Le 3e lien, on n’est pas sorti du fleuve

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
En politique une absurdité n’est pas un obstacle
-Napoléon Bonaparte
Pour moi, un sujet comme le troisième lien à Québec c’est un peu comme l’indépendance. C’est un sujet intarissable et inépuisable. Ou comme la crise d’octobre. Mon sujet préféré pour confondre notre situation de colonisé de l’intérieur. Même comme la pandémie maintenant. Tout le monde peut se faire du capital sur lui – le 3e lien – et aussi se casser les dents et la réputation. Ça fait des ans que ça dure, au moins depuis 2018. Ça n’arrête plus de trainer à gauche et à droite. C’est magique ce sujet-là pour mettre le feu ou pour l’éteindre.
On est encore bon pour le traîner trois ou quatre élections provinciales et fédérales. On s’amuse comme on peut de ce côté-ci de l’océan. L’imagination politique québécoise a ses limites. Les politiciens d’ici manquent de repères et surtout de poésie. On y reviendra. La CAQ va continuer de surfer là-dessus. Et le parti conservateur provincial d’Éric Duhaime encore plus. Quel homme politique drabbe!!!. Et le reste, les complotistes vont s’en charger. On n’est pas sorti du fleuve.
J’ai resté longtemps près du fleuve où ils veulent creuser le troisième lien. À Charny pour ne pas la nommer la ville ou plutôt le village ferroviaire où mon père travaillait à réparer et à dépanner des trains mal pris. À ce moment-là, le trafic sur le pont de Québec –le vieux pont fédéral – ne dérangeait personne. J’ai traversé combien de fois ce pont de jour comme de nuit- en voiture, à vélo, à pieds à 3 heures du matin – sans que personne ne se plaigne qu’il fallait attendre trop longtemps à cause du trafic. Je pense que tout a commencé avec la construction du pont Pierre-Laporte (Vous me suivez, la crise d’octobre!!!) le pont suspendu qui a fait croire aux banlieusards de la rive sud qu’on pouvait habiter de l’autre côté sans que ça change rien. Charny a subitement gonflé comme tous les autres petites municipalités du coin, vers Lévis, en montant jusqu’en Beauce. Ils pensaient tous pouvoir se rendre à Québec en moins de 10 minutes.
Même Pintendre- mon frère jumeau restait là, quand il était jeune l’été, il peinturait le vieux pont – est devenu une vraie banlieue où il n’y avaient que des champs de patates et de foin. Le maire Lehouillier ne jure que par ces nouveaux quartiers périphériques pleins de chars et de nouveaux arrivants porteurs de taxes municipales. L’heure des condos de luxe avait sonné pour la rive sud. Pour lui, le troisième lien, c’était la solution à tous les problèmes. D’abord faire plaisir à ces nouveaux citoyens venus d’un peu partout pour travailler comme fonctionnaire à Québec, mais obligés d’habiter sur l’autre rive pour se payer ce que l’instinct de propriété conseille à la majorité du monde : une maison pas trop cher ou un condo de luxe au même prix, un petit terrain pour y faire pousser la pelouse et peut-être une piscine hors terre pour les deux mois d’été. Ah oui, une place de stationnement pour les deux voitures et les abris tempo. Pas de garage, c’est trop cher.
Le troisième lien c’est d’abord une affaire de radios poubelles. Si vous habitez Québec, tout le monde sait ça. Depuis des années, les «animateurs vedettes» dont Eric Duhaime le premier mais le moins pire de tous à mon avis, ont martelé le mantra du 3e lien. Ils ont tout fait et tout dit pour entretenir sa nécessité. Les charges contre ses opposants (les adeptes du transport en commun, les cyclistes, les écolos, les québécsolidaires, les péquistes) ont été constantes et virulentes. Ils ont fait des marches, des manifs, des sorties publiques contre l’ancien maire Labeaume qui ne le défendait pas le sacré 3e lien. D’ailleurs au sujet de ce maire justement devenu chroniqueur à La Presse, il faut lire son papier en réaction à l’annonce du premier ministre et de sa ministre du transport, «GG en campagne», 22 avril.
