La complainte de Xavier Dolan

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

L’art est inutile et se consacrer au cinéma est une perte de temps.
-Xavier Dolan, El Pais, 8 juillet 2023

Pauvre Dolan. Il ne file pas ce temps-ci. Pourtant il est loin d’être pauvre comme la plupart des jeunes cinéastes québécois qui tirent le diable par la queue pour réaliser leur premier ou second film. Sa sortie espagnole dans le quotidien El Pais a fait du bruit. Les cinéastes sans réputation d’ici doivent se contenter des sorties dans des journaux locaux à tirage limité, genre Le Réveil, pour exprimer leur manque à filmer et leur mal de vivre.

Bref, Dolan, tu exagères. D’ailleurs, je ne suis pas le seul à te le dire, même, le dramaturge et écrivain presque nobélisé, Michel Tremblay, te l’a même souligné. Dolan, tu exagères. Tes déprimes devraient te garder loin du monde des médias et encore plus des médias sociaux qui ne font qu’exagérer ce qui se passe au niveau du sol. Tu les fréquentes un peu trop.

Tu veux qu’on te répète que tu as du talent. Et bien d’accord.

Tu peux tout faire sur un film, la production, le scénario, la direction, les décors, les costumes, les choix musicaux toujours hors du commun, l’actage – tu joues n’importe lequel rôle à la demande – et j’en passe. Peu de réalisateurs peuvent se permettre de toucher à tout sans se casser la gueule à un moment donné. Pas toi. Tu finis toujours par t’en sortir. Et souvent avec éclats.

Et le problème avec toi- pour certains c’est un problème de tout déborder- tu peux faire autre chose, tu peux aussi jouer dans les films des autres, les conseiller, les commenter dans plusieurs langues, les doubler comme tu le fais depuis des années pour les séries américaines surtout, métier peu connu du grand public qui fait vivre tant de comédiens et de comédiennes. Pour ta part, tu fais ça depuis longtemps, comme tu joues dans des pubs et des films depuis ta jeune jeunesse. C’est peut-être d’ailleurs ça ton problème, t’as vécu la vie cinématographique devant et derrière la caméra depuis si longtemps que tu as l’impression d’avoir fait le tour.

Après avoir remporté le prix du jury du Festival de Cannes en 2014,- à 27 ans- avec Mommy, sa vie publique a déboulé plus vite que prévue. Il était considéré par la critique française surtout comme le nouveau Jean Vigo du cinéma francophone. Toutes les portes lui sont ouvertes d’un seul coup. Pour produire et réaliser ses films par la suite en quantité et en qualité, les cinéastes et les producteurs de partout lui ont proposé plein de projets, la télé s’est mise de la partie, il pouvait aussi jouer dans tous les films qu’on lui proposait, même Hollywood l’a maraudé sans toutefois obtenir la cote d’écoute américaine qu’il désirait. C’est sans doute ce refus des producteurs américains de lui donner la marge de création libre qu’il espérait qui l’a sans doute déçu au plus haut point.

Mais par dessus tout, faut l’avouer, le cinéaste de 34 ans est fatigué. Il a brûlé son cinéma et ses désirs de création par les deux bouts. On ne tourne pas autant de longs métrages, de séries télé et de clips rémunérateurs sans se brûler à la longue. Ce cinéaste a une filmographie impressionnante.

Depuis j’ai tué ma mère en 2009, il a réalisé 10 longs métrages en plus de travailler sur leur montage, leur décor, leur costume et souvent les produire.

Il a aussi joué dans une vingtaine de films réalisés par d’autres cinéastes, sans compter les clips, les pubs et les doublages en quantité presqu’industrielle. C’est sans doute rémunérateur travailler autant mais, à la longue, ça brûle son cinéaste. C’est ce qui lui est arrivé en grande partie pour faire une sortie limite de la sorte et décider de faire autre chose. Et comme Dolan ne fait rien comme les autres, il a pris la décision de regarder l’univers se détruire peu à peu, de plus en plus.

Il a aussi avoué être déçu de l’accueil de ses créations de plus en plus. Mais c’est le lot des créateurs de crier dans le désert la plupart du temps. Il se posait la question que se posent habituellement bien des créateurs, une œuvre d’art peut-elle changer le monde? Le diriger davantage dans la bonne direction? Le convaincre de changer ses habitudes et de mieux collaborer- par les temps qui courent – à sauver la planète qui se détruit de plus en plus vite avec la complicité des pollueurs et d’un peu tout le monde indifférent?

