L’eau potable polluée de la Baie

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

L’eau et l’air, les deux fluides essentiels dont dépend toute vie, sont devenus des poubelles mondiales
-Jacques Yves Cousteau

L’eau potable de la Baie, du moins de certains secteurs, serait«potentiellement» polluée. La documentation commence – avec un peu de retard, faut l’avouer- à sortir à ce sujet. Les médias encore une fois ont forcé les décideurs et les pollueurs à s’afficher et à se compromettre. Depuis, les chats sortent du sac, un par un. La portée semble nombreuse.

D’abord la nouvelle qui a déclenché l’effet de surprise sur les ondes de la SRC, début juillet, a forcé la tenue d’une conférence de presse de la Ville pour informer ceux et celles qui n’étaient pas encore dans le secret des PFAS.

«Des échantillons prélevés dans le cadre d’un projet de recherche mené par Sébastien Sauvé, prof de chimie environnementale à l’Université de Montréal, ont démontré la présence de 129 nanogrammes par litre d’eau près de la base militaire. Il n’existe aucune norme précise au Québec concernant le taux de ce composant chimique (PFAS), mais Santé Canada recommande une limite maximale de 30 nanogrammes par litre d’eau… au cour de son projet de recherche, Sébastien Sauvé a prélevé des échantillons dans 376 municipalités québécoises… la concentration mesurée à la Baie serait la pire au Québec, selon les conclusions du scientifique.»(SRC 12 juillet).

C’est quoi des PFAS avant d’aller plus loin et de monter avec sa bouteille d’eau aux barricades?

Les composés perfluorés (PFAS) forment une famille complexe de plusieurs milliers de composés chimiques d’origine humaine. Ils sont très stables et persistent très longtemps dans l’environnement. Ils sont utilisés comme antitaches, antiadhésifs, imperméabilisants et pour leur résistance aux flammes (ex. extincteurs de fumée). Ils existent depuis 1940. On les trouve dans de nombreux produits de consommation courante : des mousses utilisées pour éteindre les incendies, des accessoires de cuisine avec une surface antiadhésive- Téflon quand tu nous tiens, des emballages alimentaires, des produits imperméabilisants (Gore-Tex), des produits cosmétiques, etc.

Leurs effets sur la santé maintenant? À long terme, elles peuvent affecter le foie, le système immunitaire, les reins et la thyroïde. Mais jusqu’ici aucune étude déterminante n’est disponible pour les relier à des effets destructifs sur la santé. Mais, comme le dit le chimiste Sauvé, «moi je ne boirais pas de cette eau-là», mais les chimistes sont prudents de nature.

Enfin, actuellement, il n’y a pas de norme pour les PFAS dans l’eau potable au Québec et l’analyse de PFAS dans l’eau distribuée par les réseaux d’eau potable n’est pas obligatoire.

Voilà ce qu’on trouve en gros comme données de base sur les composés perfluorés sur le site du ministère de l’Environnement du Québec. On ne semble pas sûr de rien. C’est sans doute à cause de ce flou scientifique et l’absence de recherches concrètes sur leurs effets sur la santé à long terme que la Ville et les partenaires comme la base militaire pointée du doigt ont réagi avec une certaine rapidité nonchalante en essayant de calmer tout le monde et son voisin. En gros, l’eau est potable mais on ne prendra pas de chances. La Santé publique a le dernier mot. Faut faire quelque chose pour rassurer la population concernée et montrer que le danger de contamination est mineur, pour l’instant. On se sert des fonds publics pour montrer que nous comme élus on bouge malgré tout et le désert de données…

Toutefois, la Santé publique, la Ville et la Défense nationale sont toutefois compromises pour avoir entretenu un certain secret à ce sujet. La population concernée de la Baie ne sait pas à quel pollueur se vouer. Dorénavant, l’eau potable de certains secteurs de la Baie sera suspecte. Les vieux ont peur, les jeunes ne boivent pas d’eau de toute façon. Ils sont au Redbull.

Saguenay met en œuvre des mesures temporaires et préventives pour protéger la santé de près de la moitié de la population de la Baie où on retrouve une forte concentration de PFAS dans le réseau d’eau potable. 8000 résidents sont concernés occupant 3736 maisons alimentées par des puits problématiques. Les secteurs visés sont Port-Alfred , Grande-Baie et une portion du chemin de la Batture. La Ville devra investir 6 millions $(et beaucoup plus si l’on doit refaire le réseau d’alimentation en eau potable) pour mettre en place une solution temporaire et ensuite une solution permanente. Le trésorier de la Ville est dans tous ses états. Les factures déjà lui sortent par les oreilles. D’ici janvier 2024, des filtres seront installés pour bloquer les PFAS. Ils seront changés régulièrement. Les gens qui ont un puits dans le secteur problématique seront raccordés au réseau municipal.

Une nouvelle source d’eau potable sera identifiée et une installation de traitement et de distribution sera construite. (SRC, 12 juillet).

Lentement depuis donc, les chats sortent du sac, un par un.

D’abord le silence de la base militaire, un gros chat s’il en est un qui a l’habitude de fournir de l’information au compte-goutte évidemment pour ne pas compromettre la Défense nationale et sa réputation de bon payeur de taxes. Ce ministère sait depuis 2011 (Ce n’est pas hier ça toutefois) que des PFAS se trouvent dans les eaux souterraines à la limite de la propriété de la base de Bagotville. Une déclaration écrite du ministère le confirme.« Nous avons détecté pour la première fois des PFAS dans les eaux souterraines de la BFC Bagotville à la limite de la propriété en 2011 et avons depuis continué à effectuer des études visant les PFAS, entre autres substances. Depuis 2016, 11,6 millions$ ont été investis dans des activités de surveillance et d’assainissement.»(SRC 14 juillet).

