On mange quoi ici?

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge plus ou moins végé d’Arvida

Manger en mâchant, parler en réfléchissant

  • Un proverbe vietnamien ramené par une amie de là-bas

Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil

  • Anthelme Brillat-Savarin, Psychologie du goût, 1826

Les Saguenéens mangent trop. Je n’ai pas de données précises là-dessus, mais je me fie à mon pif. En plus, ils mangent mal. Trop de viande, trop de fromage (Je vais y revenir), trop de fast food.

Ici, quand un nouveau restaurant ouvre, une chance sur deux que ce soit un autre restaurant de bouffe rapide. Comme si on préférait manger dans son char qu’à une table. Expédier le tout manger au plus tôt. J’ai connu un flo qui rêvait des pilules pour remplacer les repas. Asimov l’avait marqué.

En plus, c’est connu, ici les gens mangent à cinq heures le soir. Ils mangent rarement tard pour la simple raison que l’Alcan et Price ont fixé les heures de repas de leurs travailleurs et par voie de conséquence, celles de leur famille immédiate pour des générations à venir.

C’était la même chose pour mon père qui travaillait pour le CNR (Canadian National Railway). Il arrivait chez-nous à cinq heures de soir et il avait faim. Quand ma sœur s’est mise à sortir avec un français de France qui voulait manger beaucoup plus tard, les fins de semaines, on a frisé la troisième guerre mondiale chez-nous. Mais je m’éloigne et c’est un peu privé.

Je disais donc que les Saguenéens mangent mal. Juste à faire le tour des restaurants et vérifier les menus pour s’en rendre compte. Sans bœuf, sans poulet, point de salut. Et surtout sans poutine.

J’ai déjà dit à un ami qui mangeait mal que pour se nourrir à la poutine faut s’appeler François Paradis. Il n’a pas compris la joke littéraire. Dommage. La poutine c’est une bouffe de bucherons, de coureurs des bois.

Je crois que c’est la seule région au Québec ou peut-être le bas du fleuve avec le fromage des Basques à Trois-Pistoles (Salut VLB) où on retrouve des blocs et des sacs de fromages en crottes partout le matin, même dans les stations d’essence. Comme une denrée essentielle. Ce n’est pas de mes affaires, mais on devrait pas manger du fromage cheddar frais comme ça en quantité industrielle. Un foie ça l’a sûrement des limites.

La multinationale Boivin de la Baie s’est cuisiné une réputation qui fait l’envie de beaucoup de pme anémiques. Ce n’est pas parce que ce fromage est fabriquée à la Baie qu’il est au-dessus de tout soupçon. D’abord, si on le compare à du fromage un peu plus raffiné d’ici (Lehmann, Blackburn), on saute une coche. Ça dépend ce qu’on considère comme du fromage. Ici, à ce sujet, la confusion règne toujours. C’est difficile de faire une sortie contre ce genre de bouffe locale qui entretient une réputation de trésor régional. Si vous dites que le fromage Boivin c’est du bas de gamme pour camionneur du matin qui a oublié de déjeuner, ils vont vous passez dessus avec leurs douze roues. C’est aussi très salé pour résumer le tout. On ne peut pas passer sa vie à manger ça sans risquer gros.

Bref, les Saguenéens mangent mal de façon générale. Vous avez goûté aux saucisses/bacon de l’Étape appelées couramment bites de cowboys ou quéquettes de lutin.

Au show de Math Duff (J’ignore c’est qui. Sans doute un humoriste web) à Québec, on a offert ce met de prédilection des camionneurs et des motoneigistes du Parc aux spectateurs présents à son dernier spectacle. On ne dit pas combien de pontages ont résisté à ce goûter nordique. Mais je me questionne sur la signification d’une pareille entreprise gastronomique et publicitaire. Ça manque un peu de légumes ou il y en a trop qui digèrent la cause.

Nos marchés publics tentent de survivre, été après été, mais on s’ennuie des marchés Jean-Talon et Atwater, de temps en temps. Je me souviens qu’on pouvait remplir le coffre du char à la fin de la saison avec des poivrons, des tomates, des salades, des betteraves, des céleris, des oignons, des blé d’Indes pour 20$ dans ces marchés-là. La situation s’est tout de même améliorée chez nos agriculteurs locaux qui font aussi pousser des légumes depuis quelques années. À Saint-Félicien une multinationale du concombre commence à faire pousser des salades à cœur d’année dans des serres qui éclairent la planète et nous évitent de manger des légumes espagnols et mexicains. C’est un grand pas dans la direction de notre autonomie alimentaire que tous devraient souhaiter au plus sacrant.