Le rédacteur en chef du journal Charlie Hebdo, Riss, questionne le découragement de Xavier Dolan dans l’édition du 12 juillet. Lui aussi il se demande si ce n’est pas inutile à la fin de publier à toutes les semaines des textes fouillés et drôles, des dessins, des caricatures sur l’ère du temps et les conneries de ceux et celles qui nous gouvernent. L’art des cinéastes, des caricaturistes, des écrivains – Philippe Lançon et Yannick Haenel , entre autres, tiennent une chronique dans le journal – , des peintres, des musiciens, des acteurs, des actrices, des journalistes sert-il à quelque chose d’autre qu’amuser les foules? Dolan n’est pas seul à constater la destruction de la planète et la fin prochaine du monde qu’on a connu. On est de plus en plus conscient que le vivant, les animaux, les arbres, les océans, l’eau, l’air n’ont jamais été aussi fragilisés. Les catastrophes naturelles occupent la plupart des télé journaux et des manchettes des médias. C’est un peu normal que Dolan fasse partie de ceux et celles qu’on appelle de façon savante, les éco anxieux. Les artistes ne sont souvent davantage que les autres citoyens parce qu’ils prenne le temps plus que les autres à réfléchir et à sentir l’ère et l’air du temps et de l’époque. Riss admet que l’art ne sert à strictement rien et ne contribue pas à l’augmentation du produit intérieur brut (le PIB pour les intimes). C’est peut-être le contraire qui se produit. La plupart des artistes de leur vivant, du moins, crèvent de faim. On ne fait pas de films, de livres ou des tableaux pour s’enrichir. Très peu y réussissent. Une fois morts parfois, ils deviennent des veaux d’or pour les ayant droits. Pensons aux tableaux de Gauguin, van Gogh,

Aux poèmes de Rimbaud, de Verlaine vendus des millions $ quand on met en vente les originaux dans des ventes aux enchères.

Mais là n’est pas le hic de Riss. Ce dernier souligne tout simplement que l’art ne connaît pas ses retombées immédiates ou futures. Les films, les livres, les compositions musicales, les chansons songées, les tableaux, les sculptures, les œuvres théâtrales, les architectures inusitées dépassent le temps présent. Les œuvres résonnent à leur moment et nous font découvrir l’invisible en nous et autour de nous. Dolan, tu travailles pour demain. Ton découragement est réaliste mais inutile. Tes talents servent à éclairer l’époque et à faire évoluer le moyen que tu contrôles le plus : le cinéma. Et j’imagine – parce que je filme parfois et je ressens la même chose – que c’est souvent quand tu filmes, quand tu joues, quand tu montes tes films que ton désir de rester vivant est le plus marquant.

Le temps s’arrête quand on crée, quand on a l’impression d’avoir filmer et dit des choses inédites et précieuses.

C’est le temps qui finit par donner raison aux œuvres d’art. La même chose pour la réception de tes films, Dolan. Donnes leur une chance de résonner, laisses leur temps de porter leurs messages.

Surtout, n’attends rien des échos de ton époque. Tu travailles pour le lendemain. Garde tes distances de ceux et celles qui se permettent des classements, des rangs dans le concours du moment, des jugements définitifs. J’ai une suggestion à te faire en terminant, j’ai un penchant pour le cinéma documentaire. Je te verrais bien comme cinéaste documentaire, le temps d’un film. Pourquoi pas sur l’éco anxiété?

Filme tes amis sur la galerie qui se bercent avec toi en attendant la fin du monde.

Va aussi filmer les autres autour de la galerie qui sont moins éco anxieux parce qu’ils ont toutes les misères du monde à survivre et surtout à financer leur premier film qui les fera sortir de la torpeur et de la noirceur de créer avec rien. C’est une idée comme ça pour t’encourager à moins déprimer pour rien.

Va planter des arbres, va dépanner des cinéastes mal pris, écris tes mémoires,

Des poèmes peut-être, une lettre d’adieux aux dirigeants de la planète. Va éteindre des feux de forêts au lieu de les entretenir avec ta déprime. Tes films sont supers.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida


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