Les festivals estivaux

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
L’été, les bruits sont en fête
-Edgar Allan Poe
Il n’est bon festival sans scandale
-André Bazin, fondateur des Cahiers du cinéma
L’été les gens ne restent plus en place. Les organisateurs d’évènements non plus. C’est dommage. Isolés plus ou moins depuis deux ans à cause de la pandémie, les gens ont pris le chemin du large et des fêtes populaires tôt en mai. Pour rattraper quelque chose comme le temps ou le festival perdu. Ça se bouscule à la conférence de presse de l’un et de l’autre. Moi en mai, j’en ai que pour le festival de Cannes qui, cette année, renaît de son quasi confinement depuis qu’on se promenait avec des masques dans les rues sans prendre le risque de se faire arrêter par la police. Le règlement du temps des carrés rouges interdisant le port du voile sur le visage ne tenant plus. Rire dans ma barbe.
D’autant plus que cette année, le Festival de Cannes a renoué avec les grandes pointures et mes cinéastes préférés. Je vous parle du cinéma parce que c’est mon domaine, davantage que celui des formules un ou des groupes américains de musique qui font la passe, l’été, sur les Plaine d’Abraham. Mon plus beau souvenir du Festival d’été de Québec tout de même c’est le show des Béruriers Noirs à la pluie battante en 2014. Dans les rues par la suite, dans les restos et les hôtels, on aurait dit des zombies pleins de bouette tirés du film The Night of the Living Dead. À deux pas des boiteux de St-Jean Vianney le dimanche. Juste avant que les polices de Québec resserrent les liens du festival et surveillent tout le monde pour pas que ça déborde. Juste avant que ça déborde. Maintenant, quand on va au Festival d’été de Québec, il ne se passe plus rien d’imprévu. Aucun scandale comme dirait André Bazin, un critique de cinéma catholique qui avait pris sous son aile François Truffaut au début du Festival de Cannes célébrant les 400 coups avec Jean-Pierre Léaud, le 4 mai 1959.
Bon, tout ça pour dire, que cette année, le Festival de Cannes nous a laissé des films incontournables. Celui du cinéaste finlandais Aki Kaurismaki, Les feuilles mortes. La dernière fois qu’il était venu à Cannes, il y a 7 ans, il avait fasciné les critiques et les spectateurs avec L’homme sans passé. Un de mes films préférés avec Au clair de la lune(1983) d’André Forcier avec Guy LÉcuyer et Michel Côté en SDF albinos. Tiens, que le temps passe vite et les acteurs de cinéma aussi. Les deux films ont en commun une marginalité, un ton détaché de la vie et un hommage sans concession à la simplicité des êtres qui n’en demandent pas trop pour survivre aux intempéries du quotidien. Pas d’effets spéciaux dans ces films, que des effets d’humeurs et de lumières.
À part Kaurismaki, retour à Cannes du cinéaste italien Nanni Moretti avec Vers un avenir radieux qui vogue sur un tournage de film et la fin du cinéma toujours appréhendé. Moretti comme comédien amusant y joue encore un rôle-clé pour étonner la galerie par son humour déclinant et sa présence déconcertante. Une sorte de remake de son Journal intime filmé à travers les rues de Rome en vespa. Mais dans ce film, il roule en trottinette sur une musique entrainante. Histoire d’être à un certain niveau du tempo routier actuel.
Le dernier cinéaste qui renait de ses cendres à ce festival c’est l’allemand Wim Wenders avec Perfect days tourné au Japon. Le prétexte : suivre un nettoyeur de toilettes publiques esseulé qui retrouve des parents perdus. Sur une musique retro que le cinéaste entretient depuis toujours, disons depuis Paris-Texas, sur le ton de ses road movies habituels. Là aussi le film a fait l’unanimité comme ceux de Karismaki et de Moretti. Les cinéastes vieillissent aussi et leur dernier tour de piste est parfois fascinant comme celui du réalisateur britannique militant de toujours, Ken Loach The Old Oak avouant avoir tout filmé ce qu’il avait à filmer avant de tirer sa révérence. Reste à trouver les cinémas ou les plateformes qui montreront ces films cette année qui vient. Peut-être aux ciné-clubs des cégeps allumés.