La pandémie nous l’a signalé et on paye le prix à l’heure actuelle de notre dépendance. En sillonnant les rangs autant au Saguenay qu’au Lac on trouve maintenant des comptoirs de légumes qui se défendent. Ça prend des légumes pour faire oublier quelque peu les centaines de poutines qui se dévorent chaque jour dans notre belle région accrochée à ce genre de bouffe bourrée d’acides gras saturés.

Je n’ai rien contre la tourtière, j’ai rien contre la soupe aux gourganes. Mais pour se nourrir régulièrement avec ça il faut presque travailler sur la construction.

cinéastreOu du moins ne pas se retrouver derrière un bureau après le repas. De temps en temps, ça peut aller. Mais sur une base régulière, vos artères vont finir par vous téléphoner.

C’est difficile de vendre le bienfondé du tofu ici. Les gens non initiés disent que çà goûte rien. Mais c’est ça l’idée, ça peut goûter n’importe quoi, dépendant de votre façon de le traiter votre fameux tofu. On peut tout faire avec ça et ça se digérer mieux qu’une poutine les soirs de brume ou de neige. Bon, bref, il nous manque ici des restos végés totalement. Certains font des efforts. Le Café Cambio est l’un de ceux-là. Depuis longtemps déjà. Mais ça ne suffit pas.

Il faudrait des restos axés sur les légumes, le tofu et surtout les fruits de mer.

J’envie les mangeurs du bas du fleuve – Riki et compagnie- et ceux de la Côte Nord qui ont des comptoirs de poissons à tous les dix kilomètres. Comme les trois fumoirs en face de l’Isle-Verte. Ou à Matane avec ses crevettes qu’on mange comme des chips sur le bord de la route. Je m’égare volontairement.

Les Saguenéens ne mangent pas beaucoup de poisson parce qu’il est cher et pas toujours frais. Heureusement que certains pêcheurs ne mangent pas de poisson et nous en donnent en cadeau. C’est mon cas. Où je demeure, un voisin et une voisine ne donnent de la petite truite régulièrement. Je leur refile du saumon fumé par des amies de Rimouski. Échange culturelle et gastronomique. De la truite fraiche ou fumée et marinée encore de Riki, je crois que c’est meilleur que le caviar d’Abitibi, meilleur que à peu près n’importe quoi. Après il y a les crevettes, les pétoncles et le homard. On trouve tout ça frais aux Iles de la Madeleine, entre autres. Mais ce n’est pas à la porte.

Les Saguenéens mangent trop et mal. Ils boivent trop aussi. Mais on y reviendra. Il y a des limites à manger de la poutine, mais il y a aussi des limites à boire et à brasser de la bière.

J’oubliais que je m’ennuie aussi de Fairmount Bagels où pour 5$ t’as une douzaine de bagels au sésame qui viennent de sortir du four à bois. À quand un four à bois de bagels ici? Mais je m’éloigne encore dans le Mille End cette fois.

On mange mal ici. C’est quoi l’idée de tuer un ou deux orignaux pour passer l’hiver. Pourquoi ne pas faire pousser des courges qui résistent au froid? Pourquoi ne pas limiter la viande? Au lieu de donner des cours de conduite automobile aux étudiants, on devrait leur apprendre à se nourrir comme du monde et à cuisiner dès le primaire et le secondaire. Ça permettrait aux parents – surtout encore aux mères – de respirer par le nez. Leur apprendre à manger santé. Ce n’est pas sorcier. Si les parents ne comprennent pas, les recycler. On peut apprendre à manger à tout âge.

Deux classiques pour en savoir plus sur la bouffe : Physiologie du goût de Brillat-Savarin, Champs/Flammarion, 1882, #109 et Mon dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas, 10/18, 1998, #2988. Des remarques et recettes sur le bien manger d’il y a deux siècles encore plus pertinents aujourd’hui.

Ça repose des livres de recettes de Ricardo, la multinationale de la cuisine québécoise. Maintenant considéré comme un écrivain d’ici comme Gaston Miron depuis le nouveau règlement sur les droits d’auteur. On en est rendu là.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge plus ou moins végé d’Arvida
N.B. Prochain sujet : Une autre bière

 

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