Le feu qui courre

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

Si le feu brûlait ma maison, qu’emporterai-je? J’aimerais emporter le feu…
-Jean Cocteau

L’actualité a le feu au cul. Ça n’a jamais senti autant le roussi et la boucane de feux de camps. Pas juste là-bas, au loin mais ici aussi. On dirait même plus ici que là-bas. Je ne devais plus écrire de chroniques pour un certain temps, mettre celles déjà écrites en meilleure forme et tenter d’en faire un livre comme j’ai déjà fait. Mais, le feu m’attire, ou plutôt m’attise. C’est plus fort que moi. Je dois lui régler son compte.

Il me reste en fait deux chroniques à écrire avant de monter tout ça en tout lisible. Ici, le feu, et après les croisières. J’ai reçu par la poste «mon guide des croisières 2023» de Promotion Saguenay. Je vais tout de même y répondre. C’est le temps qu’on arrête de compter les bateaux et de s’en monter. Mais pour le moment, le feu.

Dans un bulletin de nouvelle télé, une automobiliste évacuée répond à un micro qui la questionne : « c’est la première fois que je comprends vraiment ce que signifie être sans abri».

Mon texte part de là. Comme une révélation. Pas pour moi, je sais depuis toujours que nous sommes des itinérants en sursis. Une révélation pour ceux et celles qui ont toujours fait semblant de rien.

Nous le sommes de plus en plus depuis que la planète se dégrade. L’été a commencé avec les feux de forêts dans notre propre nord, Chibougamau-Chapais et l’Abitibi. Les évacués des réserves et de ces villes qui se retrouvent au Lac juste un peu avant la traversée internationale. Puis, depuis, ça n’arrête pas. Le feu de forêt est pris partout sur le globe. Aux nouvelles françaises de TF1 à chaque soir, le bulletin couvre un nouveau feu quelque part en France. Puis, s’il reste du temps pour les nouvelles internationales, on évoque brièvement ceux qui courent en Espagne, en Italie, en Grèce ou en Turquie. Ça finit plus.

Même notre propre ministre de l’Éducation, Bernard Drainville pour ne pas le nommer, s’est fait prendre par le feu et la déportation lors de ses vacances italiennes. On en est rendu là. Nos ministres ne peuvent plus prendre leurs vacances plus ou moins bien méritées en paix. Le feu les rejoint, surtout ceux qui ne veulent rien savoir du réchauffement climatique.

Des centaines de résidents qui voient leurs maisons ou leurs appartements disparaître dans les flammes, sans compter leur environnement urbain, leur job, leurs boutiques, leurs commerces et leurs albums de photos. Des centaines sinon des milliers de vacanciers et autres touristes obligés de dormir dans des dortoirs improvisés pour fuir les feux. Souvent après avoir tout perdu ce qu’ils avaient emporté pour leurs vacances, les roulottes, les tentes, les voitures. Les terrains de camping souvent situés au bord des forêts brûlent comme des feux de camps.

Sur l’île de Maui en Hawaii, il ne reste plus rien. Les gens de là-bas et les touristes obligés de se tirer à l’eau pour sauver leur peau. En gros, l’industrie touristique de plusieurs pays vient de prendre une puissante débarque. Il faudra tout reconstruire et convaincre un peu tout le monde que les changements climatiques viennent de modifier la donne, comme on dit.

Ce qui a passablement modifié le cours des choses et celui des feux de forêts, c’est la présence de cette canicule précipitant l’ardeur et la spontanéité des feux de forêts et de brousse un peu partout.

Le Canada est l’un des pays les plus touchés au monde par cette inondation des feux de forêts depuis le début de l’été.

J’ai un ami à Yellowknife qui travaille là bas depuis des années comme journaliste. Il me parlait souvent de la rigueur du climat là-bas, du sol constamment gelé toute l’année durant.

Actuellement il fait partie des 20 000 citoyens de cette ville du Territoire du Nord Ouest évacués un peu partout et surtout à Calgary où les chambres d’hôtels sont introuvables.

Les feux de forêts entourent la ville et les animaux sauvages commencent – dit-on pour le moment sans trop avoir de preuves – à s’y installer à demeure.

Est-ce que le feu fait plus de dommage que les trois autres éléments de Bachelard, soit l’eau, l’air et la terre?

C’est cette question je me la pose depuis le début de l’été. Je vais relire mes livres de Bachelard, je crois que c’est le moment. Des références indispensables pour notre ère de retour aux sources.

C’est certain que le feu, ça dérange. La région en a connu un puissant dès son installation, il y a un siècle. Je me demande bien où les habitants et les autochtones d’alors se sont réfugiés pour s’en sauver? Faudrait demander à nos historiens des grandes catastrophes…

Où je demeure, dans une coop d’habitation, le feu a brûlé deux appartements. C’est quelqu’un d’un peu dérangé qui a mis le feu, ce n’était pas un feu de forêt. Mais tout le monde a été touché par l’accident. Habituellement, quand le feu prend dans une maison, faut tout refaire. L’odeur persiste pendant des mois. Les assurances ne vous donnent pas beaucoup de chances de respirer. La reconstruction, s’il y a lieu, prend un temps fou. On dort aves son feu. On ne veut plus voir un camion de pompiers dans les environs.

Des gens de la région ont perdu des résidences secondaires – disons des chalets bien équipés – situés dans les forêts touchées par les incendies du début de l’été. Au nord du Lac, à Chibougamau, en Abitibi. Ils doivent composer avec ces deuils.

