C’est quoi la vision?

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida.

La vision est l’art de voir les choses invisibles
-Jonathan Swift

On lit pour découvrir une vision du monde
-Amélie Northomb

Par les temps qui courent, et plus souvent qu’autrement, les politiciens s’accusent mutuellement de ne pas avoir de vision. Qu’est-ce à dire? Jamais personne ne donne plus de détails sur ce manquement grave des bêtes politiques qui nous entourent et nous détournent du droit chemin de la démocratie de plus en plus mal menée.

J’entends ici mêler un peu plus les cartes.

Le petit Robert peut m’aider un peu dans cette recherche de la vision sous toutes ses formes. «Représentation imaginaire» me décline-t-il dans l’une de ses définitions du mot. J’aime bien qu’il flirte avec l’imagination.

À mon avis, je crois que l’imagination vole très bas chez nos politiciens. Prenons, par exemple, ceux et celles qui interviennent en politique municipale. Je n’ai pas de noms en tête. Je les mets tous et toutes dans le même panier. Vous les connaissez bien, ils ne cessent de se montrer. De manière générale, ils suivent l’ordre établi. Ils détestent faire des vagues. Quand ils en font, souvent par accident, ils se perdent en excuses pour se faire pardonner.

De toutes les générations confondues, les vieux comme les moins vieux pas encore retraités, ils s’entendent tous sur un objectif commun qui semble incontournable : l’équilibre budgétaire. Pour ces gens-là, c’est la condition sine qua non de la survie en politique municipale et j’imagine aussi dans les autres niveaux gouvernementaux.

Ils veulent équilibrer le budget. Ils n’ont que ça en tête. Ils en rêvent la nuit, en font des cauchemars et ça devient leur principale ligne de conduite. Ils parviennent même à demeurer des années en poste avec ce mantra. C’est déprimant de les entendre. À peine arrivés sur la scène politique municipale, ils deviennent des comptables quand ils ne le sont pas déjà de par leur profession. On ne peut pas dire que l’imagination est au pouvoir en politique municipale.

S’ils prennent la décision douloureuse d’augmenter les taxes municipales (L’obsession et le cauchemar de la majorité des propriétaires et des commerçants qui rêvent d’une ville sans taxes) ils s’en excusent du plus profond d’eux-mêmes au lieu de miser sur une meilleure qualité des services publics avec la note qui va avec. Les élus municipaux sont à quatre pattes devant les propriétaires et autres contribuables. Ils sont sans aucune imagination quand c’est le temps de justifier leurs décisions surtout comptables. La plupart des commentateurs de la vie publique dans les médias ne jurent également que de la même manière : il faut équilibrer le budget. Comme effort d’imagination on n’a déjà vu mieux. Il semble qu’on pourrait, même dans cette matière qu’est la gestion des finances publiques, déployer un peu plus d’imagination pour ne pas dire d’intelligence et de perspicacité. Par exemple, mettre certaines dépenses incontournables en commun avec des partenaires des différents paliers de gouvernement.

La ville qu’on appelle Saguenay fait un effort en ce moment pour «équilibrer son budget», c’est à dire, entre les lignes, ne pas trop augmenter les prochaines taxes municipales. Alors, pour ce faire, on coupe des projets à gauche et à droite. Par exemple, pur hasard, on vient d’abandonner le projet de conversion de l’église Saint-Edouard à La Baie en bibliothèque municipale après 25 ans de démarche citoyenne pour le réaliser. Le groupe qui le défendait, patrimoine Saint-Edouard, a même amasser un million $ pour y contribuer. Pour des raisons – il faut le souligner- uniquement financières, le conseil municipal vient de le rejeter. On veut équilibrer le prochain budget. La mairesse actuelle et ses conseillers veulent être réélus (faire son bilan de la première année et quémander une réélection, c’est plutôt personnelle comme vision) et ne veulent pas faire de mécontents en augmenter une fraction de trop les taxes.

