Montréal vue d’ici

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida et d’ailleurs
Mon cœur est à Miami, mon corps à Miami et mon âme
À Montréal
Dany Laferrière
J’ai vécu dix ans à Montréal. Je ne suis donc pas objectif quand j’en parle. Moi aussi, un peu comme Laferrière, mon âme est à Montréal, parfois. J’aimerais bien qu’elle soit également dans d’autres villes que j’aime bien, Paris, Rome, et peut-être New York et San Francisco et même Québec dans les années 60. À la limite Tokyo pour me tenir au bar La Jetée de Chris Marker, mon cinéaste documentariste préféré. Et peut-être à Istanbul pour avoir la chance de rencontrer Orhan Pamuk au musée Saint-Sophie.
Mais je m’éloigne de mon sujet. Pas mal à part ça.
Ici au Saguenay comme au Lac j’imagine, Montréal est le bout du monde pour plein de monde. Le lieu de perdition par excellence et surtout le modèle de vivre à ne pas suivre. Pas loin de Babylon…tant qu’à y être.
Il y a des gens ici qui n’ont jamais vu Montréal, ils n’y sont jamais allés et ils l’imaginent à travers ce qu’ils lisent dans Le Journal de Montréal-Québec et à la télé. Ça n’aide pas beaucoup pour voir clair dans cette ville qui ressemble davantage à une vraie ville que tous nos gros villages réunis de ce côté-ci du Parc.
Une fois, je déménage de Montréal à Jonquière. La compagnie de déménagement de Jonquière m’envoie le camion et ses deux déménageurs pour vider mon appartement montréalais. Surtout ma cinquantaine de boîtes de livres. «Les as-tu tous lus?» la question classique des déménageurs devant une montagne de livres…
Les gars finissent par me trouver sur le Plateau pas loin du Parc Lafontaine, rue Mentana. Jean Leloup c’est presque mon voisin, mon chien Buster jappe après le sien. Bref… Ils sont nerveux les chicoutimiens de passage. La fin de l’après-midi approche.
Ils veulent coucher à Montréal et repartir tôt le matin suivant. Ils cherchent un motel pour dormir. Le problème c’est qu’ils ne veulent pas dormir de ce coté-ci du pont Jacques-Cartier.
C’est trop dangereux de se faire voler leur camion, disent-ils. Ils veulent dormir à Longueuil, l’autre côté du pont. Je ne comprends pas leur crainte. Ils me disent que sur l’île c’est risqué pour eux. Ils veulent protéger leur camion. Je leur dis que personne ne vole des camions de déménagement sans raison à moins d’être plein de lingots d’or, qu’ils n’ont qu’à bien barrer le leur. Rien n’y fait. Ils vont dormir à Longueuil avec mes livres et mes dvds avant de retourner chez eux et chez moi au Saguenay. Ils sont méfiants. L’un d’eux vient à Montréal pour la première fois. Il doit avoir 23 ans environ. Il trouve que les édifices sont trop hauts. Il ne dormirait pas là-dedans. Le trafic est trop dense. À la station d’essence, on lui a parlé anglais. Il y avait trois itinérants qui dormaient près de la porte du dépanneur. Un autre pas très loin vendait un journal L’Itinéraire, 2$ (Aujourd’hui le même journal est passé à 3$, inflation oblige. Les itis gardent la moitié des ventes.).Mon déménageur junior en a acheté un pour surprendre ses chums au retour. Il tient le journal dans sa poche de derrière.
Je voudrais les rassurer mais c’est impossible. Ils sont comme en pays étranger…
Ici souvent les gens vont à Montréal pour aller voir perdre les Canadiens ou bien pour aller voir un show rock américain (Souvent Metallica pas Voivoid) de passage là. Ils y vont aller-retour. Certains même reviennent le soir ou la nuit même sans dormir dans cette ville «dangereuse». Je n’invente rien, j’écoute ce qu’ils disent ces gens-là et je rapporte leurs propos. Je les regarde vivre et creuser leurs préjugés sur tous les fronts.
Ils ne vont pas voir la ville de tous les dangers, ils vont participer à une sorte de cérémonie sportive ou culturelle. La ville en question ne les intéresse pas. Ils sont bien chez eux. Ils se méfient de ce qui se passe ailleurs. Les gens se font tuer partout dans cette grosse ville, les gangs de rues armées règlent leurs comptes, le jour comme la nuit.
Inutile de s’attarder là. Vivement de retour chez-nous où il se passe rien. J’allais plutôt dire où le calme plat demeure. Où le record des homicides annuels ne dépasse jamais les 2-3-4-5. On se tue moins en périphérie qu’en ville. C’est déjà ça de pris. Mais ce n’est pas une raison pour se terrer.
Montréal est aussi la ville de tous les excès.
Ici on déteste Montréal, parce qu’on ne parle que d’elle dans les médias. Sans souvent faire le lien entre les médias et leur lieu d’origine. Ici, le monde passe leur vie à regarder la télé montréalaise , à suivre à la trace des séries monocordes avec vedettes locales – à enregistrer religieusement les shows parlés où ces vedettes ne cessent de se vendre au plus offrant (Ex. Véro, son chum, ses enfants, sa revue subventionnée pleine de pubs, ses émissions de radio, de télé, son influence sur nos valeurs(sic), sa garde-robe, ses vacances, sa maison de x millions, sa visite en ATM pour appâter le jeune et le budget de la télé d’État et j’en passe), à rêver qu’on parle d’eux dans ces shows, au moins cinq minutes quand quelqu’un d’ici se démarque de n’importe laquelle de manière et ce monde-là – et surtout les journalistes et commentateurs d’ici – se demandent encore pourquoi on parle juste de Montréal dans ces médias nationaux. Il me semble que ça saute aux yeux. Les médias québécois ne sont plus décentralisés comme ils ont déjà été il y a un certain temps. Toutes les manchettes, tous les sujets de l’heure qu’on va étirer comme une tire de Sainte-Catherine sont choisis depuis la ville située sur une île où on retrouve un métro, des embouteillages à ne plus finir, la patinoire des Canadiens, TVA, la SRC, le Mont-Royal et Fairmount Bagel pour les initiés.
