Le déneigement (municipal)

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida.
Quand il neige à plein temps, c’est comme du silence qui tombe
– Felix Leclerc
J’aime pelleter. J’aime pelleter de la neige. Du sable et de la gravelle aussi. Parfois des nuages. Mais surtout de la neige parce que c’est moins pesant. On a les caprices qu’on veut bien avoir. J’aime pelleter de la neige tôt le matin, vers les six-sept heures quand le monde en pyjama qui vienne d’aller pisser se demande ce que fait là dehors cet extraterrestre. J’ai toujours pelleter l’hiver. Je n’aurais jamais osé payer un déneiger privé pour pelleter mon entrée. Dans mon temps, ces gens-là n’existaient pas. On se pelletait les entrées entre nous autres. On avait sans doute quelques principes qui n’existent plus aujourd’hui. Je ne suis pas nostalgique. Je ne fais que constater l’évolution des pratiques et des habitudes en société. De notre rapport qu’on entretient avec l’hiver.
Les temps ont changé. Les gens disent maintenant qu’ils n’ont plus le temps (pauvre temps à qui on met tout sur son dos) de gratter leur entrée ou même leur trottoir qu’ils font gratter par l’ado du voisin en le rémunérant. Qu’ils ne prennent plus de chance de s’activer avec une pelle à neige parce que des gens trop pressés ont succombé à cet effort rapide tôt le matin ou trop tard le soir.
Des cardiologues ont même témoigné. C’est dangereux de pelleter de la neige.
Les vendeurs de souffleuses à neige ont des données statistiques là-dessus.
Bref, la pelle ou la gratte est un instrument toxique. Mieux vaut faire faire le travail par d’autres, à des déneigeurs privés par exemple qui s’y connaissent et n’ont qu’une idée en tête : augmenter leur clientèles et évidemment leur chiffre d’affaire. Vous sortir du banc de neige à la condition de payer pour.
Autre flashback : quand j’étais jeune à Charny mon père, cheminot, me vantait le souffle des déneigeurs de rails qui pelletaient toute la journée et la nuit pour faire passer les trains. Je rêvais déjà de faire partie de leur groupe plus tard. Malheureusement, les souffleuses à neige sont apparues pour effacer cette profession que je considérais noble et essentielle, en plus de garder les
Travailleurs en forme.
On grattait aussi les patinoires l’hiver et on les entretenait. Avant les parties, on faisait l’effort de tasser les bancs de neige près des bandes où souvent on perdait momentanément les rondelles. Aujourd’hui, les patinoires extérieures sont rares et quand on ne peut les recouvrir pour éviter de les gratter, on passe pour des villages ou des quartiers de pauvres.
C’est comme si maintenant, on craignait la neige. On se dépêche de la cacher quelque part pour permettre évidemment aux chars d’occuper leur territoire. On installe des abris Tempo à 500$ et plus pour encore une fois éviter de pelleter. Décidément, la pelle à neige a mauvaise réputation.
Cet esprit anti pelletage s’est répandu du côté des services publics. C’est le sujet de l’heure durant tout l’hiver en ville. Un Africain ou un Latino américain qui nous entendait piaffer contre se dirait sans doute, «ils sont malades ces gens-là de dénigrer ainsi leur environnement, au lieu de considérer son avantage. Ont-ils d’autres sujets de discussion et de préoccupation que la météo?»
Un conseil municipal arrive même à se jauger sur la qualité et l’efficacité de son déneigement. Encore une fois, les automobilistes ont le gros bout de la pelle. Ils veulent des routes déneigées souvent avant que la tempête commence. Les animateurs de radio radotent du matin les prévisions météo à toutes les dix minutes comme si notre vie en dépendait comme leur cote d’écoute.
