Les livres, les livres

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste, lecteur et poète rouge d’Arvida

Écrire ce n’est pas vivre. C’est peut-être survivre.
-Blaise Cendras

J’aime les livres. Désespérément. Je ne pourrai jamais lire tous les livres que chez chez-moi qui attendent pour être lus. C’est ce qui me désespère le plus.Si j’avais une raison de rester en vie encore un siècle ou deux, ce serait pour terminer ce besoin de lecture et ces dizaines de livres qui m’attendent sagement en vain. Une raison comme une autre. Vider ma bibliothèque avant de disparaître.

Blaise Cendras lui, il parcourrait, le monde avec des caisses de livres qui ne pouvait abandonner quelque part. Il s’est ruiné plusieurs fois à payer les frais de ces précieux bagages de papier. Son amour des livres était inconditionnel.

Il a fini par toutes les perde ses caisses de livres voyageuses.

Quand je menais une carrière plus ou moins brève de syndicaliste à Montréal avec des amis des cégeps qui avaient fondé une nouvelle fédération (la FAC) un temps pour prendre nos distances des grandes centrales, j’avais des confrères aussi mordus des livres que moi. On se réunissait une fois par mois pour faire un échange de petits Nelson, l’une des premières éditions de poche qui regroupait un tas de classiques de la littérature. On allait chez les bouquinistes – alors ils étaient légions – pour se procurer quelques boîtes de livres à 5 ou 10$ et on les tirait au sort toute la soirée, entre deux verres de vin. J’ai presque tous les Victor Hugo dans cette collection-là. Ceux qui ne connaissent pas les petits Nelson, ils leur manquent quelque chose. Des fois la page couverture était recherchée, bien illustrée en couleurs. Parfois le cuir de la relieuse en couleur. Ceux qui n’aiment pas les livres ou qui ne lisent que des biographies de vedettes genre Ginette Reno qui se vendent chez Jean Couteux ne comprendront pas ce que je viens d’écrire sur les petits livres de poche d’une autre époque. C’est normal, dans ce temps-là, les gens faisaient la différence entre la littérature et les bios papier cul qui enrichissent les pharmacies. Comme si elles n’avaient pas déjà fait le plein pendant la pandémie.

Un autre souvenir de livres quant à y être pour essayer d’oublier ce que notre ministre de l’Éducation nous a promis pour la rentrée scolaire de septembre : des livres neufs dans toutes les écoles du Québec. 300$ de livres neufs pour les éducateurs et les bibliothèques scolaires. Oui, oui, vous avez bien lu, avant lui on n’achetait plus de livres pour le circuit scolaire. Avant lui, le déluge. Il se prend pour qui lui qui militait pour le troisième lien des chars entre Lévis et Québec avant qu’on se rendre compte que les chars vont bientôt disparaître avec la couche d’ozone et les députés de la CAQ sur la rive sud de Québec. Moi si j’étais à sa place, ministre opportuniste s’il en est un, arrogant jusque dans ses retranchements d’animateur de radio populiste un temps avant de se trouver une limousine de ministre, je me garderais une petite gêne avant de miser sur la littérature dans les écoles pour se faire du capital ministériel. Il a beau nous faire croire qu’il prend les livres au sérieux, j’aimerais bien savoir ce qu’il y a dans sa bibliothèque ce ministre improvisée catapulté là par un heureux hasard du vide politique qu’on subit depuis la pandémie contrôlée de a jusqu’à z par un parti politique jovialiste et sans projets collectifs à part celui de réduire les impôts et de tenir en place le plus longtemps possible.

Depuis longtemps, l’achat de livres neufs et récents dans le circuit scolaire et surtout dans les bibliothèques d’ici souffre d’un sous financement chronique. Je doute que ce ministre de l’Éducation répare les dégâts déjà causés. Les enseignants passent leur vie à acheter les livres qu’ils utilisent dans leurs cours à leurs frais. Ce n’est pas avec 300$ de livres par année que vous allez faire vivre un enseignant et ses étudiants. Il n’y a pas, par exemple, obligation d’acheter tous les livres québécois qui se publient pour garnir les bibliothèques publiques et scolaires. On devrait commencer par là. Pour faire mieux vivre et les écrivains et les lecteurs/enseignants qui croient encore à la littérature à tous les niveaux d’enseignement. Quand un flic est engagé par une municipalité, on l’habille, on le nourrit sur les heures de travail, on lui fournit la voiture, un gun, des menottes, un ordonnateur pour piéger les conducteurs fautifs et les criminels de passage, Comment se faire des amis par Dale Carnegie, bref, on l’équipe. Le prof lui, on ne lui fournit même pas ses outils premiers de travail, des livres.

Mais ce ministre de pacotille m’égare. J’ai un autre souvenir de livres qui m’a marqué.

