Chicoutimi, une ville de vieux

Chronique de Monsieur Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida

Chicoutimi, une ville de vieux
Bref, un enterrement peut être un grand moment d’art et d’amour.

  • Dominique Noguez, Les plaisirs de la vie, Éditions Payot/Rivages, 2000

Chicoutimi est une ville de vieux. Surtout de maisons de vieux qu’on distribue un peu partout à travers la ville et surtout au centre-ville. Il m’arrive parfois de faire visiter la Capitale d’ici à des ami(e) s de passage. Je suis très dépourvu à ce moment-là. Ils ne cessent de me questionner sur les immeubles qui dépassent des autres. Mis à part les couvents de sœurs(qu’on peine à recycler malheureusement) qui prennent encore une large place dans l’espace chicoutimien malgré l’absence des occupantes qui finissent par rejoindre leurs consœurs au cimetière pour une repos éternel bien mérité j’imagine, ce qui dépassent à Chicoutimi ce sont les foyers de vieux et de vieilles.

La liste donne froid dans le dos de l’urbaniste amateur. Et ce autant au centre-ville qu’en périphérie. Quelques chiffres pour confirmer la règle mortifère.

Au moins une bonne trentaine de RPA occupent la ville, sur les deux rives et en périphérie. Sans compter les foyers plus ou moins clandestins qui survivent bon an mal an comme leurs occupants qui attendent désespérément le chèque du premier ministre pour avoir l’illusion qu’ils s’en sortent. Et ce n’est pas tout.

Les vieux et les vieilles se dissimulent aussi du côté des HLM municipaux et des coopératives d’habitation qui sont souvent les refuges des personnes âgées plus ou moins Autonomes sans revenu acceptable pour loger dans les RPA.

Les vieux semblent avoir déterminé l’espace urbain de cette ville qu’on tente encore d’appeler ville Saguenay mais que tout le monde nomme Chicoutimi parce que Saguenay c’est le nom de la rivière et de la région juste à côté du Lac Saint-Jean.

Je n’ai rien contre les vieux et les vieilles. Je suis né à la fin de la seconde guerre mondiale. Je demeure dans une coop d’habitation où le bon tiers des membres sont des personnes retraitées. Certaines participent, d’autres se croient au club Med. Je m’occupe de l’entretien de cette coop depuis quatre ans. C’est une job bénévole à plein temps. C’est le seul moyen que j’ai trouvé avec des membres des autres générations du CA de bien s’occuper de notre milieu de vie sans se faire avoir par des membres qui se croyaient propriétaires de la coop et par les bailleurs de fonds publics. Heureusement notre coop ne défigure pas le paysage urbain où elle se dresse. Ce n’est pas le cas de trop de RPA qui ont poussé un peu partout à Chicoutimi depuis quelques années et qui réduisent cette ville à une ville de vieux.

Prenons par exemple- ça saute aux yeux de mes amies quand je fais la rue Racine- le Manoir Champlain. Tant qu’à défigurer une rue principale j’aime ça comme ça. On ne voit plus rien autour que ce monster RPA. Impossible d’y échapper. Tous les commerces et les maisons des rues avoisinantes ont perdu la lumière, le soleil et la vue sur l’ailleurs. Sans même trop se plaindre. Avec la bénédiction évidemment des urbanistes et des conseilleurs de la ville qui rêvent peut-être d’y habiter un jour.

Il y a au moins 4 à 500 locataires qui vivent dans ce Manoir du centre-ville. C’est plus populeux que plein de villages périphériques de Saguenay et du Lac. Il y a quelques années, je suis allé magasiner un 3 et demi à ce Manoir par curiosité et pour m’informer sur «le bonheur qu’on mérite» comme dit leur pub télévisée.

3000$ par mois pour l’appart, deux repas par jour, une infirmière qu’on peut rejoindre au téléphone quand on respire mal et deux tours de bus par semaine pour aller au centre d’achat.

On m’a vanté la sécurité des lieux, la qualité de la nourriture et le bien-être des occupants. C’était bien avant que l’épidémie de Covid s’invite dans ce Manoir pour surprendre un nombre impressionnant de locataires qui s’infectaient à la vitesse grand V. J’y aurais versé toute ma pension de vieillesse pour la vue sur la tour qui se dresse jusque à côté de la fenêtre du 3 et demi. J’ai surtout été impressionné par la porte de garage dédiée aux ambulances…

Si on calculait le nombre de vieux qui vivent au centre-ville de Chicoutimi dans ces RPA plus hautes que nature, on arriverait à des chiffres impressionnants. Statistique Canada en 2021 (cfr Le Quotidien, 27 avril 2022) dénombre 24,4% de baby-boomers. La ville que Jean Tremblay a abandonnée vient au troisième rang au Canada pour les centres-villes avec la plus forte proportion de personnes âgées de 85 ans et plus.

Si on fait le tour des RPA de la ville, en plus d’être étonné par l’originalité des appellations. Pour suggérer une sorte de paradis capitaliste de l’âge d’or- Château Dubuc, Manoir de la sérénité, Lux Gouverneur, Sélection retraite, Manoir Tadoussac, Manoir Notre Damne de Grâce, Villa Racine, Résidence 4 Saisons, etc – on peut facilement compter dans ces foyers quelques milliers de vieux et de vieilles. Et ce qui étonne le plus c’est qu’on les croise rarement comme si celles-ci et ceux-ci ne sortaient presque jamais hors leur foyer sécuritaire. C’est vrai qu’un certain nombre garde leur voiture et continue de prendre le risque de se faire intercepter par les patrouilleurs de la ville qui veillent sur leur sécurité et leur excès de vitesse.

Je n’ai rien contre les vieux et les vieilles. J’ai des amis aussi vieux que moi et même un peu plus vieux. J’ai un ami cinéaste qui demeure dans un hôtel chicoutimien depuis des années et semble exercer le métier de concierge temporaire un peu comme moi à ma coop d’habitation. Il rend service aux autres d’une certaine manière. Je déplore le fait qu’on devrait tout faire pour garder les vieux et les vieilles chez eux le plus longtemps possible. Leur trouver des résidences mixtes, avec des jeunes (des millénariaux-n.b.j’utilise jamais ce terme qui me fait penser à une maladie…) et surtout dans des endroits entourés d’arbres, de verdure, de soleil et d’espace pour courir, pédaler, marcher. Respirer autre chose que des stationnements qui ont remplacé des arbres.

La ville devrait lever un moratoire pour ne plus construire de RPA la plupart du temps financés par des multinationales de la vieillesse (Ex.Groupe Patrimoine, Groupe Chartwell,etc) ou des promoteurs locaux qu’on appelle partenaires financiers «silencieux» qui investissent dans les domaines qu’ils connaissent bien(Les médecins, les pharmaciens, les professionnels de la santé).

Bref, j’ai rien contre les vieux. Mais il y a des limites à les exploiter dans des RPA démesurées qui ont défiguré à jamais une ville comme Chicoutimi depuis des décennies avec la bénédiction des élus comptables aveuglés par leur petit pouvoir momentané.

Pierre Demers, cinéaste et poète rouge d’Arvida
n.b.prochaine chronique : j’ai reçu une lettre de RioTinto


Merci de supporter RueMorin.com en aimant notre page facebook
www.facebook.com/RueMorinpointcom/

6 Commentaires

Répondre à JackiecTremblayAnnuler la réponse.