Les vacances de Monsieur Hulot

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

Les vrais génies du comique ce ne sont pas ceux qui nous font rire le plus, mais ceux qui dévoilent une zone inconnue du comique.
-Milan Kundera

Moi, mon métier c’est ça. C’est de regarder autour de moi et de voir ce qui se passe.
-Jacques Tati, 1967

Je prends le comique (cinématographique) au sérieux depuis mes études universitaires à l’ Université Laval de Québec, fin des années 60. Je sais, vous étiez tous à l’état de projet à long terme à ce moment-là. On peut tout de même se souvenir des jours heureux quand on vieillit. Vous verrez plus tard si vous vous rendez là. J’en ai un souvenir précieux qui a marqué le reste de mes jours.

La veuve de Buster Keaton était venue présenter les films de son mari et ceux d’Harry Langdon à Québec. Deux comiques plus ou moins inconnus, négligés par la célébrité et le génie de Charlie Chaplin encore dominants, à ce moment-là. Les choses ont changé depuis. Keaton (mais pas Langdon malheureusement) a regagné son talent et son génie. Pour certains historiens du cinéma, il aurait plus de mérite que Chaplin comme metteur en scène et auteur comique.

J’étudiais en philo et en cinéma à l’université. J’écrivains des chroniques de cinéma dans le journal de l’université, le Carabin. Beau prétexte pour couvrir ces films pendant une semaine et sécher les cours.

J’ai encore, dans «mes archives», les notes que j’ai prises sur chaque film (Court et long) de la rétrospective en question. J’ai des copies dvd d’un bon nombre d’entre eux.

Les cinéastes comiques m’ont toujours attiré. Autant les Américains que les Européens. Récemment j’ai visionné pour une xième fois – la saison était choisie – Les vacances de monsieur Hulot de Jacques Tati. Je me suis dit, je vais faire une chronique sur ce film, histoire de montrer que certaines œuvres résistent au-delà des années et nous aident à mieux supporter l’époque.

Deux pages et demi sur ce film magistral, il le mérite bien. Pour oublier les films plates et insipides qui sortent l’été dont Barbie que je n’irai pas voir pour ne pas faire monter trop ma pression. Les films comiques actuels se font rares. Même Woody Allen ne tourne plus.

J’ai hâte de voir le dernier Nino Moretti.

Ça commence comment Les vacances de monsieur Hulot? Des cartes postales dans un kiosque à journaux et le départ, sur le quai d’une gare où tout le monde se bouscule en croyant entendre des directives inaudibles, dans une bus où il n’y a pas assez de place pour tous avec les bagages et sur la route qui mène au bord de la mer. À la gare, une affiche vendant la Bretagne nous fait penser qu’ils s’en vont tous par là. Et puis sur la route toujours, le personnage principal, Hulot- Tati lui-même dans toute sa maladresse et son charme- roule dans une voiture d’une autre époque qui tousse comme un vieux moteur à bout d’âge. Les grosses voitures le dépassent avec leur nuage de poussière de route en gravier. Il perd souvent le fil du chemin avant d’arriver à la mer. Un chien s’endort sur sa route. Il klaxonne et le chien vient le voir pour se faire flatter avant de lui laisser le chemin. Tout Tati-Hulot est déjà là dans cette séquence amicale.

Hulot s’installe à l’hôtel de la plage en arrivant, au dernier étage, sous les toits. Il profite d’une vue panoramique sur la mer et la vie des vacanciers autour. Les vacances commencent. Les enfants admirent son bolide et sa démarche de grand chien plus ou moins abattu. Il traîne sa rame, sa canne à pêche, sa valise.

Les personnages nous sont présentés, ceux et celles que nous suivront tout au long des vacances. L’homme d’affaire qui continue de travailler et de téléphoner malgré tout, la belle jeune fille qui arrive avec sa raquette de tennis et que tout le monde désire – y compris Hulot, malgré la concurrence d’un intellectuel bavard, les deux serveurs de l’hôtel qui se détestent et détestent tout le monde, le couple de vieux qui marche l’un derrière l’autre sans vraiment se parler, les enfants qui semblent les complices de Hulot et plein d’autres personnages qui surgissent au détour du film, comme ces adultes scouts et guides en transit que Hulot va dépanner malgré lui. Les filles l’attirent mais il garde ses distances.

