Moby – Dick aux bleuets

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Jésus dit à Simon :«Avance au large et jetez vos filets pour la pêche.»
-La pêche miraculeuse, Évangile selon saint-Luc, 5-1-11
Il y a quelque chose de fascinant l’hiver ici quand on se met à pêcher sur la glace de la Baie, des lacs et des rivières comme le Saguenay. Le monde arrête de respirer et se transforme en pêcheurs de miracles.
J’ai un dessin chez-moi de Jean-Jules-Soucy décédé au bout de son rouleau qu’il avait fait lors d’un séjour prolongé à l’hôpital de la Baie où il ne voulait plus en sortir. Il avait décidé de ne pas lâcher prise dans une chambre tout confort…il aimait les soignants et les soignés qui l’entouraient. On voyait son appartement pas très loin du coin de la fenêtre de sa chambre. Ils l’ont presque mis dehors de l’hôpital à la fin quand il allait beaucoup mieux jusqu’à ce que santé décline encore. J’attends toujours son téléphone. À la fin, il téléphonait à tous et chacun pour leur dire qu’il partirait pour la grande excursion. Lui qui pédalait sur place pour traverser le Canada, lui qui désirait sans doute se réincarner en sébaste pour veiller sur la Baie qui l’inspirait pour toute son oeuvre picturale, littéraire et combien humoristique.
Sans doute l’un des plus grands comiques d’ici avec ses détournements environnementales et ses citations dadaïstes. À sa fin, c’était l’aide artistique à mourir qu’il réclamait, celle que plusieurs demanderaient après avoir passé la majeure partie de la vie sans moyens pour survivre, sur le bs culturel comme tant d’autres. Je trouve ça particulièrement scandaleux de voir un créateur comme Jean-Jules abandonné de cette façon sans aucun signe de reconnaissance de ceux et celles qui sont supposés veiller à notre bien-être collectif. Comme si les artistes étaient des entités négligeables quand c’est le temps de faire le bilan de nos avancés collectives.
Bon, je me calme. Une grande gorgée d’air pur du large et je replonge dans mon sujet.
Ce dessin maintenant? C’est un dessin en deux temps fait comme ça pour passer le temps à l’hôpital de la Baie par Jean-Jules. C’est tout simple, la marée haute , le quai et la marée basse. Rien d’autre dans la baie. Le symbole de nous tous au cours de la vie, les hauts et les bas, la mer qui revient toujours nous chercher. Mais quand je suis aller voir Jean-Jules il m’a montré la vue de la salle à dîner de l’hôpital, au 5 ou 6e étage. C’était l’hiver et le village de cabanes à pêche se dessinait là dans toute sa splendeur avec les petites rues bien alignées, et les pêcheurs et les voitures qui circulaient doucement. C’était le matin. Jean-Jules était en chaise roulante mais il aurait pu marcher de lui-même. Il préférait la chaise. C’était son style. Il aimait faire semblant parfois.
Le village à pêche ressemblait- de haut- à un village miniature avec ses petits personnages comme dans un film d’animation de l’ONF du temps de Coe Hoedeman, mais lui c’était du sable qu’il manipulait, par de la neige. Quoiqu’il y a des correspondances entre les dunes et les bancs.
J’ai imaginé les gens qui vivaient un temps dans ce village de pêche, certains y dorment et y vivent pour le vrai un bon mois, et j’enviais leur détachement, leur sens du mieux vivre ailleurs. De leur «lâcher prise» d’une époque de cul qui force les gens en général à passer leur vie à s’arracher la vie dans des jobs qu’ils n’aiment pas toujours assumer. À se brûler pour payer leurs dettes. Et quand ils peuvent, ils dérivent sur la glace comme des migrants du Nord un temps limité.
Le dessin de Jean-Jules était près de son lit et je lui ai demandé si je pouvais lui acheter. Il a dit oui. Je ne l’ai pas payé cher. Jean-Jules n’était pas cherrant.
Je me suis aussi souvenu d’un film qu’on avait fait à Télé-Québec qui s’appelait dans le temps Radio-Québec sur la pêche sur la glace. À la Baie justement. C’était madame Blackburn qui dirigeait Radio-Québec Saguenay et j’y travaillait comme recherchiste et animateur sur le terrain, parfois. On s’était gelé le cul royalement. Carl Brubacher filmait et Michel Lemieux devait être le réalisateur. J’interviewais un biologiste de l’UQAC sur les différentes espèces de poissons qu’on pouvait pêcher alors : sébaste, turbot, éperlan, doré, brochet etc. On avait un exemplaire de chacun des poissons et le biologiste s’exprimait.