C’est un des textes les plus drôles et corrosifs que j’ai lu depuis longtemps dans un de nos quotidiens. Ce Labeaume a du style, un vocabulaire éclaté et surtout une expérience du terrain politique municipale qui lui permet de se distinguer des autres chroniqueurs amateurs. Sa façon surtout de décrire la nécessité pour un politicien ou une politicienne d’être indifférent (En utilisant même la référence à François Mitterand) à son entourage quand il est temps de donner un grand coup. Car c’est justement ce coup qui a été donné par le premier ministre et la ministre des transports et de la mobilité durable (sic) pour réorienter un certain temps la mission du 3e lien malgré le fait que la majorité des députés caquistes élus sur la rive sud se retrouvent le bec au fleuve avec l’exclusion du transport automobile dans le nouveau projet.
Labeaume s’est défendu pendant des années contre les attaques des radios poubelles, surtout au sujet du 3e lien et de son projet personnel de la ligne de tramway. Les députés de la CAQ, le premier ministre en tête, ont littéralement suivi les revendications des animateurs de radios populistes pour être certain que le bon peuple vote de leur bord, élections après élections. Mais, à un moment donné, la promesse du 3e lien ne tenait plus la route ou le fleuve.
Toutes les raisons sont bonnes pour évacuer ce projet. Labeaume est convaincu qu’il ne se réalisera jamais. Moi aussi je penche de ce côté-là. C’est un projet absurde. Avant tout. Creuser un tunnel sous le fleuve pour permettre de rejoindre les deux rives. Et surtout pour les citoyens qui veulent aller travailler plus vite le matin et retourner encore plus vite le soir chez eux. Pour qu’ils gagnent du temps, en somme. Ce n’est pas pour souci de rentabiliser davantage le transport des marchandises entre les deux rives, ou la plus grande circulation des touristes comme ceux en Europe.
Prenons par exemple le tunnel sous la manche (Reliant la France à l’Angleterre) qui a coûté 15 milliards d’euros il y a 30 ans est composé de trois tubes de 50 kilomètres dont 38k percés sous la mer pour faire circuler surtout les trains. Ce sont des banques et des entreprises qui les ont financés et qui en touchent en grande partie les tarifs de passage.
Ici, ce sont les gouvernements, donc les deniers publics qui financeraient le lien. Aucune contribution du secteur privé. Que du fric de nos taxes. Et on ne s’entend pas du tout sur le montant total de la facture. Elle grimpe à chaque fois qu’on refait une autre étude. Jusqu’ici, les études en question ont coûté 58 millions$ environ dont les 2/3 en honoraires professionnels. C’est fou ce qu’on peut faire avec le fric des autres quand on est élu à la tête d’un gouvernement.