Cette année, la nouvelle administration de la ville dirigée par une mairesse inspirée par un néo populisme de bon aloi a même convoqué les journalistes à une visite guidée de la mécanique du déneigement saguenéen. On prend la chose au sérieux. On veut éviter les débordements d’humeur lors des grosses chûtes de neige et des tempêtes plus ou moins imprévues. On veut surtout justifier les millions de dollars qu’on consacre à ces opérations de réduction de la couche blanche à l’invisible. Le déneigement est devenu une opération complexe et hautement scientifique. On a mis en place des quartiers blancs qui malgré eux, composent avec la neige qu’on refuse de gratter dans ces environnements pour épargner sur le travail de déneigement des centres-ville et des lieux plus stratégiques. Je crois que c’est l’ancienne administration municipale qui a eu l’idée géniale de procéder ainsi. De fixer en quelque sorte des quartiers de la ville où les citoyens doivent admettre que l’hiver, il y a de fortes chances que la neige encombre les rues. Et que rester pris dans un banc de neige ça forme le caractère.
La ville devrait organiser des concours de pelletage de neige dans ces quartiers blancs ou plutôt les regroupements de citoyens qui ont à cœur la vie communautaire, afin d’éloigner de leurs rues les souffleuses à neige géantes et les grattes de la ville qui massacrent nos arbres et nos terrains durant l’hiver. On devrait subventionner les citoyens qui décident de s’occuper eux-mêmes de leur déneigement de rues. Je vois là des jobs intéressantes pour les chômeurs et autres jeunes oisifs qui refusent de travailler l’hiver pour toutes sortes de raisons. Surtout parce qu’il fait froid dehors et qu’ils refusent de s’habiller comme du monde pour affronter le froid. Je ne m’éloigne pas de mon sujet. Je le creuse, je le pelte.
Investir dans l’achat d’une souffleuse à neige m’apparaît contre-productif comme dirait la chambre de commerce. Je vois souvent des citoyens souffler la neige de leur entrée qui mesure à peine 12 pieds. Comme ceux qui tonde la pelouse de leur terrain de même dimension. C’est quoi l’idée de brûler du fuel pour bruler du fuel. À ce stade-là on se demande s’ils ne le respirent pas avant tout.
J’ai rien contre les déneigeurs professionnels qui sauvent la face des citoyens trop préoccupés par le tourbillon de leur vie mal réglée. Les mêmes qui se sauvent dans le sud l’hiver pour faire semblant qu’ils vivent ailleurs. Ils se sont trouvé une niche capitaliste pour exploiter ce qu’on appelle «les manques de temps». Dommage pour eux. Ils ne connaîtront jamais les joies de la pelle d’hiver et aussi l’appel de l’hiver.
Un clin d’œil à Ducharme encore une fois. Sa blonde Claire venait de Saint-Prime après tout. On l’a peut-être croisé dans le Parc…
J’aimerais beaucoup que nos villes ne se réduisent pas à leur budget de déneigement et de couches d’asphalte. Je rêve en couleurs. Pourtant ma couleur préférée (Au cinéma et ailleurs) c’est le noir et blanc. Surtout le blanc l’hiver.
La prochaine fois que le déneigeur ou la souffleuse de la ville assomme mon pommier avec son rayon de neige durcie, je leur lance des mottes de neiges ou
Je téléphone à mon conseiller municipal pour me plaindre. Habituellement ça marche. Laissez la neige dans les rues qu’on sorte les traîneaux, les skis, les raquettes, les chiens et les rennes. Laissez passer le père Noël. À la pelle, citoyens.
Et pour le respect de la neige et la santé des flos, laissez les bancs de neige gonfler dans les cours d’école. Vos enfants découvriront peut-être la joie de jouer dedans, de grimper dans ses hauteurs. Quand j’ai appris qu’ils dérobaient aux enfants la neige dans les cours d’école pour sans doute les protéger de tout, je me suis dis, on est arrivé là dans le refus de l’hiver et de la neige. Il faut les avertir, avant qu’ils interdisent à la neige de tomber. On dirait que le silence blanc tue aujourd’hui comme dirait Felix.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : le trafic routier ou les poulets dans le four
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