Sommes-nous racistes?

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Le mal le plus pernicieux, le plus nocif sur cette terre est le racisme
-Malcolm X
Les Saguenéens sont-ils racistes? D’abord entendons-nous sur les termes. Être raciste selon le dictionnaire canadien Louis.-A. Bélisle (1944), c’est être partisan du racisme. Le racisme c’est la théorie de préservation de la race aryenne qui vise à unifier tous les éléments de cette race dans le sein d’un État. Les Aryens maintenant : race qui dans la région de Pamir en Asie aurait apporté en Europe la souche des langues indo-européennes. On donne le nom d’Aryens à la presque totalité des races blanches de l’Europe et de l’Asie. Aussi, type de la race blanche selon les racistes. Donc, pour être raciste à temps complet, faut considérer que les non-blancs empêchent de tourner en rond et nuisent à l’émancipation des autres. En somme, les non-blancs sont suspectés de sédition. On ne leur fait pas confiance et dans la mesure du possible on les écarte de la vie en commun. Ça va donc assez loin le racisme. À la limite ça frôle la sélection naturelle en prétextant choisir une race plutôt qu’une autre en vertu d’un choix très arbitraire pas très intelligent.
Maintenant, les Saguenéens sont-ils racistes, c’est à dire, défendent-ils indument la couleur de leur peau qui est en grande majorité blanche? Et si François Paradis avait été noir aurait-il connu le même destin littéraire et régional? On peut se questionner là-dessus. Il s’agit d’avancer un peu quitte à bifurquer de temps en temps.
On sait au moins une chose à propos des Saguenéens – pas l’équipe junior de hockey une fois pour toutes – mais ceux qui vivent de ce côté-ci du Parc. IIs défendent la vraie tourtière, la tarte aux bleuets, leur territoire et cet accent facilement reconnaissable seulement si on leur parle rue Saint-Denis à Montréal ou la rue Saint-Jean à Québec. On l’appelle parfois l’accent de la rue Racine. Et quand ce sont des Jeannois comme des Almatois ou encore plus haut dans le Lac, là je laisse les linguistes de l’UQAC préciser davantage les nuances. Mais ici ce n’est pas le sujet. Quoique parfois, au hockey junior, des joueurs de couleur ou autochtones se font huer ou lancer des bananes par des spectateurs peu subtils qui croient qu’on peut faire des jokes autour d’une patinoire…
Et il faut dire que ce temps-ci, ils sont obligés de se défendre avec une certaine culture machiste traditionnelle qui fait d’eux des cibles faciles…mais ce sera pour une autre fois, les joueurs de hockey bientôt millionnaires…avec leurs groupies dans chaque hôtel, pour ne pas dire dans leur bus.
D’abord, avouons-le d’entrée de jeu, les Saguenéens sont tricotés serrés depuis toujours. Stanley Pean était l’un des rares étudiant de couleur au cégep de Jonquière. Il était très populaire parce que unique. À la longue, on oubliait sa différence et on le considérait comme l’exception qui confirmait la règle. Les Saguenéens sont tous de souche même lui. Après un certain temps sur la rue Saint-Dominique. Surtout qu’il a fini par avoir notre accent et nos réflexes linguistiques de base, y compris les sacres d’usage. Et puis la grande ville l’a avalé, Québec et Montréal le melting pot. Il revient des fois déguisé en jazz man.
Et sur la même rue St-Do, les magasins de vêtements tenus par des Libanais juste à côté de celui de mon oncle Louis-Charles-Gagnon, et au Barillet encore une fois les 2 Chinois qui faisaient la cuisine et dormaient tous dans une petite chambre en bouffant leur propre bouffe qu’ils amenaient de leur quartier montréalais où ils y retournaient à tous les mois. Maintenant chez Sam Sam, à Place centre-ville- le resto sans doute le plus fréquenté de la région- le seul Chinois qui résiste encore (Son nom?Mao? Méo? Personne le sait.) pour cautionner ce buffet canado-chino-nippone-poutino-cuissso-de-grenouillos, etco. Ici les commerces ici ont toujours été sous l’égide de nombreux étrangers tellement mixés qu’à un moment donné on pensait qu’ils étaient de souche sans soucis (Des noms? Gimaël, Zacharie, Cadet, Kavanagh, Hakim, Aywe, Maziade et j’en passe). Mais la mémoire étrangère ne semble ne pas coller ici.