Mais, il n’y a pas que le Festival de Cannes au mois de mai. Les autre se bousculent aussi pour entrer dans la parade et la case horaire des fanatiques des sorties extérieures. Le premier qui sonne la cloche-, ce côté-ci de l’océan- c’est évidemment le plus gros, celui qui attire les autres régions comme la notre, le FEQ. Ici il n’est plus question de films mais de musiques. Habituellement sa programmation sort en mars depuis 50 ans. C’est un vieil événement créé dans la foulée de la Franco fête en août 1974. Je m’en souviens, j’y étais mais j’ai complètement oublié la programmation. Je couvrais le tournage d’un documentaire sur l’événement- Franc Jeu- réalisé par le cinéaste de Québec, Richard Lavoie, pour la revue Cinéma/Québec. Pierre Vallières, l’auteur du livre militant dont le titre est interdit de citation m’accompagnait parce qu’il écrivait lui aussi pour la même revue. Le monde est petit.
Les temps ont bien changé. La programmation du FEQ aussi. Le volet chanson francophone a pris le bord comme on dit. Les groupes américains dispendieux ont pris le haut du pavé et des plaines. Les «vedettes» d’ici ont peine à se trouver une plage de spectacle parmi ces gros noms qui font vibrer les nouvelles générations qui préfèrent chanter en anglais. Des exemples de gros noms de la prochaine édition qui me laissent plutôt indifférent parce que je les ignore et que leurs décibels pourraient sans doute aggraver ma surdité progressive… Weezer et Billy Talent, Imagine Dragons, Foo Fighters, Zach Bryan, Lil Dunk, Illenium (J’avoue ne rien connaître de ces énergumènes sur scène) et les trois gros noms québécois qui sauvent la mise et notre réputation : Les 3 Accords et les Cowboys Fringants avec Robert Charlebois et ses invités comme présence nostalgique.
Une fortune pour avoir sur les Plaines ces groupes made in USA et un peu moins mais tout de même bien rémunérés les Accords, les Cowboys et Charlebois à bout d’âge mais toujours en forme et d’une lucidité remarquable. Sa recette? Sans doute son besoin d’expression et ses musiciens triés sur le volet. Ses textes aussi à longue portée un peu comme ceux des 3 Accords.
Il y aussi au FEQ des volets parallèles un peu partout en ville qui nous permettent autre chose que se faire piétiner sur les Plaines. Mais les passes et les billets ont tellement augmenté depuis disons – la pandémie et la guerre en Ukraine – que les revendeurs ont senti la bonne affaire. Les festivals estivaux de grande envergure sont moins accessibles aux communs des mortels. Les mordus doivent donc se rabattre sur ce qui se passe chez-eux. Durant l’été pour satisfaire leur instinct de sorties nocturnes.
Ici une fois passé en mars le directeur du FEQ à Chicoutimi pour faire le plein de Bleuets à son festival, en avril, le Festival des Rythmes du Monde se dévoile de moins en moins mondial. On mise encore sur le gros nom qui tient l’affiche à Québec, les Fameux Cowboys qui viennent tellement souvent ici qu’ils devraient se louer un chalet à Laterrière ou à Saint-Gédéon pour la saison estivale.
On s’ennuie de Tiken Jah Fakoly. L’ouverture au monde de ce festival passe sensiblement par Montréal et Laval. On devrait lui trouver un autre nom comme Le gros rendez-vous du Vieux Port ou encore Le retour des Cowboys Fringants.
Et on y programme de plus des vedettes d’ici sur exposées déjà comme Hubert Lenoir, Dumas et Tire le Coyote. Pour le local Jeanick Fournier qui semble avoir un été bien rempli depuis son passage au Canada’s Got Talent. Elle est dans la plupart des festivals de la région à tel point que je crains la voir- et surtout l’entendre avec mon début de surdité – si elle chante au Carré Davis. Prière de me le faire savoir pour que je retire mes appareils.