Merci de nous l’apprendre 10 ans plus tard.

Le MDN pourrait établir à l’hiver 2024 s’il est la source des résultats obtenus dans les puits de la Baie.

Il dit avoir informé la Ville de Saguenay, le ministère de l’Environnement et le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec de la présence de PFAS à la base en avril et mai 2023. Deux mois plus tard se tenait la conférence de presse d’information/tampon…

À cette conférence de presse sur le sujet tenue le 12 avril, Saleem Sattar, directeur général de l’Environnement et de la gestion durable de la Défense nationale a confirmé la responsabilité de la base dans ce déversement et a fait amende honorable.«En tant que bons voisins, nous nous engageons à agir de façon responsable et à protéger la santé des Canadiens. »

La ministre de la Défense nationale, Anita Anand, a elle aussi, par voie de communiqué confirmé la responsabilité de la base dans ce dossier des PFAS.« Au cours des travaux de surveillance environnemental de routine, des PFAS ont été trouvés à la base de Bagotville autour de l’ancienne zone d’entraînement des pompiers du côté sud de la base, à proximité des hangars, des bâtiments et des bassins de rétention d’eau du côté nord de la base…»
Et elle ajoute que son ministère a informé Saguenay, le ministère de l’Environnement et celui de la Santé de la présence de PFAS dans la nappe phréatique du voisinage de la base.

Donc, la base de Bagotville pollue les eaux souterraines de la Baie depuis 2011 sans que la population ne s’en doute. Des informations à ce sujet ont sans doute circulé bien avant avril et mai 2023 où on a contacté la Ville à ce sujet. Des liens étroits ont toujours été entretenus entre la base et la Ville de Saguenay. Il faudrait fouiller de ce côté-là. Des fonctionnaires municipaux, des anciens conseillers au courant de tout et discrets pourraient peut-être

Révéler des choses. Les anciennes administrations peut-être?

Il me semble qu’on est très prudent du côté de la Ville avant de blâmer la base militaire et sa discrétion dans ce cas de pollution flagrante. Ici on a toujours ménagé cette base, source de bonnes jobs (600 et plus civils y travaillent) et des taxes municipales de 2à 3 millions$ et plus annuellement. Sans compter les biens et services payés par la base. C’est la quatrième source de revenus de Saguenay après Alcan/Rio Tinto, les secteurs hospitaliers et le secteur de l’enseignement. D’ailleurs la base dépense un montant important pour les services scolaires. Bref, la Ville ménage la base, un très bon citoyen payeur de taxes avec ses 3000 militaires.

Mais ce n’est pas une raison pour ne pas la questionner et la compromettre sur ses erreurs environnementales. La mairesse ne parle pas beaucoup du rôle de la base dans ce dossier.

Elle se dissimule derrière la Santé publique. Comme si ce n’était pas un dossier d’abord environnemental. Le conseiller municipal chargé des questions d’environnement n’avait pas été mis au courant de «l’affaire des PFAS» avant la conférence de presse du 12 juillet.

Ça en dit long sur la confiance que la mairesse entretient avec les élus qui l’entourent.

Mais là n’est pas la question pour le moment.

La Ville va dépenser des fortunes pour rassurer les citoyens de la Baie concernés. Les partis fédéraux de l’opposition n’arrêtent pas depuis le 12 juillet de bombarder le parti libéral pour qu’il admette sa responsabilité totale dans ce dossier et surtout qu’il assume les factures que collectionnent déjà Saguenay. Richard Martel du parti conservateur ne sert de sortir en conférence de presse pour affirmer n’importe quoi, entre autres pour avouer que son parti, il y a dix ans, n’était pas au courant de rien et que les PFAS n’existaient pas dans la tête des chimistes et des politiciens. Sans doute juste dans la tête des militaires.

De leur côté, les députés du Bloc québécois n’ont jamais tant mordu sur un tel os dans la région. Le chef du parti pense sans doute s’ouvrir un bureau à la Baie pour entretenir davantage son opposition totale au silence du premier ministre dans ce dossier.

Je crois fermement que c’est un beau dossier arrivé comme ça comme un cheveu sur la soupe ou plutôt comme une portée de chats sortis d’un sac militaire.

Plus les chats sortent, plus les acteurs se multiplient.

Les citoyens de la Baie vont finir par perdre patience. La Santé publique n’a pas beaucoup d’explications et de conseils à leur donner. Le docteur conseil du CIUSSS tient le même discours que la mairesse, «l’eau ne présente aucun risque pour la santé… mais c’est plus prudent de réduire les PFAS à la source.» En attendant, on va distribuer de l’eau en camion comme on le fait dans le nord de Montréal, à Saint-Donat.

Les élus peuvent faire un bout de chemin là-dessus. Jusqu’à ce qu’on trouve autre chose, une nouvelle piste, un chimiste qui monte d’un cran les risques de boire cette eau. Un militaire qui décide de vider son sac. N’importe quoi pour faire avancer le dossier, à la limite le transformer en enquête publique sur la non-transparence des bases militaires ici et ailleurs.

Mais c’est toujours délicat de compromettre ou d’attaquer la Défense nationale. Surtout dans une région où l’équilibre du budget municipal en dépend en grande partie. Laissons la chance aux chats qui vont sortir du sac, un par un, dans les prochaines semaines.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : les séries télé

 


Les trois (3) dernières publications:


Merci de supporter RueMorin.com en vous abonnant à son infolettre sur la page principale du site. Autrement, nous sommes aussi sur Nextdoor et Mastodon

 

2 Commentaires

Laisser un commentaire