Quelques anecdotes au sujet de notre sujet.
L’ancien porte-parole de la police de Saguenay qui fait maintenant dans l’aide aux organismes communautaires je crois avait fait une sortie publique remarquable concernant notre sujet. Certains membres de notre force constabulaire avaient intercepté une voiture suspecte dont les passagers étaient des gens de couleur. Pour sa défense, le porte-parole du temps avait avoué candidement qu’ici on n’a pas l’habitude de voir de genre de véhicule bondé d’étrangers de couleur. La sureté municipale n’avait pas pris de chance et vérifier l’origine des voyageurs d’ailleurs, surtout qu’ils étaient non-blancs. Il ne l’avait pas dit de cette façon, mais ça voulait dire qu’ici, on n’était pas à Montréal-Nord.
Bref, il faut considérer à ce moment une forme évidente de profilage racial. Évidemment, le porte-parole s’est excusé par la suite, il a nié vivement que les policiers avaient intercepté le véhicule en question parce que c’était des gens de couleur qui étaient à bord, mais le geste discutable avait été posé. On a par la suite tout effacer cet incident.
D’ailleurs il n’y a pas beaucoup de gens de couleur dans la police saguenéenne ou chez les pompiers. Pas beaucoup non plus au conseil municipal, ou chez les cols bleus, blancs, rouges, etc. Pas beaucoup de femmes non plus, que quelques jeunes. C’est vrai que les pompiers ne prennent pas les vieux de peur qu’ils se cassent le cou dans les échelles ou se pendent avec les boyaux. Alors qu’au conseil municipal, plus tu es vieux, plus ils de font de la place, surtout les retraités des fois actifs. Mais je change encore de sujet. C’est normal, une journée j’aime les vieux, l’autre journée pas. Ce que je disais donc…
Nous sommes tricotés serrés surtout avec du fil blanc.
Depuis quelques années, avec la pénurie de main d’œuvre dans tous les domaines y compris en agriculture, des latinos surtout viennent cultiver ici. Au Lac – où il semble j’ignore pourquoi on semble moins méfiant envers les étrangers – beaucoup de fermes engagent en saison des latinos. Quand vous passerez en avril à Laterrière on les voit les latinos dans les champs où un comptoir de légumes transformé depuis en une sorte de Walt Disney de jeux géants pour attirer toute la famille et vendre des légumes évidemment…C’est dommage de défigurer une campagne avec un décor de pacotille semblable, mais ça attire les familles curieuses qui s’ennuient le dimanche après-midi…J’imagine que les Latinos doivent vivent ici en vase clos parce qu’on les voit jamais sur la Racine en train de faire du lèche vitrine ou dans les centres d’achat… Sur les divers kiosques, ils sont même très discrets. Ce sont les premiers de la chaîne alimentaire de ce complexe en somme…
Quand je faisais du syndicalisme à Montréal pour la Fédération autonome du collégial, je faisais régulièrement des reportages, des interviews de profs dans les cégeps affiliés dont les cégeps anglophones de Dawson et de Vanier. Je me retrouvais parfois dans les ascenseurs avec les étudiants et les profs dont la plupart étaient d’origine étrangère. Souvent j’étais le seul blanc de l’ascenseur. Ça ne m’est jamais arrivé au cégep de Jonquière. Ici les profs enseignent la plupart du temps à des étudiants pas de couleurs. Je ne parle pas des cheveux ici. La situation a quelque peu changé depuis que les cégeps de la région recrutent à l’étranger pour conserver leur quota d’étudiants et de subventions financées par le Ministère.
Ici c’est avant tout à l’UQAC que se fait une certaine ouverture au monde. Là une grande partie des étudiants étrangers viennent des pays africains et le melting pot se fait tout naturellement. Mais, je crois que le problème de logement de ces étudiants soulève encore une fois le malaise régional face à ces gens de couleurs. Ils vivent la plupart du temps entre eux dans des appartement pas toujours salubres. Comme l’a souligné récemment l’Association des étudiants de l’Université certains proprios profitent de l’inexpérience de ces nouveaux arrivants pour les exploiter de différentes manières : sans bail ou tronqué, location trop élevée, appartements mal entretenus et menace d’expulsion arbitraire.
