Le trafic routier ou les poulets dans le four

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéastre et poète rouge d’Arvida
L’automobile est l’équivalent assez exact des cathédrales gothiques…
- -Roland Barthes, Mythologies, 1957
Je ne roule pas en pick up. Si c’était le cas, je ne lirais pas cette chronique. Les chauffeurs de pick-up, à mon humble avis, ne lisent pas de chroniques plus ou moins dadaïstes. Ils lisent le dernier livre qui vient de sortir sur les secrets du vestiaire du Canadien et se mordent les pouces comme Réjean Tremblay de ne pas avoir écrit ce « best-seller» pour pouvoir toucher les droits d’auteur. Ils connaissent encore moins Roland Barthes et ses Mythologies sur la culture populaire française dans les années 50. Les chauffeurs de pick-up sont ailleurs. Ils vivent dangereusement dans leur tête et au volant de leur tank improvisé. Ils affrontent le destin et les routes mal entretenues. Ils vous disent, quand vous les côtoyez sur la route, de vous tasser de là. C’est du moins la nette impression que j’ai quand je les croise avec mon char usagé. Je ne fais pas le poids et je me compte chanceux de pouvoir encore rouler à leur côté momentanément avant qu’ils m’éclaboussent. Ils ont toutes les raisons du monde pour rouler en pick up.
La première et la plus importante à leurs yeux : ils se sentent en sécurité et à l’abri dans leur pick-up. C’est « un camion puissant et fiable» comme dit la pub. S’ils ne peuvent se fier à personne d’autre, au moins il peut se fier à leur pick-up.
J’ai déjà roulé dans une Renaud 5 usagée et je me sentais en sécurité. Je roulais lentement évidemment mais je finissais toujours par me rendre où je voulais aller, hiver comme été. La sécurité c’est dans la tête du monde, pas dans la grosseur de la voiture. Mais allez faire comprendre ça à des automobilistes dont le cerveau a été lessivé par des années de pub télé aux heures de pointe.
Le meilleur prétexte encore pour rouler en pick up c’est de dire que vous vous en servez souvent pour déménager les voisins ou des parents, pour transporter des matériaux, aller porter un frigidaire à l’Éco centre, etc.
Si on regarde le nombre de pick ups qui occupent nos routes, on doit se demander si on n’a pas le record des déménagements dans la région. D’autres encore vont vous dire qu’ils roulent en pick up parce qu’ils pensent se partir une firme d’entrepreneur. Là encore c’est le plus beau des prétextes pour s’acheter ça ce genre de camion qui doit coûter une fortune en fuel. Et la cerise sur le sundae : on roule en pick up pour pouvoir traverser le Parc en paix. Comme si la route du Parc était encore et toujours une trail de skidoo. C’est curieux, durant les tempêtes de neige dans le Parc, les pick ups se retrouvent souvent dans le clos parce que leurs conducteurs intrépides croient que la glace ne les concerne pas. Vous vous en doutez, je tiens les pick ups pour des menaces publiques et écologiques. En plus de ruiner ceux et celles qui en conduisent sans même qu’ils s’en rendent compte. Même les voitures plus corpulentes ont fini par adopter leurs réflexes de conduite sur la route.
Ma blonde et moi on les appelle «les poulets dans le four». Vous savez ceux et celles qui vous collent au cul le matin vers 7 h30 ou le soir vers 4h pour s’éloigner le plus rapidement possible d’où ils et elles passent toute la journée
Sans vraiment le vouloir. Job oblige, salaire oblige, pick up et comptes à payer et le reste avec obligent. Ils sont pressés. Ils veulent vous dépasser, vous monter dessus, vous klaxonnez à l’infini pour que vous disparaissiez de leur vue. Ils veulent être seuls sur la route pour effacer les limites de vitesse et se rendre à destination tout de suite, tu suite. Ce sont «les poulets dans le four», ils sont pressés de s’y rendre près du four pour le sortir ce satané poulet qui leur crie après. Ils sont pressés, pressés par le temps, par le poulet qui les attend, pressés par tout en somme. Ils ne devraient pas être sur le boulevard Saguenay, le boulevard du Royaume, le boulevard Talbot, l’autoroute entre là et là-bas. Comprenez-vous, ces gens-là ont d’autre chose à faire que de rouler sur la route derrière vous. Tassez-vous de là.
Le matin, vous demeurez à Chicoutimi-Nord, mettons. Vous voulez prendre le pont. Pour l’amour du ciel, tassez-vous de là. Ça rentre par la droite sous le viaduc, laissez les entrer. Ils sont pressés. Ils travaillent quelque part de l’autre bord. S’il y avaient deux ou trois autres ponts au moins. Si les gens du Ministère et de la ville comprenaient que ce n’est pas toujours drôle de demeurer de l’autre côté. Évidemment on demeure de l’autre côté pour se payer un minimum de maison, un minimum de terrain qu’on ne pourrait pas se payer de l’autre bord, le bord des plus riches. Mais le matin de bonne heure, laissez-les passer ces gens-là qui traversent le pont par nécessité.