Hulot va tous les amuser et les surprendre par son enthousiasme et sa singularité de vacancier à toute épreuve. Les gags se succèdent à un rythme incroyable. Aucune farce plate. Que des détails d’observation, du comique de situation fondé en grande partie sur le non verbal.

Détail d’importance, les dialogues sont absents. Hulot ne dit qu’un mot durant tout le film, «Hu Hulot» quand il se présente à l’hôtel pour s’inscrire. La bande sonore ne fait souvent qu’amplifier les bruits de fond, le grincement de la porte de la salle à dîner qui finit par nous

Faire rire à chaque fois qu’elle grince, la musique jazzée sur le tourne disque qui dérange les joueurs de cartes le soir, les extraits des bulletins d’information radiophoniques sans suite, les feux d’artifices de la fin qui vont réveiller tout l’hôtel.

Et surtout et avant tout le thème musical lancinant qui revient fréquemment pour nous rappeler que nous sommes en vacances avec Hulot et les autres. C’est, entre autres, ce qui nous reste de souvenir de ce film tourné en 1953 et remonté par Tati lui-même en 1970.
Le film est une succession de gags assumés malgré lui par Hulot qui se met constamment les pieds dans les plats pour bien faire toujours.

Ex. son style de joueur de tennis que lui propose la vendeuse de raquettes. Il finira par déjouer tous ses adversaires au grand plaisir de l’arbitre, une vieille Anglaise admiratrice.

Ses tentatives d’accompagner la belle fille que tous désirent lors d’une promenade à cheval.

Évidemment, le cheval désigné pour lui ne veut rien savoir. Il sera obligé de se cacher pour éviter ses sabots. Comme il se sauvera des chiens qui lui courent après le reste du film.

Dissimulé dans une cabine de plage, il ne peut s’empêcher de redresser une motte de tire du vendeur de glaces qui s’étire et risque de toucher terre. Des détails, toujours des détails qui portent fruit à chaque fois.

Lors du bal masqué vers la fin des vacances, la main de Hulot déguisé en pirate qui frôle le dos lisse de la belle fille, instant magique de séduction à rebours.

Sa séance de peinture sur un kayak et son tour sur la mer qui se transforme en menace pour les baigneurs, prenant son embarcation coupée en deux pour un requin.

Son tour de voiture avec des voisines qui débouche sur un enterrement dans un terrain privé. Il répare une crevaison sur sa bagnole et la chambre à air garnie de feuilles est confondue par l’entrepreneur de pompes funèbres qui la prend pour une couronne mortuaire. Un des plus beaux gags de ce film. Mais il y en a trop.

C’est du comique d’observation mur à mur. Autre exemple par trop, le serveur et majordome de la salle à dîner tranche un morceau de viande pendant que les clients entrent. Une jeune fille mince correspond à une tranche mince, un gros client la suit, c’est une grosse tranche, etc. Faut être attentif pour suivre chaque détail des séquences calculées comme une partition musicale.

La séquence des feux d’artifice et celle du départ valent à elles seule le détour. On saisit alors l’impact invisible de Hulot sur ce petite monde des vacanciers. Au milieu des enfants, il se sent à l’aise. La vieille anglaise qui aime le tennis veut le revoir de même que le monsieur du vieux couple qui l’a envié tout au long des vacances. Il a laissé sa marque et son sens de la camaraderie et du bon voisinage. Sa dernière plongée dans la mer sur le quai quand on remorque sa voiture une xième fois est sublime. Il faudrait citer chacune des séquences de ce film réalisé de main de maître par un cinéaste comique qui avait vu tous ses classiques (Keaton, Chaplin, Langdon, Étaix, Fatty) avant de passer à l’acte et aux gags.

Tati a réalisé évidemment d’autres films, mais le seul qui tient le coup en face des vacances c’est Jour de fête tournée en 1949. Le facteur idéal. On en reparlera.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida


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