Chicoutimi, ville de malades

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida.
Souffre mais ne crie pas! Pense au père Brébeuf.
-Réjean Ducharme, L’avalée des avalés, Gallimard, 1966, Folio p 51-
Chicoutimi est une ville de malades. Loin de moi l’idée de considérer ses citoyens ou ses décideurs publics comme des malades. Ce n’est pas une tare d’être malade. C’est plutôt le contraire. Il y a même un organisme qui défend les droits des malades et ce n’est pas du tout le droit d’être malade, mais plutôt celui d’être soigné comme du monde. Bref, cessons de se justifier, c’est la ville elle même, depuis toujours qui semble les attirer. Comme si elle avait un pouvoir d’attraction pour tous ceux et celles qui voisinent la maladie sous toutes ses formes.
Je m’explique.
Quand j’étais jeune et que vous n’étiez pas encore de ce monde, on disait que Chicoutimi était la ville des cadillacs. Ca voulait dire que la ville débordait de docteurs, parce que c’étaient les seuls professionnels – peut-être avec les avocats et les curés parvenus- qui pouvaient se les payer. Indirectement, ça voulait dire aussi que Chicoutimi logeait au pouce/carré plus de médecins qu’ailleurs dans la région. Que pour se faire soigner il fallait naturellement passer par là. Malheureusement, c’et encore le cas. La question qu’il faut se poser : pourquoi les autres hôpitaux (et villes) de la région sont-ils si démunis pour ne pas faire la même chose qu’à Chicoutimi? La santé n’a jamais été si centralisée que dans la région? La culture aussi. Un peu tout quoi, surtout le commerce. Mais je reviens à mes docteurs.
Évidemment les cadillacs n’ont plus la cote aujourd’hui chez les docteurs. Ils roulent souvent de plus en plus en Tesla ou en Audi. Paul Albert Cadillacs n’a plus la même clientèle que dans les années 50 et 60. Mais je m’égare.
Mais pas tant que ça. Encore aujourd’hui, pour se faire soigner sérieusement dans la région, il faut passer par Chicoutimi. C’est toujours le rendez-vous obligé des malades. Des amis ne cessent de me le répéter. C’est mieux et c’est plus rapide l’urgence de l’hôpital de Chicoutimi que celle de Jonquière. Je leur réponds que je peux lire un livre de 200 pages à Jonquière et que ça me va d’attendre deux jours. Je leur réplique aussi que l’urgence de la Baie est plus souple. On n’attend pas longtemps là. La vue est imprenable sur les cabanes à pêche et le stationnement est toujours libre. Mais par contre, pour un vieux se rendre à l’hôpital de la Baie à 11 heures du soir c’est comme traverser le Parc. C’est à l’autre bout du monde. En taxi ça coûte une fortune. Et les bus sont rares à cette heure. Ça prendrait des navettes 24 heures sur 24 pour les malades…avec écrit dessus «malades en priorité».
Chicoutimi est une ville de malades. Elle est aussi une ville où l’hôpital spécialisé attire inévitablement les patients de tous les autres hôpitaux de la région. Ils ne font le poids contre lui. Cet hôpital en face du Saguenay construit par des sœurs tellement influentes qu’elles faisaient changer d’avis même Maurice Duplessis est le plus gros employeur de la région(12 000 salariés et plus). Sans doute plus gros que Rio Tinto et les maisons d’enseignements tous niveaux confondus.
Cet hôpital est une sorte de multinationale médicale qui attire inévitablement tous les malades qui n’arrivent pas à se départir de leurs maux et qui finissent par se retrouver sur son interminable liste d’attente.
C’est, à mon avis, un lieu d’observation également très intéressant pour le commun des mortels. On peut y rencontrer bien des amis et des ennemis. Pendant la pandémie, j’ai accompagné un ami qui déclinait tout doucement.
Il m’arrivait de m’installer dans une salle d’attente en entrant à droite pour regarder le monde passer, parler, pitonner sur leur cell et parfois aussi souffrir en espérant leur tour. Avec notre masque l’observation devenait plus concentrée. Je trouve que c’est une belle place pour faire le point sur la fragilité de nos existences. Je m’égare encore une fois, ça devient une formule de style.
Comme effet d’entraînement, ce monstrueux hôpital de Chicoutimi provoque une foule de sous-traitants -comme disent les entrepreneurs – dispersés à travers la ville et de plus en plus en périphérie. Une fois sur deux, quand on construit un nouvel édifice dans cette ville, il y a de fortes chances que ce soit encore une clinique médicale. Il en pousse partout. Le dernier en date c’est la grosse boite à beurre carrée vitrée du 484 boulevard du Royaume en face d’un concessionnaire automobile et d’une grosse quincaillerie. Là encore les professionnels de la santé, secteur public et privé confondus, se donnent rendez-vous pour vous attirer et entretenir ses liens qui ne cessent de progresser avec l’âge et la nécessité de se sentir plus en vie. Ces nouvelles cliniques qui poussent comme des champignons déterminent évidemment l’architecture de cette ville comme le font les foyers de vieux. Ce sont des vases communicants d’une certaine manière.
Et si ajoutent ces cliniques de chirurgie, d’uro, de résonance magnétique, d’ostéopathie, d’ophtalmologie, de neurologie, de radiologie, de gynécologie et j’en passe pour ne pas tomber malade. J’oublie de mentionner les autres qui opèrent les yeux, les dents, les oreilles, les pieds, et tout le reste. En écartant volontairement les dizaines (près de 30 au moins) de pharmacies qui brillent au coin des rues de la ville et des nouveaux quartiers toujours jumelées à un poste d’essence et à un dépanneur minimum. Comme si les deux denrées de base du citoyen d’ici c’étaient du fuel pour son char et des pilules pour lui-même avec, en prime, sa bière du jeudi soir. C’est en sorte la configuration de la ville quand on y circule lentement en prenant des notes architecturales. Et je néglige le cégep du lieu qui forme une cohorte d’infirmières et de professionnels divers pour répondre à la demande. Et l’université qui rêve depuis toujours d’ouvrir une faculté de médecine pour passer à la vitesse supérieure. Toute la ville dans le sens des malades à soigner, des soins à donner pour une population vieillissante et l’autre plus jeune souvent malade des maux du siècle de plus en plus courants.
Si on dénombrait ces lieux de soins de santé à Chicoutimi et sans doute un peu moins aussi ailleurs on arriverait à des chiffres impressionnants. Tout ça pour confirmer que cette ville aux milles stationnements médicaux peut être considérée comme une ville de malades en expansion. Est-ce une tare? Un cul-de-sac pour l’avenir? Sans doute pas, mais il serait intéressant de «diversifier l’offre» comme dit la chambre de commerce, viser d’autres champs d’intérêt pour faire une ville de bien portants. Calmer les entrepreneurs médecins et pharmaciens qui rêvent de bâtiments neufs pour blanchir leurs revenus hors norme au lieu de recycler ceux –souvent patrimoniaux – qui existent déjà dans cette ville aux milles communautés religieuses. Évidemment, le conseil municipal n’est pas de cet avis. Pour lui, l’équilibre budgétaire passe par l’ajout de nouvelles constructions rentables. Le vrai mal de tête des décideurs chicoutimiens. Soigner la ville mal en point ou équilibrer encore le budget en vue des prochaines élections? Le nœud gordien de cette ville sans horizon et de ses dirigeants à la petite semaine c’est celui-là : penser l’avenir autrement malgré le cul-de-sac. Oser changer les règles du jeu municipal en phase terminal.
Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
Prochain sujet : le déneigement (municipal)
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