J’ai déjà visité régulièrement un ami mal en point (le même que l’autre fois) qui vivait chez un autre ami mal en point à Chicoutimi-Nord. Ils réparaient le pont à ce moment-là. C’était encore plus gros trafic que maintenant. Il y a beaucoup de jeunes conducteurs et conductrices pressés (j’allais écrire écervelés) à toute heure du jour et de la nuit sur ce pont. Encore «des poulets dans le four» qui vous dépassent en vous picorant des yeux. Beaucoup de calottes aussi. Souvent les mêmes que les autres. Si on ne conduit pas vite sur ce pont, on prend des risques. Surtout le matin tôt et à la sortie du travail. Parfois on sent l’appel de la CQDC autour du pont. Ce n’est pas un préjugé, c’est une constatation. Ils y arrivent ou ils y vont sur l’heure du midi ou après la journée finie.
Mais je crois que les conducteurs et les conductrices – de plus en plus jeunes et agressives- d’ici sont heureusement moins dangereux que ceux de Québec. À Montréal, c’est une histoire courte. On parque le char quelque part et on prend le métro et le bus pour aller n’importe où. Mais dans la vieille capitale comme ils disent, ils sont rendus à un point de non-retour. Trop de chars, l’heure de point dure toute la journée, même les fins de semaine. De plus en plus difficile de traverser le pont de Québec. Trois quatre voies y débouchent en même temps.
Ils roulent trop vite et signalent rarement. Pour les automobilistes, Québec est devenue une ville de fous au volant. C’est pas un mais deux ou trois poulets dans le four.
Moi j’ai trouvé une solution avec le temps : je prends la traverse de Lévis pour éviter le pont. Vous allez me dire, c’est plus long. Non, quand le trafic est trop lourd. Et pour des raisons que j’ignore, les québécois boudent le traversier. Ils préfèrent se ronger les nerfs dans leur voiture en écoutant les radios poubelles. Mais je m’éloigne de mon sujet. Je suis rendu à Lévis.
Je n’ai pas encore glissé un mot sur le transport en commun. Le sujet de prédilection de Gilbert Talbot de triste mémoire. Ici ce transport a mauvaise réputation. Comme si les dizaines de vendeurs de chars et de pick ups entretenaient ses limites et propageaient son inutilité dans une région où les distances justifient tout.
Pourquoi cette mauvaise réputation? Parce que la barre est haute. Les montréalais qui débarquent vivre un temps ici se rendent vite compte que c’est impossible de se débrouiller au jour le jour et le soir avec ce transport en commun anémique. On ne peut passer sa vie à attendre sur le coin d’une rue pour un bus qui risque de ne pas passer aux 30- 45 minutes. De Jonquière à la Baie ça prend deux heures en bus. Je me souviens que le facteur cultivé prenait la journée pour aller marcher sur le quai de la Baie en bus. Il avait le temps quand il était retraité. Mais, mal pris, aller en bus à l’urgence de la Baie en partant de Kénogami c’est une expédition. Tout ça pour dire que le principal problème de notre transport en commun c’est la fréquence des bus et aussi
L’aspect déconcertant des terminus. Celui de Jonquière par exemple : faut y aller pour y croire. On dirait un garage abandonné qui ferme en fin de journée. La même chose à Chicoutimi. Des dépôts pour des colis en fin de vie et des refuges pour personnes esseulées. Même les itinérants n’y sont pas à l’aise.
Autre détail non négligeable, depuis la pandémie le terminus d’Intercar à Chicoutimi ferme à 20 heures, celui de Jonquière, à 18 heures. Oui, oui 18 heures. Vous faites venir du saumon fûmé de Rimouski, il arrive à 17 h30- à Jonquière, la téléphoniste vous téléphone à 18 h moins 10 et vous vous arrivez au terminus à 18 h 05. Trop tard. Ça m’est arrivé la semaine dernière. Le terminus ferme à 18 heures……………….(Sacres croates). C’est périssable du saumon fûmé congelé en bus. Le lendemain, il est dégelé.
J’ai rien contre les chauffeurs de bus de la ville. Mais eux et elles aussi auraient besoin d’un peu de motivation et d’esprit de participation pour continuer de les croire au service du monde. C’est pas normal que le transport collectif de la ville évoque notre passage obligé (Je parle pour les autres générations) dans les autobus scolaires. Dans mon temps, on allait à l’école à pied ou accrochés au traîneau d’hiver du livreur de lait. Pour ceux qui ont du vécu montréalais, on s’ennuie du métro et des bus aux 15 minutes, bondées ou pas pour aller partout. Des bus avec du monde dedans qui se parle, avec des chauffeurs qui n’écoutent pas la radio populiste sportive.
On mériterait un plan de transformation du transport collectif pour changer d’ère comme dirait l’autre. Des bus à tous les coins de rue. Des pick ups recyclés en sculptures géantes aux coins des rues eux aussi. Des flos qui vont à l’école à pied ou à vélo sans risquer de se faire manger par «des poulets dans le fours». Je rêve, je rêve.
Et des policiers municipaux qui se mettent à faire des avions avec leurs contraventions vierges. Et les stationnements inutiles de la ville reverdis et boisés comme sur le Mont Royal à Montréal. Des conseiller municipaux verts et une mairesse qui roule à vélo. On devrait en être rendu là.
n.b. prochain sujet : on mange quoi ici?
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
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Bel article!
Si seulement tout le monde ou une bonne partie pensait la même chose