Le retour des Nordiques

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Fanatique : celui qui s’obstine à soutenir une opinion qui n’est pas la vôtre.
-Ambrose Bierce, le dictionnaire du diable, 1881
Je déteste les fanatiques du sport professionnel qui se promènent avec le drapeau des Canadiens ou des Nordiques sur leur pick-up ou leur honda. Encore plus ceux qui essaient de nous faire croire que l’équipe poche de hockey professionnel de la NHL de Montréal ou encore des Juniors de Saguenay vont bientôt rebondir, qu’elles sont tous les deux en reconstruction, un peu comme un site internet. Ça me décourage de voir du monde applaudir des perdants mortifères. Ça frôle le masochisme et l’ennui chronique.
Quand j’étais jeune, je regardais à la télé noire et blanche les Canadiens le samedi soir avec mon frère jumeau et mon père. Mon frère plus vieux était médecin militaire à la guerre au Vietnam. Ma petite soeur se couchait tôt. Ma mère faisait des lavages. Mon frère militaire, on lui écrivait le score deux semaines plus tard. Notre équipe gagnait tout le temps. Quand le Canadien ne gagnait pas le samedi soir, c’est qu’il ne jouait pas. La vie des sportifs québécois de salon était alors beaucoup plus simple. Tous les joueurs étaient francophones ou presque. Béliveau, Geoffrion, Richard, Plante, Harvey, Talbot, Pronovost. René Lecavalier parlait à leur place dans un français sportif limpide disparu depuis. Le soir, je m’endormais en récitant la liste des joueurs et leur numéro. Ça me changeait du chapelet ou de l’acte de contrition.
Aujourd’hui, j’arrive à peine à nommer deux joueurs de la même équipe qui n’est plus que l’ombre de celle que j’ai connue. Je m’intéresse désormais davantage au soccer européen qu’au hockey que je trouve toxique et maladif. Je ne jure que par Harry Kane de Totemham et Marcus Rashford de Manchester United. J’aime aussi le brésilien Anthony de la même équipe. Évidemment Kylian Mbappé du PSG est beau à voir jouer à chaque fois. On devrait fermer les arénas pour les équipes de hockey et les convertir en espaces de soccer. C’est le sport de l’avenir et les parents n’auraient pas à s’endetter pour croire encore que leurs flos vont finir dans la NHL avec un salaire de 2 à 10 millions$ par année. Les illusions du hockey sont terminées pour moi.
Mêmes les ligues de garage me découragent. Mais au moins, ceux qui y participent font un effort pour garder la forme. Faut le souligner. Trop de monde ne bouge plus et encombre les hôpitaux tout en enrichissant les pharmacies et les cliniques privées.
Tout ça pour dire que le retour des Nordiques à Québec me laisse particulièrement indifférent si ce n’était l’intervention publique récente de notre bon premier ministre à ce sujet. Ce sujet-là, ça s’apparente beaucoup au troisième lien. J’ignore ce qui se passe à Québec, mais quand j’y habitais (Ou à Charny, la banlieue) les projets tordus n’étaient pas aussi tordus que ceux d’aujourd’hui. Il y a quelque chose de malsain dans cette ville depuis deux ou trois décennies. Les radios poubelles ne peuvent être responsables de toute la bêtise publique qui plane sur cette ville. Je crois que l’Assemblée nationale y est pour quelque chose. Plus précisément, les enjeux électoraux et les nécessités de réélection des partis au pouvoir. Et peut-être aussi le rassemblement dans un même endroit de députés plus ou moins conscients des enjeux de société actuelle. Je m’explique.
Cette ville, cette capitale est occupée par n’importe qui veut y faire son tremplin. Surtout les élus d’un peu partout au Québec qui y débarquent pour se faire un nom, une destinée, une marque de commerce. Bref, cette ville est une rampe de lancement. Qu’on le veuille ou non.
Peut-être quand mélangeant tout ce beau monde dans un lieu unique, stratégique – l’Assemblée nationale – l’effet de contamination devient inévitable. La bêtise, la folie de bien paraître et de se faire voir atteint tout le monde. Fait des petits, se reproduit. La ville touristique aussi y est pour quelque chose. La sempiternelle compétition entre Montréal et elle-même finit par absorber tous ceux et celles qui y vivent. C’est malsain de comparer les villes entre elles et encore davantage les niveaux de réussite urbaine, les uns contre les autres.