J’avais quoi, 13 ou 14 ans, et je voulais lire les classiques. Une idée comme ça. Je m’abonne aux éditions Rencontres. Un livre par mois. Pendant un certains temps. Je choisi Victor Hugo et Fédor Dostoïevski. Pourquoi ces deux-là, je l’ignore. Je ne m’en souviens plus. Ça coûte 5 ou 6 $ par mois. J’ai pas l’argent. Je ne paye pas. Les livres arrivent, je vais au devant du facteur pour les recevoir. Mes parents ignorent tout de mon investissement à perte. Les livres s’accumulent. Je les lis, je les trouve beaux, je suis fier de ma bibliothèque. Mais un jour, je reçois une lettre recommandée du comptable que le facteur me dit de remettre à ma mère ou à mon père. Je dois 145$ aux éditions Rencontres et ils exigent le paiement d’ici deux semaines. Je n’ai pas le choix, j’avertis ma mère. Mon père l’aurait pris trop personnel. Après discussion avec ma mère, elle accepte de régler la facture et même de prolonger mon abonnement. Toutefois, elle me demande de bien lire tous les livres et de les conserver en bon état.

Je les ai encore (voir la photo) les Hugo et les Dostoïevki. Je crois que ma passion des livres date de cette époque. Depuis, partout où je vis je sens le besoin de m’entourer de livres et de personnes qui ont la lecture à cœur. C’est dommage que les médias ici n’accordent pas plus de place que ça aux livres. Quand je vais dans les salons du livre et que je vois la file de monde qui attend pour signer des bios de nos vedettes de la télé, j’ai mal au cœur et à l’âme. Ils en écrivent tous et toutes. Ils appellent ça des livres parce que le texte est écrit sur du papier et relié entre deux couvertures. Souvent sur la page d’entrée, une photo couleur de la vedette qui veut se vendre. C’est décourageant et déprimant de voir que notre littérature grand public se limite à cette mise en marché de personnes connues qui chantent, ou qui passent à la télé plus souvent qu’à leur tour.

Ces temps-ci, c’est Ginette Reno et Guy Lafleur qui font courir et lire les foules. Ça repose un peu de L’Annuel de l’automobile aux éditions La Presse, un autre de nos best seller annuels. Bon, Ginette Reno. Je n’ai pas encore lu son livre. Si son agent, Nicolas Lemieux (c’est lui qui a eu l’idée de réserver le livre qu’aux pharmacies Jean Coutu :32.95$) me l’envoie en service de presse, je le lirai peut-être. Mais je ne suis pas certain. Pour le même prix on peut s’acheter Londres , un inédit de Louis-Ferdinand Céline aux éditions Gallimard. Ginette Reno ou Céline, pas Céline Dion mais Louis-Ferdinand? Et je pourrai éviter les Garda qui entourent Ginette pendant ses lancements pour éviter les médias. Comme à Rimouski samedi dernier.

Faut y réfléchir. C’est difficile pour les librairies de lutter égal à égal contre Ginette qui ne veut pas se vendre chez-eux. Ils disent tous qu’ils ont besoin de ces ventes pour se payer de la vraie littérature. C’est triste, mais ce marché est ainsi fait.

Je n’entends presque jamais parler de livres dans les médias. À la radio, à la télé c’est mort ce domaine-là. Ils vont parler de Ginette et de Guy Lafleur. Je me souviens d’un animateur de radio poubelle de Québec qui se demandait c’était qui à la mort de Réjean Ducharme. Ici nos radios populistes vont sans tout faire pour une interview avec Ginette. Avec Guy Lafleur ce sera plus difficile. Ces gens-là ne lisent rien si ce n’est leurs textos qu’ils envoient à n’importe qui de leurs amis imaginaires pleins de fautes évidemment. Ah oui, ils ont lu le livre sur les secrets du Canadien que Réjean Tremblay aurait aimé écrire parce que c’est payant, Au cœur du vestiaire par Pierre Gervais. Encore là de la grande littérature de salle de bain. Un autre bestseller que les salons du livre vont s’arracher.

Un ami aussi maniaque de livres que moi m’a aidé à construire une niche pour les livres que j’ai installée dans la cour de ma coop d’habitation. J’ai une photo ici. Ça m’a permis de rencontrer un menuisier hors de l’ordinaire quelque part à Laterrière. Il nous a fait à nous deux une niche de livres en pin. Elles peuvent passer à travers de la troisième guerre mondiale. J’étais content et fier de ma niche de livres ouverte hiver comme été fixée dans la cour de ma coop d’habitation.

Le hic c’est que les gens ne savent pas toujours c’est quoi ça? Même si c’est écrit dessus. Ils sont venus y déposer des cannes de bines, de légumes, des soupes en boîte, bref, de la bouffe au début. Ensuite, des casse-têtes – c’est un peu mieux – et des jouets. À la fin, des livres pour enfants et pour adultes. Maintenant, le stock de livres se renouvelle lentement. On peut aussi y échanger des films en version dvd. Il n’y a pas beaucoup de classiques de la littérature, mais j’ai tout de même retrouvé deux ou trois Balzac et un Victor-Lévy Beaulieu, son Jack Kerouac en livre de poche. Beaucoup de livres grand public aussi, les bios de Michel Louvain, Jeannette Bertrand, Paolo Noël mais pas Ginette Reno.

Si elle vient vendre ses livres au Jean Coutu du carré Davis, j’organise une campagne de boycott pour défendre les droits des libraires de le vendre aussi.

On verra bien.

Pierre Demers, cinéaste, lecteur et poète rouge d’Arvida
n.b.prochain sujet : le troisième lien

 


Les trois (3) dernières publications:


Merci de supporter RueMorin.com en aimant notre page facebook:
www.facebook.com/RueMorinpointcom/

 

4 Commentaires

Laisser un commentaire