Il y a tellement de festivals estivaux ici comme ailleurs que je me demande comment les chanteurs et les comiques de passage – ex, Michel Barrette au Festivalma le 16 juillet, 15$, Pas cher car le 2 juin au TC c’est 42.50$)- font pour se programmer autant à la fois partout du 24 juin au 24 août. Les villes dépensent des fortunes pour assurer aux organisateurs un certain soutien financier et une permanence fragile toujours pour occuper le monde l’été. Comme si ce monde-là ne pouvait pas lui-même occuper ses temps libres ou ses vacances plus moins forcées à d’autres choses plus ou moins conviviales.
À quoi ça sert les festivals estivaux? À faire vivre plein de monde du spectacle, des musiciens, des techniciens, des producteurs, des vedettes, des anciennes vedettes sur le déclin comme les Vulgaires machins le 30 juin à Jonquière en musique ou Messiah Force qui fait encore la première partie de Fantera le 12 juillet après 30 ans de «carrière»…etc.
Mais les festivals estivaux font surtout vendre de la bière l’été. Quand c’est pas du vin ou d’autres liquides, peu importe.
Récemment j’ai entendu le président de Uprod –le crois qu’il anime une émission retro dans une radio populiste locale les fins de semaine – qui justifiait la présence parfois discutée d’Eric Lapointe aux Grands Crus musicaux qui se tiennent début juillet sur la Zone portuaire de Chicoutimi en même temps que le festival des vins. Il admettait que malgré son passé trouble, le chanteur en question «attire toujours le public et surtout qu’il fait vendre de la bière.» Au moins ses propos sont clairs, le promoteur ne se le cache pas, c’est la vente du houblon qui l’intéresse et l’affluence sur le Vieux Port pour faire plaisir sans doute à son directeur Fabien Hovington, un des anciens bras droits du maire regretté au passé politique trouble.
Cette année ce festival rassemble une brochette de chanteurs has benn à vous couper le souffle : Patrick Bruel, Éric Lapointe, France D’Amour, Robert Charlebois, Michel Pagliaro pour ne nommer que les plus dépassés. Sans doute qu’ils doivent faire vendre de la bière pour se retrouver là. Belle initiative de la Zone portuaire et de la ville qui occupe ses citoyens d’abord durant les soirées chaudes d’été.
À quoi servent les festivals estivaux? À revoir et à ré entendre pour la xième fois les Cowboys, Sylvain Cossette, Guylaine Tanguay, Charlebois, les 3 Accords, Éric Lapointe et tous les autres. Ah j’oubliais, Roch Voisine et Jeanick Fournier (Au Palace en déc. 44.75$) à la traversée internationale du lac Saint-Jean (21.71$).
C’est comme une overdose de chanteurs et de chanteuses, parfois quelques humoristes épars, qu’on va revoir durant la saison hivernale dans les salles régionales. Jamais de grandes surprises. On les reconnaît tous et toutes.
Toutefois, parfois des évènements axés sur d’autres musiques ou sur la relève se distinguent de ces festivals où la vente de bières fait foi de tout. Je pense à deux rencontres en particulier, la Noce et le Déluge. À ces deux rendez-vous de juillet et de septembre, Éric Lapointe n’a pas beaucoup de chances de s’y retrouver. Je crois que c’est surtout de ce côté-là qu’il y a plus de chances d’avoir des coups de coeur et d’heureuses trouvailles. Tiens, comme le festival de Tadoussac à la mi juin qui surprend souvent avec une programmation éclectique à souhait, parfois même avec des invités internationaux hors du commun. Vous vous souvenez du passage du chanteur néerlandais Dick Annegard en 2017?
J’ai un ami mordu du FEQ qui installait avant le virus sa roulotte dans une rue discrète de Québec à chaque été et se tapait le plein de chanteurs et chanteuses. Il repart cette année après deux ans de réclusion pour recommencer. Je crois qu’avant il ira à Tadoussac. On l’appelle le beau Luc.
Faudrait que je lui téléphone pour savoir s’il a hâte de partir. J’espère que les feux de forêts ne rejoindront pas Tadoussac avec le smog. C’est difficile de chanter dans la boucanne. Trop d’été au ciel obscurci. Comme un début de fin du monde.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : Faits divers début du siècle
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