Au Saguenay, on compare souvent la ville avec Trois-Rivières ou Rimouski. Parfois Sherbrooke. Pourquoi pas Rouyn Noranda tant qu’à faire? Là-bas les compagnies minières polluent l’environnement, ici c’est RioTinto Alcan. On a tous les deux un gros pollueur qui mine notre santé et qu’on laisse faire à cause des jobs. Les élus de Saguenay aimeraient beaucoup se faire comparer à Québec. L’ancien maire en rêvait la nuit comme le jour. Ses modèles de développement urbain étaient toujours empruntés à cette ville. Mais le problème, c’est que ville Saguenay est en décroissance depuis des années. Québec en croissance dangereuse. La différence est là, démographique surtout, économique, financière et touristique.
Les touristes du monde vont à Québec, pas à Saguenay. Quelques-uns parfois, bien ciblés comme les amateurs de plein air et les croisiéristes qui souvent restent à bord de leur navire ancré quelques heures à la Baie. À Québec, les touristes y passent quelques jours, parcourent la ville pour le vrai, fréquentent les restaurant du Vieux-Québec. Bref, Québec se gonfle le torse avec raison à cause de son potentiel touristique. Et parfois, elle se prend pour une grande ville américaine et voudrait bien le retour des Nordiques pour faire comme les autres et profiter de l’achalandage et de la réputation d’une équipe professionnelle de la NHL comme Montréal et Toronto, et Vancouver, et Boston et les autres cités américaines.
Mais elle en a déjà eu une et ça a mal tourné. Vous vous en souvenez? Flashback.
Le 25 mai 1995, Marcel Aubut, le principal actionnaire des Nordiques depuis 1978, avocat prospère, surnommé le King de la Grande Allée à Québec (Avec Marcel Dutil- industriel beauceron)- président plus tard du comité olympique canadien et accusé de harcèlement sexuel par ses employés…- annonce la vente de l’équipe à un groupe américain, Comsat Vidéo- compagnie de câbles et de téléconférences – pour la somme de 75 millions$. (Les Nordiques de 1972 à 1995, le site).La concession déménage à Denver au Colorado. Pourquoi se départir de l’équipe? Les raisons sont connues et limpides à ce moment-là. La concession n’est pas rentable. La ligue déplore la non conformité du vieux Colisée avec les nouvelles normes de la NHL. Le maire Jean-Paul L’Allier de l’époque ne veut pas que la ville assume les pertes de l’équipe et encore moins son rachat. Le gouvernement du Parti québécois d’alors dirigé par Jacques Parizeau doute de la rentabilité de cette équipe professionnelle qui tire de la patte ou du patin pour survivre dans un marché trop petit. Les actionnaires dont Aubut en tête toujours espèrent en vain le financement de leur bateau qui coule par la création d’une loterie. Loto-Québec refuse pour protéger le marché du casino de Charlevoix. Reste la construction d’un nouvel amphithéâtre aux normes actuelles. 78% de la population de Québec juge inutile la construction d’un nouveau Colisée. Ça peut attendre.
Bref, Aubut confirme que l’équipe n’est pas rentable et qu’il faut la liquider. «Les nouvelles exigences de l’industrie- sic- du hockey, la taille du marché de Québec et l’absence d’une aide gouvernementale adéquate sonnent le glas des Nordiques à Québec» (La Presse, 26 mai 1995). Aubut avait flairé son meilleur coup d’argent.
Les années passent et les Nordiques via le nouveau Colisée renaissent un moment de leurs cendres. En septembre 2015, on inaugure le Centre Vidéotron dont l’architecture ressemble étrangement à un gros détecteur de fumée (genre show de boucanne pour les groupes américains comme Metallica et compagnies) après de nombreuses tergiversations et on ne sait plus de négociations politiques municipales et provinciales. Tout ça enrobé de ce bavardage public de la classe populiste à la frontière du fanatisme sportif qu’on connaît bien à Québec quand il est question de hockey de tout calibre. Le Parti Québécois sous la direction de Pauline Marois en 2014 y perd beaucoup de plumes dans cette saga du Centre Videotron en essayant de ménager la chèvre et le chou tout en acceptant que des fonds publics d’importance financent une entreprise privée minée au départ. Le nouveau Colisée de Québec au coût de 370 millions$ est financé par trois partenaires : le gouvernement québécois (185 M$), le groupe de mordus des Nordiques, J’ai ma place (15,4M$) et la ville de Québec (169,6M$). Dans cet investissement utopique pour faire revenir le hockey de la NHL à Québec, c’est surtout la ville qui perd au change en se voyant obligée d’entretenir ce Centre dont elle assume la propriété avec la collaboration de Vidéotron.
Ce nouveau Colisée répondant aux normes de la ligue Nationale devait permettre le retour des Nordiques à Québec. Ce sont plus tôt les groupes américains sur le déclin qui occuperont les lieux et quelques boxeurs de seconde zone.