À Kelowna au BC, 200 maisons ont été rasées la semaine dernière par les flammes. C’est là, dans cette vallée de l’Okanagan que poussent la majorité des légumes qu’on retrouver dans nos supermarchés. Ça s’annonce mal pour l’hiver..

Comme dit Jean Cocteau, on ne peut sauver le feu ou le sortir de la maison quand elle brûle.
Vaut mieux choisir de sauver d’abord et avant tout sa peau.

Quand le feu a brûlé deux appartements dans la coop où j’habite, deux jours plus tard, quand les policiers nous ont permis d’entrer, on a trouvé un chien et un chat asphyxiés sur un lit. Heureusement, la personne qui a mis le feu s’est sauvée de même que sa compagne. Ça courre vite le feu, faut se pousser avant qu’il nous rattrape. Moi, j’aurais fait un petit effort pour les animaux. Mais je n’étais pas à leur place. J’ai essayé de passer la gratte après, éponger l’eau des pompiers, les calmer quand ils voulaient défoncer les portes pour faire circuler l’air et sauver le monde.

L’eau aussi ça courre vite.

La région est reconnue depuis le déluge pour subir des inondations catastrophiques et souvent inusitées. Ce qui s’est passé à Rivière-Éternité récemment nous le rappelle. Trop de maisons, de routes sont construites trop près des cours d’eau et des terrains montagneux.

On a souvent détruit la végétation, les arbres pour aménager tout ça. Ce qui en ressort c’est que quand les pluies deviennent plus fournies, tout déborde. D’autant plus que souvent la terre est plus argileuse qu’ailleurs. À Baie Saint-Paul, tiens le berceau de nos pionniers, le centre-ville et ses vieilles maisons ont été inondés par la rivière qui coulait juste en arrière de tout le monde. Les peintres René Richard, Clarence Gagnon doivent se retourner dans leur tombe.

Ça s’est passé comme ça à Saint-Jean-Vianney le 4 mai 1971. Depuis, ça se passe souvent un peu partout sans qu’on se rappelle que les pluies peuvent tasser, engloutir, inonder n’importe quoi quand on lui laisse toute la place. Surtout, quand on a coupé tous les arbres qui lui empêchent de s’infiltrer partout.

Quand il pleut plus qu’une journée d’affilée, on devient nerveux. On descend dans la cave pour vérifier si les fissures réparées tiennent bien le coup. On regarde si les gouttières font bien leur travail de déversement. C’est bon pour les tomates la pluie, mais il n’y a pas juste les tomates dans la vie. Comme les feux de forêts, c’est bon pour les bleuets et leur renaissance en forêts calcinées, mais on finit par trouver ça un peu trop facile pour justifier les milliers d’acres perdus pour faire autre chose.

Bref, le feu, l’eau ça ne dérange pas à peu près. Une nouvelle récente qui a circulé partout nous le rappelle : «les feux de forêts canadiens ont émis l’équivalent d’un milliard de tonnes de dioxyde carbone jusqu’ici, durant la saison estivale. Les émissions annuelles du Japon (1,12 million de tonnes de CO2 en 2021), le 5e plus gros pollueur mondial et plus que le secteur aérien mondial en 2022 (près de 0,8 milliard de tonnes de CO2)» (L’Humanité, 15 août 23). Juste ça.

L’air aussi pollue.

C’est l’une des conséquences des feux. Maintenant, les Américains nous détestent un peu plus à cause de notre smog provoqué par nos feux de forêt. On les a empêchés d’aller jouer dehors un certain temps. On va finir par s’habituer. Nous on les déteste parfois à cause de leurs tornades et leurs ouragans qui se rendent jusqu’ici sans notre permission. On les déteste aussi parce que leurs multinationales occupent nos plus beaux territoires bien souvent et les polluent allègrement.

On a vécu une partie de l’été jusqu’ici avec le smog des feux de forêts du nord du Québec. Mais ici le smog ça nous connaît, l’Alcan nous a habitué à voir de la brume dans nos lunettes.
Et cette brume persiste de plus en plus depuis que Rio Tinto a acheté la multinationale qui n’arrivait pas à composer avec l’aluminium chinois.

On est en train de faire des études pour vérifier à quel point les vieilles usines de l’Alcan peuvent tenir le coût, pardon le coup, devant la montée des cancers du poumon dans l’arrondissement d’Arvida et compagnie et ce depuis des décennies. On n ‘a pas besoin d’études universitaires pour le vérifier. On n’a qu’à lire la rubrique nécrologique du Lingot

Depuis qu’il existe. Ses vieux numéros sont à la bibliothèque d’Arvida, bien reliés.

Les feux de forêts à travers le Canada sont une catastrophe écologique déjà mesurable.

Et l’été n’est pas fini, la saison des feux non plus.

La prise de conscience de la fragilité de la planète et de ses locataires n’a jamais été si évidente depuis quelques mois. Mais les climato-sceptiques continuent de se garder la tête dans le sable. Devenus en grande majorité évacués et SDF à répétition, ils finiront peut-être par saisir le sens qu’il faut donner à l’expression trouvée récemment par l’Organisme mondial de l’environnement au post réchauffement climatique et à la protection de la biodiversité : nous sommes passés maintenant à l’ère de la combustion. La planète est en train de brûler partout. Pompier : le métier de l’avenir.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b. prochain sujet : les croisières, encore?


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