C’est triste mais c’est comme ça. Les régions –même Québec, la Capitale Nationale – ne fait pas le poids.
Ce que les gens n’aiment pas dans les régions c’est que les affaires se passent à Montréal.
Toutes les affaires. Encore plus culturelles qu’économiques, je crois.
Comment dénigrer cette ville alors? Facile. Ici, on en est passé maître.
Montréal est une ville polluée, éloignée de la nature sauvage, des forêts, des beaux lacs et des rivières poissonneuses. Des sentiers pédestres et des neiges éternelles l’hiver. À la limite, une ville irrespirable. Que des chars et des camions qui inondent les routes, les voies de sortie et les autoroutes à vous donner le mal de mer. Que des cônes oranges comme dirait Martineau le chroniqueur daltonien qui ne sait plus quoi radoter pour toucher son salaire démesurée comme son condo de luxe à Outremont. L’envie juste de porter un masque. De survie en pays épidémique. Bref, la ville qui cache le soleil à toutes les autres.
Allons voir. Il y a 100 parcs à Montréal, je ne travaille pas pour la vendre, je dis juste que cette ville est beaucoup plus respirable qu’on le croit en périphérique comme dirait Ducharme. On y trouve des milliers d’arbres plus que matures, bien conservés, bien entretenus qu’on protège à mon avis beaucoup plus qu’ici. Des piscines publiques extérieures et intérieures par dizaine à faire rougir de honte une ville comme Saguenay qui les troque pour des jeux d’eau comme si on pouvait apprendre à ne pas avoir peur de l’eau et à nager en prenant sa douche.
Des pistes cyclables à Montréal entretenues à l’année durant pour des milliers de gens qui ont décidé d’aller travailler et de vivre en roulant à vélo électrique ou pas comme à New-York où les cyclistes commencent à vendre leur char pour pédaler. Est-ce possible ici?
Poser la question c’est y répondre.
Avant de considérer Montréal comme une ville de perdition il faudrait peut-être se demander si on la connaît vraiment.
Je n’ai rien contre le Saguenay à part le fait que son chauvinisme viscéral me tombe sur les nerfs. Il me semble que le village perdu des Gaulois qui résistent devrait se regarder dans le miroir et saisir mieux l’époque où on vit.
Je suis prêt à servir de guide pour conduire des saguenéens qui ne sont jamais allé à Montréal et leur faire le tour de ce qui n’est pas dangereux dans cette ville. On n’ira pas voir perdre les Canadiens. On ira ailleurs. Vous verrez bien quand vous viendrez. On n’ira pas à la Ronde non plus. On n’ira pas faire le public à TVA ou à Radio-Canada. On ira ailleurs.
On ira, par exemple, voir les murales sur la rue Saint-Laurent, faire un tour de vélo sur le Mont-Royal ou le long du canal Lachine, fouiner dans les libraires d’occasion éparpillées un peu partout et se taper un programme double de westerns de John Ford à la Cinémathèque sur Maisonneuve ou des performances à l’Agora de la Danse sur Cherrier, à côté du Café.
On ira en Bixi évidemment si l’on n’a pas notre vélo personnel se taper les pistes cyclables qui entourent l’Île et le fleuve jusqu’à Saint-Lambert et à Longueuil.
On ira passer des heures au Jardin Botanique et dans le Vieux pour y découvrir les musées
Qui passent inaperçus. On remontera à pied la Main. On ira voir des amis saguenéens au Cheval Blanc sur Ontario.
Pour les restos, on a l’embarras du choix. À Montréal, on peut encore trouver des restos chinois dans le quartier éponyme où l’on bouffe sans se ruiner. Le truc : quand c’est fréquenté par des Chinois, c’est bon signe. On ira vibrer aux tams tams sur le Mont Royal.
Les montréalais aussi sont chauvins. Surtout quand ils se comparent aux autres provinces canadiennes, surtout quand ils dénigrent Toronto. Quand ils daignent glisser un mot sur Québec, c’est souvent pire. Plusieurs n’y sont jamais allés. C’est un peu comme les chicoutimiens qui dénigrent Jonquière ou Alma. Les Jonquièrois dénigrent aussi Alma.
C’est une façon comme une autre d’être fier de sa ville sans trop savoir pourquoi.
On devrait organiser des visites obligatoires de découverte du monde chez les montréalais en les abandonnant quelques semaines dans toutes les régions du Québec. Et, le pendant serait d’expatrier les régionaux – comme les Bleuets qui conspuent Montréal en sachant pourtant que bien de leurs compatriotes peuplent en partie cette ville – à Montréal pour qu’ils secouent quelque peu leurs idées reçues sur cette ville qu’ils craignent sans vraiment la connaître de l’intérieur. Quitte à voir le nombre d’exilés d’ici et de là-bas rebondir. On en est rendu là je crois dans les échanges culturels à double sens. Quitte à sortir la périphérie de sa torpeur du large. Je milite pour sortir le saguenéen de sa coquille. Le pousser au large de lui-même.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida et d’ailleurs
n.b.prochain sujet : les petites jobs
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