Je disais donc que ce projet absurde a toutes les raisons contre lui et pourtant on continue de vouloir le mener à terme. Les élus de la CAQ dont les deux anciens journalistes de la SRC, Martine Biron et Bernard Drainville en tête, espèrent le traverser en 2026. Le premier ministre aussi qui ne regrette rien en utilisant tous les prétextes pour justifier sa volte-face. De leur côté, les radios poubelles de Québec sont remontés au front. Tous les coups sont permis. Même le beau Richard Martineau qui a milité un temps dans une radio poubelle de Québec avant de promouvoir sa propre antenne (Lui et ses amis chroniqueurs du JdeM et Q) financé par Québecor- sa vache à lait- dénonce l’argument fondé sur le télé travail du premier ministre pour justifier le retrait des voitures dans le tunnel 3. «Si les gens travaillent de moins en moins en ville, pourquoi continue-t-on de construire des tours à bureaux?» ânonne le beau Richard. Quoi répondre à une telle démonstration d’intelligence urbaine? C’est simple, dans une ville, ce sont les entrepreneurs qui distribuent les cartes et souvent les sièges. Ils finiront bien par les remplir, à la limite en les virant en hôtels. Bernard Drainville que je trouve plus opportuniste que le pape en pourfendant les écolos de Québec parce qu’il représente la ville du maire Lehouillier, a précisé ses grands projets des prochains mois sans doute pour nous faire oublier le 3e lien…
Il veut construire une autre glace à l’aréna de Lévis, investir dans l’hôpital, bâtir deux ou trois autres écoles – après-tout c’est lui le ministre des écoles – et pourquoi pas une salle de spectacle au collège Lévis où mon frère jumeau a étudié et jouer au hockey. Ça c’est du politicien local. Ça rejoint les projets de la majorité des élus de la CAQ qui volent à la hauteur des besoins essentiels des contribuables. La ministre Laforest du quartier des oiseaux aussi pilote le même genre de projets porteurs d’élections.
Maintenant, c’est peut-être opportun de trouver la véritable bonne raison qui a poussé le premier ministre et sa CAQ à retirer du tunnel les voitures, en ne privilégiant que le transport en commun ou les trains peut-être.
Depuis le début – 2018- le premier ministre sait que ce projet est irréalisable. C’est un projet absurde. Qui ne tient pas ni la route ni le fleuve. Il le défend pour sauver et sa peau et sa crédibilité et son siège et la CAQ, parti politique de malentendu et de malentendant. Parti construit sur les ruines des autres. En attendant. Dans le dictionnaire Littré (1872), au mot absurde, on lit comme définition «contraire au sens commun». J’aime bien ce recours. Surtout qu’au sens commun, on dit «l’intelligence ordinaire avec laquelle la plupart des gens naissent». Donc, pour comprendre la véritable nature du 3e lien il faut sans doute posséder une intelligence hors du commun, peut-être supérieure. Dans mon temps, un gars mal pris, volait une banque ou rentrait dans l’armée. Aujourd’hui, il devient vendeur de chars ou animateur de radio poubelle. À la longue, il peut même faire les deux en même temps. S’il a la cervelle des animateurs de radios poubelles qui frise celle des méduses ou des éponges. C’est pas plus compliqué que ça. Ça tombe bien, c’est je crois l’intelligence des politiciens qui sont toujours prêts à vendre leur chemise et le reste pour nous faire croire n’importe quoi, surtout en campagne électorale. Ils ont une idée fixe, toucher du doigt et du bout du nez au pouvoir et quand ils y ont touché, ne pas lâcher prise. Y tenir coûte que coûte. Le serrer fort fort dans ses bras. Tout faire pour le garder. Quitte à user de cette intelligence supérieure dont parlent parfois les politiciens. C’est avec elle que parlait le premier ministre en campagne électorale de 2018. Maintenant on comprend tout.
Il faut une intelligence hors de l’ordinaire pour saisir le sens à donner à cette promesse du 3e lien. Elle tient encore jusqu’aux prochaines élections, mais amputée de ses voitures. La prochaine fois, on amputera le reste et le tunnel avec. Dans le temps comme dans le temps.
De toute façon, tout ce beau monde, Legault, Drainville, Biron, Laforest et compagnie circulent en limousine. Ils ne prendront jamais le transport en commun. Ni la traverse de de Lévis que j’aime tant .Ils ne dormiront jamais sur la rive sud ou à Chicoutimi-Nord. Ils dorment à l’ombre du parlement. Le pm à côté du Clarendon. C’est juste un mauvais moment à passer. Un pont brumeux aux heures de pointe. Une promesse un peu trop vite faite. À la longue, un malentendu. Pas plus. La politique est ainsi faite. Un trou de mémoire. La lumière au bout du tunnel.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b. : prochain sujet : concours d’épellation à Kénogami
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