Avec son vocabulaire scientifique. J’étais trop geler pour l’interrompre. Je tenais les poissons et je gelais. Fallait chauffer la caméra pour pas qu’elle nous lâche. À la fin, je suis parti avec un sébaste. On fait cuire ça en filet comme de la truite. J’y pense aujourd’hui, j’ai encore les doigts gelés.
La pêche était alors moins contrôlée qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas 2000 cabanes sur la Baie et ça veillait tard le soir sans trop de surveillance.
Aujourd’hui, faut presqu’être subventionné pour pratiquer une telle pêche. On construit des cabanes de luxe avec presque la chaleur climatisée. Les droits de pêche coûtent un gros bras. Heureusement, qu’on peut trouver des tentes pour s’installer un peu partout quand la glace le permet.
J’ai entendu les propos du pêcheur qui a capturé un flétan de 156 livres dans le secteur de l’Anse-aux-Érables. C’était hors du commun son récit. D’ailleurs la majorité des médias de la région ont sauté dessus comme une belle prise à exploiter. J’essayais d’imaginer les 4 heures que ça lui a pris pour sortir de l’eau ce Moby Dick aux bleuets. A-t-il déjà lu Le viel homme et la mer d’Ernest Hemingway? C’est pareil en somme avec en plus l’accent régional. Une sorte de citoyen d’abord et la mer. Il évoquait ses mains crevassées, ses efforts pour ne pas lâcher sa ligne, l’aide de ses amis pour l’aider à sortir ce monstre de l’eau glacée, son bonheur d’avoir réussi à se faire photographier avec. Et surtout son besoin de répéter le récit de sa prise en long et en large. Les médias sociaux aidant, il était devenu LE pêcheur parmi les autres.
Du jour au lendemain, ce pêcheur est devenu le pêcheur du mois ou ce n’est pas de la saison. Il reste un pas maintenant avant que les pêcheurs sans limite du Saguenay s’attaquent à la baleine. Pour ce faire, découper un gros trou dans la Baie, de la dimension d’une piscine hors terre et là, installer ceux et celles qui attendent désespérément la grosse prise. En somme, faciliter le travail des pêcheurs de baleines au lieu de les laisser seuls penchés sur leur petit trou. Pourquoi pas? D’autant plus qu’avec l’agrandissement du parc marin du Saguenay confirmé le 10 mars, whale is the limit. Les pêcheurs pourront rêver aux 2200 espèces de cet écosystème bientôt mis à leur disposition, de la Baie jusqu’à l’Îles-aux-Coudres en passant par Trois-Pistoles, les bélugas saluant les amis de Pierre Perrault et de Victor-Lévy-Beaulieu. Marier le parc marin et la littérature.
C’est un peu dommage que les développeurs de la région ne voient que dans ce loisir hors du commun qui attire les touristes de partout –des Madelinots, sans doute des amis de madame Devost de Kénogami, y seraient même venus tâter le flétan- que des retombées économiques. «On n’a jamais vendu autant de fromage en crottes et de pizzas à la Baie. Fallait attendre jusqu’à deux heures pour être servi». Pourquoi ne pas des vendeurs ambulants en patins autour des cabanes à pêche’? Pourquoi ne pas larguer des sacs de fromage en crottes du haut des airs? Un peu d’imagination, que diable, pour bien recevoir la visite Pêcheuse.
Et faites un effort, prenez en compte des retombées psychologiques et philosophiques pour ne pas dire culturelles de cette pêche miraculeuse. Le lâcher prise a un effet du tonnerre lors de cette pratique sportive. Tout est oublié. Vous devenez un personnage de roman sans vous en rendre compte. C’est un transfert d’univers cent fois plus efficace que de tuer son temps de libre en s’injectant des téléromans québécois insipides ou des séries netflics
Qui déconseillent l’usage du tabac, le langage, la sexualité et j’en passe.
J’ai téléphoné à Jean-Jules hier soir, très tard, c’était son heure, et c’était occupé. C’est certain qu’il s’est transformé en sébaste. Il communique avec
Les bélugas face à Cacouna. Il a toujours aimé les voyages sur place.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b. prochain sujet : la bénédiction des skidoos
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