J’ai reçu une lettre de Rio Tinto

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète pollué d’Arvida

Les arbres sont responsables de plus de pollution aérienne que les usines.
-Ronald Reagan

J’ai reçu une lettre de RioTinto, chez moi, dans une enveloppe, datée du 28 octobre 2022. Deux jours plus tard, une autre pas datée qui me considérait comme «voisin vivant à proximité du Complexe Jonquière de Rio Tinto» m’invitant à une rencontre au Manoir du Saguenay les 9 ou 10 novembre pour poser des questions (rencontre déplacée au Foyer des loisirs à cause du début d’incendie du 5 nov) je crois, et m’inquiéter un peu de «la performance environnementale de l’Usine Arvida».

J’ai vérifié dans les deux enveloppes, il n’y avait pas de chèques. On ne sait jamais, il semble que c’est la nouvelle méthode de convaincre les indécis de continuer de tourner en rond malgré la merde qui nous entoure. Une multinationale n’a pas l’habitude de correspondre ainsi avec ses voisins vivant à proximité. Alors je me suis souvenu de l’excellent reportage d’enquête de la SRC à Chicoutimi sur les retombées contaminées de l’aluminerie d’Arvida (27 octobre 22). On y soulignait, entre autres, « que cette usine est la plus polluante au pays. Entre 2016 et 2020, elle a émis 27 000 tonnes de dioxyde de soufre (SO2), 10 500 tonnes de particules, dont 6000 tonnes de particules fines et 60 kilos de banzo(a) pyrène (BaP)…le dioxyde de soufre, un gaz irritant pour le système respiratoire, peut entrainer des décès chez les personnes vulnérables. Les particules fines sont des matières microscopiques dangereuses pour les enfants asthmatiques et les ainés parce qu’elles pénètrent profondément dans les poumons. Elles peuvent aussi causer des troubles cardio-respiratoires et induire des cancers. Le benzo (a) pyrène est un contaminant cancérigène qui fait partie des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP…»

Je n’ai jamais été fort en chimie mais cette énumération nous donne envie de refaire notre chimie 201.

Et la cerise sur le sundae, on y apprend que cette usine a profité de passe-droits du ministère de l’environnement depuis 2013 pour continuer de polluer ses alentours avant qu’on promette de fermer cette usine en décembre 2025? Malgré tout, comme l’affirme le directeur Usine Arvida (Il a oublié le d’) Jean-François Leblanc, «L’Usine Arvida (Pourquoi un U majuscule?) est de technologie de cassage latéral et nous rencontrons les normes pour cette technologie.»

Ensuite, dans la même lettre, le monsieur Usine Arvida n’oublie pas d’écrire dans son langage administratif que la compagnie a investit depuis 2018, 30 millions$ pour moderniser les épurateurs permettant de réduire de 10% (sic)

Les émissions de particules fines. Voilà.

Mais si je calcule rapidement, il reste tout de même 90% de particules pas fines pour les poumons et le cœur qui circulent dans notre voisinage.

Quand j’ai reçu les lettres de Rio Tinto j’ai tout de suite fait le lien entre le degré de pollution de cette usine qui nous empêche depuis des années de faire sécher notre linge dehors, de peinturer nos maisons avec des couleurs vives et de faire pousser des légumes fragiles dans nos petits jardins. On est au courant depuis toujours que cette usine charrie des nuages toxiques à volonté, mais le fait de nous le rappeler avec des données scientifiques à l’appuis, des témoignages de voisins, de professionnels de la médecine et de l’environnement, ça secoue son cycliste qui a pris l’habitude de la piste cyclable face à cette usine passée date.

C’est tellement rare de voir des medias d‘information régionaux questionner avec des arguments de poids nos gros décideurs financiers qu’on reste surpris par ces temps de medias sociaux anodins qui ne font que couvrir les faits divers et les vedettes ou les politiciens du moment qui passent à la télé pour vendre leurs courtes idées ou mousser leur réputation.

Après avoir visionné et lu le reportage de la SRC je suis descendu dans mon sous-sol pour vérifier s’il me restait encore beaucoup de boites de carton pour déménager en catastrophe. Puis je me suis dit, on est exposé depuis tellement longtemps comme voisins de cette usine à ses retombées toxiques que notre organisme a peut-être développé des anticorps pour se défendre. J’en étais rendu là dans ma réflexion existentielle et voisine.

Je ne suis pas allé discuter de la performance environnementale de l’Usine Arvida les 9 et 10 novembre. Il ventait très fort et les particules fines s’en donnaient à cœur et à poumons joies au Carré Davis. Il y a des limites à jouer avec sa santé. Je comptais sur la couverture journalistique de ces rencontres mais Rio Tinto a refusé l’entrée de ses mises au point aux journalistes. Comme si certains n’étaient pas des bons voisins respectables. On voyait là à quel point les multinationales en général aiment contrôler le message. Surtout quand celui-ci ne correspond pas à sa vision unilatérale des choses.

La lettre de Rio Tinto m’a convaincu que la multinationale anglo-australienne qui a enregistré des bénéfices nets record de 4 milliards de dollars américains pour sa division aluminium entre janvier 2021 et juin 2022 n’a pas vraiment l’intention de fermer à court terme cette usine malgré sa nocivité. Elle est prête comme d’habitude à user de l’argument de poids pour la laisser ouverte avec la complicité des milieux politiques régionaux et syndicaux. Après tout, comme disait l’un des conseillers municipaux des environs surpris par un micro, « ce sont des bonnes jobs et ils font des efforts pour rencontrer les normes environnementales».

Les lacs de boues rouges, les arbres qui n’arrivent pas à pousser comme du monde, les enfants et les vieux qui toussent, le Saguenay qui change de couleur,ça fait partie de notre paysage arvidien depuis trop longtemps pour l’effacer du revers de la main ou du poing. On a déjà le record des maladies pulmonaires et des cancers de la vessie au Canada grâce à notre usine de cuves précuites la plus polluante. Contentons-nous donc de cette réputation.

Pour ma part, je porterai désormais mon masque de Covid quand je ferai le tour de l’usine Arvida en vélo, histoire de me donner bonne conscience.

Pierre Demers, cinéaste et poète pollué d’Arvida

n.b.prochain sujet : c’est quoi la vision?

Autre sujet : la ministre Laforest embauche


Merci de supporter RueMorin.com en aimant notre page facebook
www.facebook.com/RueMorinpointcom/

Laisser un commentaire