Ce ne sont pas les seuls gens de couleurs qui subissent le racisme – puisqu’il faut l’appeler par son nom ce réflexe de base en face de l’étranger- de certains propriétaire d’immeubles locatifs.
Ici depuis toujours, autant au Saguenay qu’au Lac, les autochtones sont mal vus, souvent ostraciés pour toutes sortes de raisons. Une amie qui enseigne au cégep d’Alma accompagne les nouveaux étudiants et étudiantes qui viennent des réserves pour s’inscrire au collégial. Elle doit les aider pour convaincre les proprios d’immeubles d’accepter de louer à des autochtones pour la simple raison que ceux-ci viennent étudier avec leurs enfants et des parents bien souvent. Les proprios sont réticents à les accepter parce qu’on entretient la rumeur qu’ils sont de mauvais locataires, sales, bruyants, fêtards et pas toujours bons payants.
Toujours au Lac, je me souviens d’un beau cas de racisme lors d’un tour du Lac en vélo pour le Burkina Faso organisé jadis par le Centre de solidarité d’Alma. Je n’invente rien, ça s’est passé comme ça. C’est mieux souvent de ne pas inventer. La réalité va toujours plus loin dans l’imaginable.
On soupait en groupe à l’hôtel Manoir de Roberval. Le directeur, un petit sec plutôt nerveux, était dans tous ses états. Il manquait des chaises et des tables dans la grande salle à manger. Il n’arrêtait pas de crier, de gesticuler pour se faire aider par des jeunes assistants plus ou moins débrouillards. À un moment donné, deux autochtones tente d’entrer dans la salle. Il se tourne vers le Garda et lui dit presqu’en criant, «tu me sors ces deux sales-là d’icitte. On a de la visite de partout aujourd’hui, je ne veux pas voir un chriss de sauvages dans l’hôtel». Les deux autochtones sont partis assez rapidement pour ne pas avoir de trouble. J’étais avec deux amis cyclistes, on a décidé d’aller manger ailleurs.
J’imagine bien qu’au Lac les liens qui unissent les autochtones avec les locaux sont parfois difficiles. Un pourcentage disproportionné d’autochtones occupe la prison neuve de Roberval et je pense qu’une aile leur est même réservée.
Un autre souvenir indélébile me revient au sujet de notre sujet principal, soit le racisme régional. Je m’en souviendrai toute ma vie.
Au Café-théâtre Côté-Cour le vendredi 28 avril 2006, la seconde Nuitte de poésie organisée par les poètes animés. Il est environ 2 heures du matin. La Nuitte va bon train, les poètes défilent et les verres de bière aussi. Je vais prendre l’air un peu dehors sur la galerie. Trop de boucane en dedans. Il fait beau, c’est la pleine lune sur la rue de la Fabrique. Tout d’un coup, il y a un grand Noir en chemise blanche qui débouche de la St-Do et se dirige en courant de tout son souffle vers…le Côté-Cour. Il y a un gros gars qui le suit de près et qui semble vouloir le faire disparaître de sa vie et de la ville. Le gars de couleur arrive sur la galerie et nous demande de le cacher au plus vite. Il est à bout de souffle. On lui dit de s’en aller en dessous du bar. Le gros gars qui courrait après arrive et le cherche un peu sur la galerie. Comme il ne le voit pas, il décide de s’en aller.
On rentre en dedans et là on demande à la chemise blanche ce qui se passe. Il nous dit que le gros gars- un bouncer, en français international, un videur – ne voulait pas le faire entrer dans la discothèque en haut du Barillet. Il l’a traité de nègre puant. La chemise blanche lui a craché dans la face et s’est enfuit en courant jusqu’ici. Le bouncer lui a dit qu’il voulait le tuer.
On a gardé le gars à la chemise blanche regarder la Nuitte de poésie le reste de la nuit avec nous. Au matin, il est parti en regardant souvent en arrière de lui, dans les côtés. Il y a tellement eu peur du videur que nous avions aussi peur que lui. On avait l’impression cette Nuitte –là que nous portions tous et toutes des chemises blanches et qu’on était des gens de couleur comme lui.
Sommes-nous racistes? Vous savez la réponse avant même de la poser. À un moment donné, il va falloir se tricoter moins serré, sans trop de laine blanche.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : la mairesse, la seconde
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