Pourtant, ce projet de bibliothèque municipale dans l’église Saint-Edouard (Un site patrimonial magistral) avait tout d’une vision culturelle et communautaire pour le futur du centre-ville de La Baie. On pouvait déjà imaginer la vitalité des lieux reconvertis comme d’autres villes l’ont fait avec leur église désaffectée. Je pense ici à celle de Sainte-Foy, la bibliothèque Monique-Corriveau dans l’ancienne église aux lignes modernes semblables à celles de Fatima. Mais ici on sait que depuis le massacre de l’église Fatima à Kénogami on ignore systématiquement la valeur patrimoniale et architecturale des vieux bâtiments. C’est l’ancienne direction municipale qui a montré la voie : on démolit ou on laisse se détériorer lentement ces édifices. Puis, on construit du neuf en refilant les contrats à des proches du régime en place.

Au lieu d’imaginer la renaissance du centre-ville de La Baie avec cette nouvelle bibliothèque qui attend depuis 25 ans (Celles de Chicoutimi, de Jonquière et d’Arvida ont elles aussi fait du purgatoire), l’administration municipale se sert encore de son imagination pour évaluer les dépassements de coûts. Après 25 ans d’attente, c’est un peu normal que les frais augmentent.

Je crois que si le projet avait été sportif – un autre aréna par exemple ou des jets d’eau au lieu d’une piscine – les comptables qui nous gouvernent auraient trouvé les fonds nécessaires. Ils auraient fait un effort d’imagination. C’est ce que je leur reproche : ce ne sont pas des gens inspirés, il y en a très peu dans nos gouvernements. Ils sont tellement terre à terre qu’on dirait des calculatrices sur deux pattes. Que des chiffres dans leur bouche et leur tête.

Si on amorti 20 millions$ (L’évaluation actuelle un peu gonflée du projet selon les élus pour faire peur aux contribuables frileux) sur 25 ans c’est pas cher. Mais nos politiciens municipaux et surtout provinciaux actuels continuent d’acheter leur bonne réputation avec des chèques et des bilans comptables qui balancent. Quitte à balancer du revers du budget des projets portés pendant des années par la population en toute bonne foi. C’est désolant et insultant de voir les conseillers, la mairesse et le député du coin (Réélu avec un bilan dérisoire. Ancien conseiller municipal docile) s’en laver les mains au nom de leur bonne gestion. Ces gens-là n’ont aucune imagination, ne voient pas l’invisible de la collectivité, l’incertain au loin. Ce qu’ils voient : le bout de leur nez d’élu satisfait de leur courte vue.

Comme prix de consolation, les lecteurs de La Baie auront droit à une «mise au goût du jour» de l’actuelle bibliothèque située derrière le théâtre du palais municipal. Une sorte de dépendance ressemblant comme deux gouttes d’eau à un garage municipal sans fenêtres recouvert de bardeaux d’aluminium. Comme architecture de lecteurs pauvres et démunis c’est réussi. On pense alors à l’église Saint-Edouard et on se dit que les élus municipaux auraient fortement besoin de recyclage en architecture pour prendre des décisions plus éclairées. Mais à ma connaissance la majorité de nos élus municipaux sont des petits gestionnaires, des sportifs limités et des retraités en mal de bénévolat rémunéré. Beaucoup de fins de carrières essoufflées et des opportunistes incultes. Peu d’artistes ou d’intellectuels dans nos conseils de villes ici ou ailleurs. Bref, des gens un peu connus au départ qui nous disent servir le peuple en entrant. Par la suite, ils servent leur réputation.

À ville Saguenay, la vision d’une ville idéale n’est pas au rendez-vous. Celles et ceux qui la gouvernent ne lisent pas assez. Comme dirait Amélie Northomb. Pour eux, une autre bibliothèque passe après de nouveaux stationnements, de nouveaux équipement sportifs, de nouveaux parcs industriels, de nouvelles couches d’asphalte, de nouvelles décorations de Noël et un peu plus d’étalement urbain. Ils exècrent surtout le goût du risque pour l’avenir. Faudrait peut-être leur envoyer des livres pour leur donner un peu plus d’imagination? On en est rendu là.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida.
n.b. prochain sujet : la ministre Laforest embauche


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