Depuis 20 ans, l’équipe se laisse désirer. Régulièrement, la rumeur circule sur son retour. Cette rumeur vient de partout. La dernière en liste c’est celle du premier ministre François Legault qui est «confiant» après avoir rencontré le commissaire de la Ligue, Gary Bettman (On dirait un chef de la mafia quand il intervient sur la scène publique) lors des funérailles de Guy Lafleur. «Je l’ai vu aux funérailles de Guy Lafleur et je lui ai dit en personne. Eric Girard (Ministre des finances) est allé le voir à ses bureaux pour lui dire. Il sait très bien qu’on est ouvert à un projet…vous savez que je rêve de revoir les Nordiques.» (Le Devoir, 18 mai 2023).
Le premier ministre tire dans toutes les directions depuis que le projet du troisième lien a évacué le transport automobile sous le fleuve. Il veut faire oublier cette décision de toutes sortes de manières. Le retour des Nordiques dans son chapeau en est une. Il souligne même que les gens d’affaires de Québec lui ont fait signe pour investir là-dedans et que le marché de cette ville a évolué depuis 20 ans. «Ça pourrait être Québecor avec d’autres investisseurs privés, il y a d’autres gens d’affaires qui sont intéressés à investir dans une équipe comme les Nordiques de Québec.»(op.cit.)
On le voit bien, on le sent encore davantage, le pm charrie et fait du surf sur le sujet pour gagner du temps et calmer la région de Québec qui comptait tant sur le troisième lien pour traverser le fleuve en VUS en10 minutes.
Et ça marche. Le pm n’a jamais été si populaire. Au dernier congrès de la CAQ tenu la fin de semaine du 13 mai, ses militants lui ont accordé un vote de confiance de 98,6%. On se penserait en Turquie ou dans une dictature africaine où l’opposition est interdite. C’est vrai que le pm n’a pas pris de chance pour ce vote en permettant aux employés de son parti (plus de 500) de voter lors de ce fameux référendum sur son leadership. Des employés qui veulent sans doute garder leur job comme les députés et les ministres caquistes actuels qui espèrent leur augmentation salariale de 30% et plus pour «mieux nourrir leur famille.»
Le retour des Nordiques est-il réaliste? C’est une lubie. Le plus beau des prétextes pour faire rêver des amateurs de hockey qui s’ennuient de leur chimère disparue pour enrichir un Marcel Aubut qui a flairé à temps l’occasion d’affaire ultime pour lui. Le King de la Grande-Allée s’est servi avant tous les autres. Les fans des Nordiques ne le préoccupaient pas tellement. Le pm peut entretenir l’illusion d’une équipe de hockey de la NHL dans la Vielle Capitale encore quelques temps. Les radios poubelles de Québec vont peut-être lui pardonner le coup bas du troisième lien avorté pour se mettre à re-militer pour les Nordiques. Surtout que le maire actuel de la ville-le maire en espadrilles- n’est pas un fervent défenseur du hockey professionnel financé par les deniers publics. Ça va aussi les reposer de militer contre le projet de tramway porté par le maire.
Québec est une ville minée. Minée par des idées et des folies de grandeur. Elle devrait oublier de se comparer toujours à Montréal et vivre ses modèles réalisables. Mieux entretenir son patrimoine architectural qui laisse à désirer depuis quelques années. Consolider ses transports en commun et son futur tramway. Nous donner le goût de la visiter à pieds et cesser de subventionner les vedettes américaines sur les plaines l’été. Mais là c’est déjà le sujet de ma prochaine chronique. Que les Nordiques dorment en paix, ses actionnaires ont assez empoché. Que le pm change de toune. Plus populiste que ça tu meurs.
Les Nordiques ont des chances de revenir que dans la semaine des quatre jeudis. Semaine bénie.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : les festivals estivaux
Les trois (3) dernières publications:
- Bar à Pitons (30 mai 2023) Programmation du Bar à Pitons pour le mois de juin 2023
- Ghostly Kisses // Sheenah Ko (29 mai 2023) Samedi 3 juin au CEM, 37 Rhainds, Chicoutimi-Nord, 20h00
- Nordheim + Trollwar (29 mai 2023) Vendredi 2 juin au CEM, 37 Rhainds, Chicoutimi-Nord
Merci de supporter RueMorin.com en aimant notre page facebook:
www.facebook.com/RueMorinpointcom/
Ping : Unissons Saguenay | RueMorin.Com
Ping : Premier atelier de discussions sur le centre-ville de Chicoutimi | RueMorin.Com