belles choses à mon avis.
D’abord une leçon au nouveau ministre de l’Éducation qui se prend pour monseigneur Parent, le recteur de l’Université Laval qui a dirigé le rapport du même nom en 1965. Dans le système d’éducation, à tous les niveaux d’enseignement, même à la maternelle, on devrait consulter ceux et celles qui sont au front à tous les matins : les enseignants. Les administrateurs et les directeurs passent après pour savoir ce qui se passe vraiment dans les salles de cours et ailleurs dans les établissements. Si ceux-ci conservent un bon contact permanent avec les profs, ils peuvent prévoir ceux et celles qui pètent les plombs. Le syndicat aussi doit être au courant des agissements tordus de ses membres. Le ministre n’a pas à se trouver des méthodes pour espionner le travail des enseignants. Et ce sont d’abord eux et elles qui déterminent le contenu des cours et la gestion des étudiants. Le ministre actuel veut jouer le rôle de pompier un peu comme l’a fait son premier ministre pendant la pandémie. Qu’il se calme le pompon. Il est en train de se mettre à dos tout le monde en essayant de jouer le Big Brother. L’autonomie des écoles et les profs est indispensable. À eux et elle la connaissance du terrain.
Une autre leçon pour les profs. Il faudrait qu’ils entretiennent davantage de rapports avec les parents et l’entourage à tous les niveaux d’enseignement. Je m’explique. Faut qu’on sache ce qu’ils font avec les étudiants de façon régulière. Nous faire participer à leurs projets nous les parents, les citoyens, les membres de la communauté. Ils devraient s’arranger pour se rendre plus visibles et si c’est possible, compromettre les gens concernés dans leur enseignement. Ce concours d’épellation en a été un bel exemple de mise en commun de ce que les enseignants pratiquent à l’école. Je le souligne, il n’y avait pas de compétition dans cet exercice grammaticale publique que la possibilité aux enfants de s’exprimer en public et de démontrer autant à leurs parents qu’à leurs profs qu’ils veulent apprendre et avancer dans leur apprentissage de la langue. C’est déjà beaucoup et exemplaire à cette petite échelle.
Et quand j’entends et je vois les médias rechercher toujours la petite bête, la prof ou le prof qui vient de péter les plombs, je me dis qu’ils continuent de nous laisser croire qu’ils n’ont qu’un but dans leur vie professionnelle : étendre la merde que d’autres sources ont souvent soulever avant eux.
C’est dommage que le ministre de l’Éducation qui vient d’être nommé par la CAQ veut se servir de son poste pour nous faire croire qu’avant lui c’était le déluge. Avant lui, les étudiants n’étaient pas bien suivis et notés. Avant lui, les directeurs d’écoles et donc les enseignants aussi ne savaient pas ce qui se passait dans leur milieu. Ça commence à sentir la grande inquisition. Il veut performer le ministre. Il est ambitieux malgré le fait qu’il a viré son capot de bord ouvertement. Comme la chanson de Jacques Dutronc , «je retourne ma veste toujours du bon côté… et à la fin il devra peut-être viré son pantalon parce que sa veste ne tiendra plus.» J’aime beaucoup Dutronc, incontournable troubadour. Il faut que ma petite fille l’écoute. Elle l’aimera, elle aime tous ceux qui sont contre. Surtout quand il le chante.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b. prochain sujet : les médias sociaux : la lie de l’info
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